Zad, nddl, questions d’héritages ?
Category: Local
Themes: Aéroport Notre-Dame-des-LandesZad
Places: NantesZAD
Tout pousse à la ressemblance quand plusieurs dizaines d’années après Plogoff et le Larzac, des milliers de manifestants se réunissent contre un nouveau projet d’infrastructure. Un fil immédiat se tisse comme une filiation incontournable qui invite à épouser les formes déjà éprouvées, sans jamais les dépasser.
Il suffit pourtant de passer quelques jours sur la zad, dans les cabanes, dans les fermes, sur les barricades ou encore dans les assemblées, pour observer que cette lutte n’est pas entrain de s’enfermer dans l’imaginaire saturé des grandes mobilisations passées.
Quelque chose s’invente ici, à la croisée entre des héritages historiques, des désirs immédiats et des projections vers l’avenir.
Cette lutte est exemplaire parce qu’elle réunit cette composition de gens, plutôt différents, mais solidement attachés à l’idée que cet aéroport ne verra pas le jour. C’est sa force de circonstance et sa faiblesse dans le temps. Elle est un point de concentration de ce qui cherche à sortir des impasses du présent, et qui le cherche parmi des dizaines de chemins possibles.
Qu’on se le dise, peu d’entre nous ont déjà eu l’occasion de mener une lutte sur un temps aussi long, avec aussi peu de personnes qui se ressemblent. C’est une drôle de composition qui nous réunit là, et une drôle d’intuition qui nous aide à tenir tête, face à bien plus armé que nous.
D’aucun diront qu’il faut tirer un trait sur le passé, partir de notre déracinement pour construire à nouveau, d’autres affirmeront au contraire que c’est dans le passé que nous trouverons réponses à nos questions. Nous autres qui écrivons cette invitation croyons plutôt qu’il faut saisir ce qui circule entre les temps, qu’il faut incorporer certaines traces que le passé nous a laissé, et les charger de conséquences, ici et maintenant. Nous voulons trouver un rapport avec les luttes qui nous ont précédées, qui ne soit ni mimétique, ni conjuratoire.
Avec l’arrivée des beaux jours, et le calme précaire que le préfet de Nantes s’est trouvé contraint d’installer (et qui pourrait durer quelques temps encore), nous proposons plusieurs moments de discussions avec des acteurs de certaines luttes qui ont retenu notre attention. Des luttes qui ressemblent fort à celle que nous menons, d’autres plus urbaines, qui font echo à certaine pratiques dont nous nous emparons.
Deux discussions sont déjà programmées pour le mois d’avril et mai, dans la grange de la WARDINE (le long du chemin de Suez), d’autres suivront certainement.
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Discussion le 16 avril, 18h à la Wardine.
**** Lutte contre la construction d’un barrage à Serre de la Fare, en haute loire, 1989/1990. ****
Proximité et radicalisation dans le temps
entre l’opposition à Serre de la Fare (1989-90)
et la Zone à défendre à NDDL
S’il fallait garder en mémoire pour les temps futurs ce qu’apporta à la conscience humaine l’opposition au projet de barrage de Serre de la Fare, dans les Gorges de la Loire en amont du Puy-en-Velay, indéniablement ce serait la construction du néologisme « écolocrates ». C’est dire si l’opposition a constitué le sens le plus déterminant de cette lutte. Non pas que la défense de ce site sauvage n’ait pas mobilisé des milliers d’individus : aussi bien la population locale attachée à cette arrière-cour, emplie de mystères et d’émotions, que cette circulation continuelle d’individus, pris souvent dans d’autres conflits du même genre (vallée d’Aspe, Gardon du Mialet, etc.), et que l’éclatement de la crise écologique avait mis sur la brêche. Des traits communs à ces oppositions locales émergentes apparaissent : manifestation nationale au Puy au printemps 1989, occupation du site du futur chantier, coordination des associations sur le bassin de Loire.
