Le néo-sujet. l’approche ultra-marchande de soi-même
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
Thèmes : Art/cultureCritiqueEspritInclassableLogement/squatSociologie
Produit d’un milieu socio-économique confortable, le néo-sujet a rarement connu la nécessité vitale. Il a grandi entouré d’activités péri-scolaires mises à sa disposition pour accroître ses champs d’exploration, stimuler son potentiel. Il a beaucoup lu et discutaillé. Il s’est formé et informé. Il s’estime, non sans un soupçon de supériorité, être cultivé et donc avoir une valeur tout à fait respectable dans le marché sociétal.
Écolo, antipatriarcal, anticapitaliste, antifasciste, antipub, antimilitariste, cela va de soi.
Chomsky, Foucault, Proudhon, Noamy Klein, Thoreau, Pierre Rabhi, Dolto, Debord, il les a tous parcouru.
Le Monde selon Monsanto, Le marché de la faim, Let’s make money, L’argent dette, Solutions globales pour désordre global, Zeitgeist, il les a tous vu.
Décroissant, il dépense peu : il se constitue un matelas placé sur un livret Mutavie au Crédit coopératif en attendant le jour du grand investissement. Il rechigne à payer sa bouffe et se réjouit lorsqu’il lui est possible de la récupérer dans les poubelles des supérettes ou à la fin des marchés. (A condition de ne pas être vu par son voisin, pour ne pas égratigner son image de bon enfant courtois). Parfois il la vole si le risque est minime. Ses idéaux anticapitalistes et écologiques sont toujours les bienvenus pour légitimer avec panache ce qui pourrait lui être objecté comme avarice. Il squatte, il fait du couchsurfing, et parfois du wwoofing. Il fait du stop. Il utilise les tickets des autres pour voyager sans payer ni frauder (une amende serait une cicatrice fâcheuse sur son CV global). Mais au final, un vélo – d’occasion de préférence – semble être le meilleur compromis.
Parfois, il peut opacifier l’étoffe de son patrimoine, ou le transférer sous le nom d’un parent complice pour, mieux coller à l’image séduisante du vagabond désargenté. Être éthéré et immaculé, la voie noble et courageuse dans laquelle il s’est engagé, il la doit à sa seule grandeur d’âme et non à un coffre bien fournit.
Les économies réalisées d’un côté, sous des motifs chevaleresques, lui permettent d’asseoir une stratégie d’investissement millimétrée de l’autre.
Ces dernières dépenses ? Un osmoseur, un abonnement dans une salle de musculation et une opération oculaire au laser pour ne plus avoir à porter ni lunettes ni lentilles. Le physique est un capital qui s’entretient et même se bonifie. A cet égard, il mange bio et sans lactose ni gluten autant que possible.
Mais l’investissement est, lui aussi, le plus souvent gratuit :
Il court les conférences en entrée libre pour étoffer sa culture générale, ce qui lui permettra d’être bien vu en société, et pourra lui faciliter des accès relationnels pouvant contribuer à sa progression tant personnelle que professionnelle.
Il lui arrive d’aller écouter les auditions des étudiants du conservatoire pour familiariser son oreille avec les partitions de Bach et Debussy.
Lorsqu’il lui arrive de regarder la télé, il zappe jusqu’à trouver une émission culturelle qui lui donnera moins l’impression de perdre son temps que les sitcoms devant lesquels s’attroupent les bouseux.
En feuilletant les magazines traînant dans la salle d’attente de son ostéothérapeute, il dévisage les mannequins posant pour les marques de luxe pour s’imprégner des postures qui distinguent les êtres supérieurs.
Il observe la diction et le ton des politiciens vedettes pour s’inspirer de leur charisme.
Il suit la presse mondaine, même s’il admet que Tim Ferriss a raison : les news de par leur côté chronophage empiètent sur d’autres postes d’investissements plus importants, et puisque les autres se font un plaisir de résumer, à qui leur demande, les dépêches AFP pour étaler leurs connaissances, il est judicieux de les utiliser comme sous-traitants.
Prendre ce qui peut l’être. Prendre le maximum pourvu que la qualité ne soit pas trop négligée.
La vie est courte, il faut la rentabiliser. Multiplier les formations, les rencontres, les expériences, les voyages, les connaissances, les anecdotes, les distinctions. Le néo-sujet doit aussi lui donner un sens, l’imprégner de ses œuvres pour s’entendre féliciter et s’élever au-dessus du plus grand nombre. Se sentir grisé par la sensation ou, à défaut, la projection de son ascension.
Vous l’aurez compris, le néo-sujet ne se prend pas pour de la merde.
Il soigne sa charte graphique vestimentaire et capillaire ; mi-chic mi-négligée.
Il apprécie aussi bien la drum and bass que le jazz, pourvu que ça ne passe pas sur les ondes commerciales.
Parler de spiritualité ne l’irrite pas trop, pourvu que cela soit exotique et anthropologique.
