Venir « faire un tour » au carnaval, « redécorer le mobilier urbain », « changer d’apparence » en se maquillant pour l’occasion, « brûler une marionnette géante », et puis « faire la fête », avant de rentrer, chacun chez soi. Comme toute permission, ce que le carnaval a de haïssable, c’est son organisation. Cette organisation qui, sur fond de fête païenne, d’ultimes excès précédant le jeûne purificateur ou, comme aujourd’hui, de déambulation récréative, contraint la puissance libératrice qui traverse le carnaval à s’oublier. Si tout s’inverse durant le carnaval, le jugement qui y est rendu par la foule et qui en sonne le glas marque un retour à l’ordre normal des choses.

Au cœur de cette mise en scène où tout se veut écrit à l’avance, le carnaval ne manque jamais de mettre au jour sa duplicité : être à la fois l’ordre et sa remise en question, son fondement et sa mise à mort manquée. Si le carnaval en son organisation est la conjuration de tout changement, expiation d’une possible libération, celle-ci ne peut empêcher que le carnaval ne soit, dans un même mouvement, appel lancé en direction de cette possibilité. Et c’est en cela que le carnaval menace toujours de déborder les limites qu’on lui fixe. Si le carnaval de Toulouse s’est arrêté, ce n’est pas, comme certains veulent le faire croire, parce que plus personne ne voulait l’organiser : il y fut contraint parce que son impudence devenait chaque année plus incontrôlable.

Comprenons ceci : le caractère parodique du carnaval est ce par quoi peut être vaincu l’ironique triomphe de son organisation. Autrement dit, la théâtralisation nécessaire de l’acte de fondation du pouvoir ouvre sur un possible travestissement révolutionnaire : usage imprévisible des masques ne cachant plus rien que leur absence de « visage ». Ne plus s’en remettre à son visage, c’est se prémunir contre les opérations d’identification du pouvoir (social, policier, culturel), c’est un refus de répondre présent tout en affirmant une présence qui excède la fiction sociétale. Et c’est bien cela que nos gouvernants et leur loi du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, redoutent : un usage poussant le carnavalesque en dehors des murs du carnaval et qui se retrouve aujourd’hui dans la floraison des masques à gaz au sein des manifestations, Guy Fawkes et les Anonymous., la naissance du black-block égyptien.

Cet usage, c’est ce que Toulouse Métropole et son carnaval cherchent à exorciser.

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Le temps du carnaval — pris dans le filet des temporalités festives tissant notre quotidien —, est un temps court, temps de l’ivresse dont la recherche effrénée renseigne pourtant sur un certain désir d’être ensemble. Et au fond, il n’y a pas de préalable à la joie que cela procure.

Prise au sérieux, la fête se fait moment de la lutte.

Mettons-les devant la fête accomplie