Nous ne sommes pas vos putes
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Catégorie : Global
Thèmes : Contrôle socialGenre/sexualitésResistances
Il fallait s’y attendre, la médiocrité des débats sur le travail sexuel, savamment entretenue par celles et ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que les véritables enjeux de celui-ci soient abordés, ne pouvait que nous mener à l’abjection. Après l’article de Causette et ses 55 bonnes raisons de ne pas aller aux putes, c’est Causeur qui prend le relai avec son manifeste des 343 clients.
Abjecte, la référence aumanifeste des 343 salopes : lorsqu’en 1971, 343 femmes ont pris la parole pour dire qu’elles avaient avorté, elle défiaient alors les lois et l’ordre moral ; elles annonçaient que malgré les risques qu’elles prenaient, rien ni personne ne les empêcherait de disposer de leur corps.
Et les risques étaient grands, alors, non seulement en termes de stigmatisation, de répression pénale, mais surtout, parce qu’en avortant dans des conditions clandestines, c’est leur vie que ces femmes risquaient. Beaucoup l’ont perdue, d’ailleurs, et continuent de la perdre aujourd’hui, faute d’accès légal à l’IVG.
Que risquent ces 343 clients aujourd’hui ? RIEN.
Et ne venez pas nous parler des peines inscrites dans la loi, qui ne seront appliquées au mieux que 3 fois pour l’exemple, car elles n’ont en réalité d’autres buts que de forcer les putes à toujours plus se cacher.
Nous sommes les putes de personne et encore moins les vôtres
Abjecte, votre refus de reconnaître vos privilèges, et votre discours anti-féministe qui voudrait nous faire croire que vous êtes les pauvres victimes des progrès féministes : alors que vous défendez votre liberté à nous baiser, nous en sommes à défendre notre droit à ne pas crever. La pénalisation des clients en ce qu’elle condamne de nombreuses femmes à toujours plus de clandestinité, n’est certainement pas un progrès féministe, et c’est à ce titre qu’en tant que putes nous nous y opposons. Car c’est bien nous putes, qui sommes stigmatisées et insultées au quotidien parce que vendre des services sexuels n’est pas considéré comme une manière “digne” de survivre.
Nous, putes, qui subissons chaque jour les effets de la répression. Nous, putes, qui prenons des risques pour notre vie, en tant que clandestines dans cette société qui ne pense qu’à nous abolir. Alors n’inversez pas les rôles, et cessez donc de vous poser en victime, quand votre possibilité d’être clients n’est qu’une preuve du pouvoir économique et symbolique dont vous disposez dans cette société patriarcale et capitaliste.
p.-s. Morgane Merteuil appartient au Syndicat du travail sexuel (Strass).
http://lmsi.net/Nous-ne-sommes-pas-vos-putes
Un article sur l’approche des anarchistes concernant la prostitution a été publié récemment par Francis Dupuis-Deri ici: http://gss.revues.org/2775
Il tranche avec l’espèce de fascination pour un syndicat (le strass) qui ne travaille qu’à faciliter l’exploitation sexuelle, sexiste et raciste. (Ce n’est pas parce que le strass pose le principe d’auto-organisation des prostitué-es que ce groupuscule représente les prostitué-es ou que sa politique soit valable.)
voici la conclusion de l’article cité et voyez le “surtout” à la fin du 2ème paragraphe: « Sans prétendre que les anarchistes d’aujourd’hui doivent se soumettre à la tradition, les réflexions du passé semblent concorder avec la proposition contemporaine d’un « abolitionnisme révolutionnaire » (Communard, 2011) ou, plus spécifiquement, d’un abolitionnisme anarchiste. Cette perspective rappelle que la prostitution est encore fortement influencée par (1) le système capitaliste en général (exploitation et aliénation) et l’idéologie libérale (mythe de la liberté de choix) ; (2) le patriarcat comme système économique (discrimination salariale entre les sexes et exploitation du travail féminin par les hommes) ; (3) la morale (distinction entre mères et putains) ; et (4) l’État (répression ou réglementation, et politiques racistes). Tout comme les anarchistes sont solidaires des personnes salariées qui critiquent le capitalisme et leur travail, il s’agit d’être solidaire envers les femmes prostituées et anciennement prostituées, et de respecter leur parole, surtout quand elles critiquent leur travail sexuel monnayé.