Côté sports : enfant il a essayé le judo, maintenant c’est course à pied, cyclisme, natation : individualiste et bon marché. Le tout saupoudré d’un peu de yoga. Le ski en famille. Les occasions de s’initier à la salsa, au golf, au squash ou à la voile ne lui déplaisent pas. En revanche, le foot et le rugby restent pour les loosers, les ventripotents buveurs de bières, les cheveux-bien-courts et les OS.
Côté arts, il préfère briller avec ceux qu’ils maîtrisent déjà. En apprendre de nouveaux est un investissement pour lequel son agenda est réticent.
Il est végétarien, vegan ou crudivore : éthique, écolo, économe, hygiéniste, élitiste. Ou s’il lui arrive de manger des cadavres, c’est chez les autres ; lui préfère ne pas en acheter.
Bien qu’il récuse le terme péjoratif de « calculateur », il faut se rendre à l’évidence : son quotidien est une somme de calculs. « Vaut-il mieux aller à tel concert ou rendre visite à un tel ? Ce projet vaut-il le coup et si oui, à quelle hauteur dois-je m’y impliquer ? Est-il judicieux de creuser tel domaine de connaissance ? Ce livre que l’on m’a conseillé en vaut-il la peine ? Si je vais lui donner un coup de main, pourrais-je avoir besoin de lui plus tard ? Quel itinéraire dois-je emprunter pour voir l’ensemble des sites remarquables de ce pays, de cette ville, tout en adoptant le parcours le plus efficace ? Etc. »
L’homocalculus c’est bien lui !
Et même si ce fonctionnement peut lui déplaire, il ignore comment s’y soustraire. Peut-on arrêter de penser ?
Une réalité fondamentale : l’ultra-marchand
Il pourrait encore se rassurer sur sa contribution anti-système en se définissant comme parasite sociétal. Il est vrai qu’il ne travaille pas beaucoup et dépense peu, ainsi peut-il se considérer comme étant un déserteur du capitalisme. Mais la réalité le rattrape. Si le néo-sujet affirme s’opposer au dogme de la conso, il l’a en réalité optimisé à l’extrême : au lieu de foncer tête baissée dans les rayons croulant sous les marchandises, il dégage avec une acuité aiguisée les produits pouvant nourrir au mieux sa quête de « développement personnel ». Loin d’avoir déserté la culture du marché, il l’arpente avec la conscience aiguë que le « savoir investir » est un art. Il n’achète ni soda ni jeux vidéo, mais lit des manuels sur la gestion du temps et aime à scruter le prix des terrains à vendre sur les sites de petites annonces.
Une telle disposition à l’auto-amélioration, un tel effort continu pour engranger les bonus entraînent immanquablement des effets secondaires, principalement de types paralysants. Car, pour être pertinent, l’investissement demande à être protégé.
La générosité de ce self-manager permanent s’est érodée : excessive elle risquerait de devenir un coût négatif.
Bien que toujours disposé à briller par ses envolées critiques, le néo-sujet se tient à l’écart des actes pouvant faire du tort à ses ambitions. Il prend peu de risques : ses capitaux méticuleusement accumulés risqueraient d’en prendre un coup. Il fraude et vole que si cela lui est aisé. Il évite les manifestations trop agitées, ou bien s’y rend avec son dernier Nikon (acheté d’occase) autour du cou afin de s’affirmer journaliste si cela venait à déraper. Depuis qu’ils vous prennent l’ADN pour un oui ou pour un non !
Risquer sa vie pour ses idéaux est une chose qu’il admire, mais très peu pour lui.
Le néo-sujet veille à son image : ne pas paraître sur des clichés compromettant, ne pas signer des pétitions trop radicales, ne pas trop parler sur Internet. S’il utilise Facebook, c’est avec des pincettes.
Il défend par dessus tout l’engagement individuel et la diffusion par l’exemple (entendons consommation responsable et boycott), aussi synonymes de risque zéro.
Le néo-sujet, malgré la multiplicité de ses activités, est incapable de s’engager, et pas seulement sur le plan insurrectionnel dont il se dit pourtant partisan.
En amour : « et si je trouve un(e) meilleur(e) partenaire demain ? », la peur des enfants.
En foncier : « et si j’attendais cet héritage ? », « et si les prix venaient à baisser ? », « et si je m’installais à l’étranger ? ».
En projets constructifs : la lourdeur bureaucratique, l’aliénation du travail, la conjoncture délétère.
Il erre dans le contraste insoutenable de la grandeur de ses rêves et la frilosité que lui insuffle ses convenances matérielles.
Il prône un retour à la campagne, qui tarde à venir.
Il vilipende les études, mais en a fait plus que les autres.
Il critique l’État avec virulence, parfois au point de désirer son abolition, mais profite de ses services avec délectation (CMU, bibliothèques, piscines, musées – surtout le premier dimanche du mois).
Les politiques sont tous des pourris, mais il s’est extasié de l’élection d’Obama.