Á cette époque, la crise de l’Économie n’avait pas atteint le niveau que l’on connaît maintenant ; c’est-à-dire que pour l’Etat la gestion écologiste apparaissait d’autant plus prioritaire qu’il lui fallait imposer l’idée que toute solution (partielle évidemment) ne pouvait passer que par lui et ainsi renforcer son autorité, et donc pour cette tâche recruter un nouveau personnel d’encadrement : l’opposition à la poursuite de l’aménagement de la Loire a pu nourrir en son sein une véritable pépinière de contre-experts que l’Etat ne tardera pas à coopter dans des organes croissants de bureaucratisation. Rapidement le petit comité local d’origine (SOS Loire vivante) se métamorphosa en institution locale, connectée à un réseau d’ONG. De plus, l’essor du parti des Verts, suite à son succès aux municipales de 1989, ou les ambitions du WWF qui avait dépêché sur place un émissaire pour « manager » l’opposition, eurent tôt fait de vouloir imposer leur tutelle : mais ils butèrent contre l’autonomie dont faisaient preuve partiellement les occupants du site du futur chantier. L’opposition n’était pas le fait de propriétaires ou d’habitants expulsables de ce site majoritairement sauvage. Cette absence à l’origine de base sociale homogène (à la différence du Larzac ou de Plogoff) suscita un atout nouveau : n’importe qui pouvait s’identifier à cette opposition, y participer et occuper. Il y avait un contraste entre les occupants dont la présence s’éternisait agréablement et qui aiguisaient au fil des jours leurs convictions anti-barrage, et des visiteurs, pourtant armés de leur bonne conscience écolo mais qui ne pouvait pas rester davantage. Seuls ceux qui ne jouissent d’aucun rôle social pouvaient s’attarder et être disponible pour autre chose.
Le roulement continu des occupants s’appuyait sur un noyau stable d’une trentaine d’individus. Le rapport conflictuel ente les occupants et l’encadrement citoyenniste portait évidement sur la tentative permanente d’instrumentaliser les fantassins sur place par l’état major en bureau au Puy : en même temps l’encadrement ne pouvait évidement se passer d’eux pour espérer avoir quelque poids dans les approches ou discussions avec l’Etat ; en même temps, les occupants, quoi que dépendants pour l’intendance, ne se laissaient pas modeler pour constituer une vitrine « clean ». Mais,à la différence du rapport entre les forces en présence à NDDL, les zadistes de l’époque pesaient peu de poids par rapport à la base électorale de Verts aux municipales de 1989 au Puy, ville distante de 15 km seulement (23% des voix). Faut-il voir dans l’approfondissement actuel de la crise sociale le terreau qui nourrit de plus massives résolution ? Heureusement qu’à Serre de la Fare pour nuire à l’ambiance médiatique et citoyenne (nous étions en 1989 !) une fraction des occupants quitta l’association initiale, créa un comité d’action et poussa la critique incessante contre les combinaisons possibles par une chronique assez intensive, qui parut soit par articles dans la presse libertaire nationale, soi par tracts réguliers diffusés localement, soit par brochures, ce qui permit de battre en brêche toute prétention des citoyennistes à monopoliser le sens et l’expression de cette opposition. Les textes étaient lus,ils étaient clairs et cohérents, ils établissaient une continuité critique et ils venaient de la base : autant dire que cette activité critique a pu peser sur le cours des événements. En définitive, après plusieurs moratoires et reports,l’engagement du projet sans cesse différé fut abandonné, mais de sorte que la manœuvre soit réglée hors de portée des émotions populaires.
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Discussion vendredi 17 mai,
18h à la Wardine.
**** Assemblée Générale des avortements, Nantes, 1973. ****
« L’assemblée générale n’est ainsi qu’une histoire particulière, l’histoire d’un groupe d’individus qui s’approprient un instrument particulier (la technique karman) qui lui procure une réelle autonomie, dans un moment où la division des classes dominantes, et surtout la force sous-jacente du prolétariat moderne, autorisent une subversion sans risque laissant ainsi champ libre aux esquisses d’un réel pouvoir des femmes sur elles-mêmes »
L’AG des avortements
1973, l’avortement est interdit et passible de la prison. En réaction aux luttes féministes qui ont pris corps les années précédentes, des projets de loi commencent à voir le jour qui envisagent la dépénalisation de l’IVG, encadrée par l’institution médicale. Apparaît bien là la question de la gouvernementalité : pour gérer sa population l’État retire l’usage des savoirs et techniques des mains de ses administrés, pour les interdire purement et simplement ou les réserver à ses propres instruments de contrôle.