C’est d’ailleurs ce que les féministes radicales Les Sorcières proposent dans leur éditorial où elles avancent une « position féministe et anarchiste sur l’exploitation sexuelle ». Elles souhaitent la fin de l’exploitation sexuelle et de la commercialisation du corps des femmes, tout en condamnant la répression policière et en admettant que « [l]’industrie du sexe s’effondrera lorsque nous abolirons le patriarcat, le capitalisme et le racisme ». En attendant, elles déclarent qu’il importe d’être solidaire des travailleuses du sexe et à l’écoute de celles « qui témoignent de ce qu’elles ont vécu », rappelant que « toutes les femmes sont concernées par l’industrie du sexe », et souhaitant que les femmes « qui veulent sortir de la prostitution puissent le faire facilement » (Les Sorcières, 2012, 6). »
Prétendre s’intéresser au sort des prostitué-e-s en criminalisant leur activité, telle semble être la nouvelle politique de la gauche en matière de prostitution [1]. Cette tribune publiée initialement par Mediapart appelle les féministes, au-delà de leurs divergences sur la question de l’abolition, à s’unir contre cette approche policière et répressive, et pour les droits de toutes les femmes. A la veille de la Manifestation contre la pénalisation des prostituées et de leurs clients qui aura lieu le 26 octobre à 13h place de Clichy à Paris, nous republions cette tribune.
En décembre 2011, Danielle Bousquet, socialiste et Guy Goeffroy, UMP avaient ensemble déposé une proposition de loi exposant celui qui recourt aux services d’une prostituée à une peine de deux mois de prison et de 3750 euros d’amende. En juin dernier, Najat Vallaud Belkacem a affirmé son intention de voir disparaître la prostitution et proposé pour cela la pénalisation des clients [2]. Enfin, pour répondre à une promesse de campagne de Hollande d’abroger le délit de racolage passif [3], mis en place par Nicolas Sarkozy en 2003 en tant que ministre de l’intérieur dans le cadre de la Loi sur la Sécurité Intérieure (LSI), une loi proposée par EELV devait être discutée au Sénat le 21 novembre prochain. Mais elle est finalement retirée car la ministre veut plus de temps pour repenser plus globalement la question de la prostitution. A présent, elle « étudie » le modèle suédois de lutte contre la prostitution [4] qui est passé, en pénalisant les clients, du modèle abolitionniste au modèle prohibitionniste selon Don Kulick [5], ce qui a conduit à l’aggravation de la situation des prostitué-e-s [6].
Dans le même temps, après le verdict de Créteil qui a une nouvelle fois révélé la clémence particulière de la justice vis-à-vis des auteurs de viol, la manifestation du 25 novembre contre les violences faites aux femmes prend cette année un sens particulier qui exigerait la mobilisation unie de toutes les féministes. Or, le Collectif National Droit des Femmes (CNDF) en faisant de la pénalisation des clients une des revendications de son appel divise les féministes et exclut de fait les prostitué-e-s et leurs organisations de cette échéance, alors même qu’elles sont particulièrement soumises aux violences de la police ou des clients.
A la différence de la LSI, pénaliser les clients fait des prostituées non plus des coupables mais des victimes selon la logique suivante : si les clients risquent des peines, la demande se réduira et la prostitution finira par disparaître [7]. Cela n’est pas vérifié dans les pays où cette politique a été mise en oeuvre : la prostitution s’invisibilise mais ne cesse pas. Elle s’appuie d’autre part sur une représentation stéréotypée qui fait de tous les clients des pervers violents qui réduisent les femmes à des marchandises. Mais cette représentation univoque ne permet pas aux prostitué-e-s de faire entendre leur voix lorsqu’elles veulent être défendues contre les clients violents. Enfin, rien n’est prévu en terme de moyen pour la réorientation des prostitué-e-s qui le souhaiteraient, que ce soit l’octroi de titres de séjour avec autorisation de travail pour celles qui sont sans-papiers ou encore la facilitation du changement d’état civil pour celles qui sont trans, par exemple.