Un mort-vivant qui a la prétention d’avoir compris le monde. Un irresponsable qui se clame disciple du détachement. Un esthète qui a lu tous les derniers numéros de la “Maison écologique” et parcoure régulièrement les blogs de design. Un ambitieux devenu prudent, puis chiant. Au mieux, un pirate dans son imaginaire.
S’il est un parasite pour les révoltés moins précieux qui l’hébergent, c’est avant tout un parasite à lui-même. Trop sûr de lui et vaniteux, il mettra un moment avant de s’en rendre compte.
Un gamin tiraillé entre l’illusion du gain facile, la conscience des crimes, l’arrogance des savoirs livresques, le cocon familial plutôt aisé, l’intuition d’un au-delà émancipateur, le besoin d’être aimé et rassuré.
C’est un anarchiste en col blanc encore jeune que je viens de dépeindre. Mais, les années passant, les envies de famille et de confort augmenté viendront diluer les prétentions juvéniles pour n’en laisser que quelques traces, bien rangées sur les rayonnages d’une bibliothèque de salon.
Il penchera social-démocrate ou libéral selon ses origines sociales, son entourage et le volume de son patrimoine. Ainsi, comment s’étonner du cheminement des soixante-huitards dans le sillage de leur figure de proue, Cohn-Bendit ? Ou du fait que Bernard Boucault, actuel préfet de Paris et ex-directeur de l’ENA, ose encore s’autoproclamer disciple d’Ellul !? Faut-il donner raison à Clemenceau : « tout homme qui n’est pas anarchiste a vingt ans est un imbécile. Mais c’en est un autre s’il l’est encore à quarante » ?
S’étonnera-t-on de nouveau sur la dérive, davantage feutrée, de la génération wikipédia une fois sa crise d’adulescent gâté estompée ?
Le néo-sujet lira tout cela avec sourire, ajoutera peut-être cette URL dans ses favoris, y réfléchira un moment, hésitera à la faire suivre à deux ou trois ami(e)s. Et puis retournera mener la même existence, en espérant que ça décolle un jour. Il ne sait pas quoi faire d’autre. Ni passion, ni spontanéité, mais retenue et mesure. Le tiraillement l’immobilise, puis le flétrit.
Cependant, de rares néo-sujets pourront prendre conscience non sans quelques torpeurs des dynamiques qui sont les leurs. De plus rares encore décideront d’opérer une introspection impitoyable, par laquelle ils espèrent s’arracher de cette sordide mollesse. Ils en viendront à la conclusion qu’il faut regarder ses peurs en face (faim, froid, marginalisation) et mourir à soi-même pour avancer sur la voie de l’expérimentation d’une vie éprise de liberté. Il s’agit là d’une quête mystique de la plus haute intensité, traquant rageusement les questions existentialistes les plus prégnantes : pour quoi la vie ? le temps ? l’espace ? le corps ? la pensée ? Quelques-uns suivront cette voie avec fougue un certain temps, puis se feront rattraper et l’abandonneront (pouvant y revenir épisodiquement). Quelques-uns finiront à l’HP. Et de bien plus rares, lutteront avec elle toute leur vie, se sentant constamment guettés par la facilité et le confort, mais aussi par leurs peurs et leurs vieux démons. Encore moins l’épouseront avec une calme sérénité.
Vous avez dit élitiste ? Non, radical !
et ben… j’l’ai lu en travers ce texte, et j’y vois pas trop d’intérêts… une grosse liste de “critiques” et de préjugés sur un paquet de gens , tous rassemblés en un “milieu” par ce texte… bref, pour moi, encore des gens qui s’inventent des moulins a vent a dégomer… tout le monde peut se sentir visé par une serie de “critiques” de ce texte, il suffit juste d’avoir un velo, de preferer voler de la bouffe de riche que d’acheter de la bouffe de pauvre, de toucher le RSA tout en critiquant l’Etat, de flipper de se faire arreter (hou le mauvais révolutionnaire!)… merde, j’en viens meme a avoir envie de me justifier…je te connais pas, mais va mourrir avec tes conneries, à part cracher a la gueule du monde entier (et probablement a ta propre gueule), ça sert a quoi ce texte?
Ce qui est bien avec ce genre de texte c est qu il y a de quoi se sentir coupable des le départ, c est pratique il y a un mélange autocritique des pires heures gauchistes,et puis des lecons de vie données d on ne sait ou.
Pas mal le passage “y en a qui connaitront l hp”;elle est belle ta radicalité droit dans tes bottes!
En tous les cas c est sur qu avec ce genre d écrits suitant les vapeurs d encens de la curetaille radicalo prédicatoire,je comprend qu autant de personnes sincèrement révoltées tombent dans la tristesse et l impuissance.
En gros je te souhaite bonne chance dans tes lecons sur “le sujet révolutionnaire”;mais vu la misere de tes écrits ,un peu plus de modestie ne te ferait pas de mal,en gros n oublie pas la poutre que t as a l oeil.
la lutte des classes continue….
ni spécialiste !ni cureton!