Les femmes pourtant ont toujours eu des pratiques d’avortements et, on le sait bien aujourd’hui, c’est leur interdiction qui a empêché ces techniques de se transmettre et se pratiquer dans de bonnes conditions. Et ce n’est pas uniquement de manque d’hygiène et de douleur dont il est question mais aussi d’isolement, d’urgence, de pression financière et sociale.
1973, l’Assemblée Générale de Nantes pour l’avortement s’est créée en s’emparant d’une technique (la méthode Karman, reconnue pour sa simplicité, ses risques minimes et une douleur moindre que la méthode par sonde pratiquée jusqu’alors) et a porté ce geste interdit publiquement. L’enjeu n’était pas de demander une prise en charge par l’État ; en son sein des femmes et des hommes agissaient contre un rapport d’aliénation qui les tient et pour la possibilité d’une décision dont les femmes étaient dessaisies : celle du choix de porter un enfant ou non.
L’assemblée a également posé la question de la technique comme moyen de reprendre (force et) pouvoir sur nos vies, et c’est précisément cette approche qui nous donne envie de discuter de cette expérience aujourd’hui sur la zad :
Comment était pensée la transmission de ce geste ?
Comment s’appréhendait la question de la spécialisation ?
Pourquoi ce choix de la forme Assemblée Générale ?
Cette expérience aurait elle pu se poursuivre après la légalisation de l’avortement ?
Comment, d’après leurs termes, “faire de l’appropriation d’une technique le renversement d’un rapport social” ? Car c’est bien avec des visées explicitement révolutionnaires que pendant deux ans l’Assemblée s’est réunie en tentant de répondre à un besoin vital pour des centaines de femmes.
Ces questions nous intéressent parce qu’elles sont inhérentes à toute expérience qui cherche les moyens de sortir d’une dépossession, et ce sur tous les plans de la vie.
La ZAD nous pose de telles questions, sur le rapport au territoire, à la terre, à la vie autre qu’humaine, à la production agricole. Par exemple, il nous semble qu’une expérience comme « Sème ta zad » amène aujourd’hui à s’interroger sur la question basique mais essentielle du besoin de se nourrir et des moyens de produire Qui produit ? Pour qui ? Comment ? Et surtout, comment les pratiques qu’on sera amenés à développer ne perdront pas de vue qu’il y a aussi un monde à renverser ?
Oui – bon… la fraction du comité d’action de serre de la fare, on était trois – et encore, pas tout le temps. Et dire qu’on représentait une quelconque base ou que nous en étions issus, ça mérite une longue discussion
sur ce qu’est “la base” alors, puisque nous étions les radicaux de service –
ce que nous avions reconnu nous-mêmes en nous dissolvant à la fin, pour
cesser de jouer ce rôle attendu.
Ce qui est incontestablement vrai, ce sont que les textes que nous sortîmes alors, jamais réédités
depuis, mais ça viendra,restent importants, et par la description des rapports politiques et sociaux, et je crois encore plus par un début d’identification des pièges auxquels nous nous prenons nous-mêmes et que nous (re)confectionnons.
Je les avais transmis il y a quelques années, après le camp climat, sans qu’il y ait eu de suite à l’époque.
Voir la page sur le blog de la petite murène : Verdun diy/Ni l’alsace, ni
la lorraine, qui sont parmi les développements actuels de ce que j’ai pu apprendre et penser
à cette occasion, notamment sur les formes-buts-pièges qui nous paraissent évidentes et avec lesquelles nous nous balisons d’emblée le bac à sable.
Plume