Le carrefour de la Saulce est occupé par les militaires depuis le 23 novembre 2012. De ce fait, la vie quotidienne des habitants ­ on parle ici pas seulement des occupants mais aussi des gens habitants aux alentours et travaillant en région nantaise ­ est complètement bouleversée. Le seul fait d’être un opposant au projet d’aéroport habitant sur son emplacement présumé implique que le droit de circuler librement n’est plus qu’un lointain souvenir. Imaginez­vous le scénario d’un de ces habitants depuis six mois.

“Le matin tu sors de chez toi pour aller bosser, tu passes au carrefour de la Saulce avec les gamins dans la voiture, contrôle de flics, fouille, ouvrez le coffre, papiers. Le midi, tu rentres, check point au carrefour, tu poirautes 15 minutes mais pas de contrôle finalement. Tu prends le vélo pour aller voir un ami, les militaires t’inderdisent de passer par le carrefour, tu dois pousser ton vélo à travers champs dans la boue en piétinant le champ de l’agriculteur. L’après­midi tu repars au boulot, contrôle, papier, carte grise du véhicule, où allez­vous ? Ben chez moi. Le soir tu rentres avec les mômes, contrôle, papier, carte grise, tu poirautes parce qu’il y a un appel, où allez­vous, tu poirautes. Envie d’aller au cinéma ? On fait le tour pour éviter le carrefour ?”

Chaque jour x 6 mois

Quand vous demandez aux militaires pourquoi ils bloquent le carrefour, ils répondent : « vous nous empêchez d’aller dans les bois, nous on vous empêche de passer le carrefour ». On se croirait à la maternelle, le jeu du nananère, celui qui énervera le plus l’autre. Cette occupation militaire peut provoquer la perte de sens. L’opposition à l’aéroport est vidée de son sens. Le monde à double vitesse qui va avec est constitué d’un côté des bénéficiaires des travaux de BTP, des bureaucrates occupés à remplir les dossiers, des hommes d’affaires et les riches touristes prenant l’avion, de l’autre côté de ceux qu’on déplace comme des pions, qu’on arrache à leurs habitudes, leur mémoire, leurs plaisirs simples et leurs voisinage, qu’on fait voler au vent au gré des minima sociaux. Une fois que vous êtes en train de vous interroger sur la violence, le sens du combat s’efface, il n’y a plus de sens à être là. S’il n’y a plus de sens, on a plus de repères, on fait n’importe quoi, on erre au gré des sollicitations émotives des médias de masse. Le 13 avril, pour la manifestation « Sème Ta ZAD » [https://zad.nadir.org/spip.php?article1383], le carrefour avait été déserté par les militaires. Une ambiance de fête avait alors flotté sur la ZAD, après la journée de travaux agricoles. Des gens s’étaient relayés pour construire de nouvelles chicanes afin de retarder le retour des hommes armés. Ces chicanes, qu’on peut observer sur la D281, ont le double objectif de ralentir les voitures sur la zone très fréquentée par piétons et cyclistes et de pouvoir se transformer en barricades en cas d’attaque des forces du désordre. Il n’y a eu aucune concertation pour défoncer le bitume à la pioche, choisir les emplacements des obstacles de chicane. Le laitier, les transports scolaires, les tracteurs avec remorque, tous les gens qui empruntent la D81 n’ont pas été consultés. C’est peut­être un défaut de fonctionnement aux yeux de certains. Mais ces emplacements sont ceux d’un combat crucial pas que symbolique.

Le carrefour de la Saulce, avec son barrage militaire, c’est la matérialisation de l’enfermement de millions de gens par cette alliance entre le marché et la bureaucratie.

Pour faire disparaître le projet d’aéroport, il ne suffit pas de pétitionner et de manifester car ces actions sont comme des coups d’épée dans le brouillard. La Préfecture de Loire Atlantique et Vinci ont montré avec une étonnante splendeur la proximité qu’ils ont dans la réalisation de leurs objectifs propres et de leurs objectifs communs : l’ancien Préfet ayant préparé tout le dossier administratif de l’aéroport est devenu conseillé salarié de la multinationale. Leur appétit vorace de détruire les forêts et augmenter les dépenses d’énergie ne peut être assouvi qu’avec l’emploi de la force brutale sur la nature et sur les hommes qui la défendent. La pétition elle, ne les empêche pas, elle les retarde seulement. Aussi il apparaît absolument indispensable de ne pas s’engouffrer dans la fable du gentil flic qui ne peut pas aller partout sur le territoire national à cause de vilains casseurs anarchistes qui voudraient supprimer l’état de droit dans la zone qu’ils habiteraient par le biais d’un méchant projet d’aéroport. Ce serait la perte de sens du combat. Au contraire, faisons corps et unité pour dénoncer la militarisation du carrefour de la Saulce par des hommes armés. Il est important de réfléchir rapidement à matérialiser en région toulousaine la résistance à la militarisation des espaces de vie, des gares, des stations de métro, du carrefour de la Saulce à Notre­Dame­Des­Landes. Les hommes en armes sont les mercenaires des multinationales, ils n’ont pas l’idée de justice avec eux, ils n’ont que les lois actuellement en vigueur leur autorisant l’usage arbitraire de la force mais ce droit sera balayé par le nouveau monde. La violence n’est pas et ne sera jamais une fin en soi. Notre adversaire, ce n’est pas le politicien ou la politicienne, le journaliste ou la journaliste, le gendarme ou la gendarme. Notre adversaire, c’est la déshumanisation du monde. Derrière chaque uniforme ou rôle officiel, il y un homme ou une femme qui peut encore se reconnecter au monde sensible. Ce monde doit imposer aux cupides et aux autoritaires que la destruction du vivant (humanité et nature n’en font qu’un) n’est pas compensable par des procédures générant du PIB. Ensemble nous briserons cette alliance entre l’Etat et le Capitalisme, entre les cupides et les autoritaires, entre le marché et la bureaucratie. Entre la lâcheté et la violence, je préfère encore la violence. L’exemple n’est pas la meilleure façon de convaincre. C’est la seule.