La pénalisation des clients s’inscrit en réalité dans la lignée de la LSI, dont elle n’est que le double inversé. Le délit de racolage est une loi sécuritaire qui n’a pas rempli ses objectifs en matière de lutte contre les réseaux et a eu pour principal effet d’aggraver la situation de précarité et de stigmatisation des prostitué-e-s, en les exposant particulièrement aux violences policières. Mais, de la même manière, pénaliser les clients revient à criminaliser les prostituées d’autant plus que la LSI est en vigueur. Sans véritable impact sur les clients, qui ne sont d’ailleurs que très rarement sanctionnés par la législation déjà en vigueur concernant les mineurs, la pénalisation aboutirait simplement à faire disparaître la prostitution de l’espace public et à rendre encore plus défavorables la conditions des prostitué-e-s. Contraintes d’exercer dans des lieux clandestins, les prostitué-e-s auraient encore moins accès aux services de santé publique et de travail social, et seraient davantage exposées aux agressions. Les effets en seraient désastreux pour leur santé, leur intégrité physique et leur liberté.
La droite sarkozyste nous avait habituées à la criminalisation de la pauvreté. Rien ne change, c’est la même ambition de régler les problèmes sociaux par une démarche sécuritaire. Fondamentalement, ce qui guide cette démarche, c’est « avant tout de faire disparaître des paysages urbains une activité qui heurte la sensibilité de riverains qui sont aussi des électeurs » [8].
C’est pourquoi, quelle que soit notre position sur la prostitution, nous refusons la pénalisation des clients.
p.-s.
Cet appel a été signé par Célia Baudu (transsexuelle, militante du front de gauche et militante associative LGBTI) ; Margot Beal (militante au NPA) ; Solène Brun (militante au NPA) ; Isabelle Clair (chercheuse) ; Virginie Descoutures (chercheuse) ; Véronique Dubarry (Adjointe au Maire de Paris EELV) ; Héloise Duché (militante du Front de gauche) ; Corine Faugeron (Adjointe au Maire du 4e arrondissement à Paris, EELV) ; Eric Fassin (chercheur) ; Capucine Larzillière (militante du Front de gauche-Gauche anticapitaliste) ; Stéphane Lavignotte (pasteur, Mouvement du Christianisme social) ; Philippe Mangeot (Revue Vacarme) ; Elsa Manghi (syndicaliste) ; Janine Mossuz-Lavau (chercheuse) ; Céline Pétrovic (déléguée thématique Genre, orientation sexuelle et société d’EELV) ; Lisbeth Sal (militante du Front de gauche-Gauche anticapitaliste) ; Sylvie Tissot (chercheuse) ; Sarah Trichet-Allaire (responsable de la commission féminisme d’EELV) ; Lucia Valdivia (militante au Planning Familial-69) ; Eleni Varikas (chercheuse) ; Anne Verjus (chercheuse) ; Pierre Zaoui (Revue Vacarme)
notes
[1] Béatrice Vallaeys « Quand la gauche parlait dignement de prostitution », Libération, 9 novembre 2012.
[2] Laure Raim, « Vallaud-Belkacem veut abolir la prostitution », Le Figaro, 24 juin 2012.
[3] « Racolage passif : l’imbroglio de l’abrogation », www.lesnouvellesnews.fr, 12 novembre 2012.
[4] « Droits des femmes : la ministre Najat Vallaud-Belkacem étudie le modèle suédois », Libération, 8 novembre 2012.
[5] Don Kulick, “Sex in the new Europe, The criminalization of clients and Swedish fear of penetration”, Anthropological Theory, 2003, Vol. 3(2) : 199-218.
[6] Lilian Mathieu, Répression ou éducation ? Les paradoxes de la pénalisation des clients de la prostitution. Raisons présentes, 2012.
[7] Lilian Mathieu, « Pénalisation des clients de prostituées : quand les belles âmes se fourvoient », Contretemps, 17 avril 2011.
[8] Lilian Mathieu, « Pénalisation des clients de prostituées : quand les belles âmes se fourvoient », Contretemps, 17 avril 2011.
http://lmsi.net/Non-a-la-penalisation-des-clients