A renault-cléon , les métallos entre le marteau patronal et l’enclume syndicale
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Un chantage patronal soutenu par le gouvernement et certains syndicats
Le 15 janvier 2013, la direction de Renault a annoncé son intention de supprimer 7 500 emplois en France d’ici 2016, soit 15 % de ses effectifs. Elle « s’engage » à ne licencier personne si et seulement si les syndicats signent son « accord de compétitivité ».
Ce dernier prévoit :
► la remise en cause de l’accord 35 heures Renault, qui équivaut à une augmentation de la durée annuelle de travail de 4 à 21 jours travaillés en plus par an selon les sites et les statuts) ;
► l’abaissement de la majoration des heures supplémentaires à 10 % au lieu de 25 % ;
► un accroissement de la flexibilité : gestion du temps de travail selon les besoins de la production et des périodes de congés davantage imposées ;
► le blocage des salaires
Après les premiers signes de colère, Renault a laissé de côté son projet de « mobilité » imposée au sein de deux pôles de fabrication : Nord-Est (Douai, Maubeuge, Batilly en Lorraine) et Ouest (Flins, Le Mans, Cléon et Sandouville), mais a maintenu le reste du projet.
Ce plan a reçu le soutien du gouvernement en la personne du ministre Montebourg qui a appelé les salariés de Renault à se soumettre au chantage patronal et les syndicats à signer l’accord. Il a déclaré : « Il faut regarder la situation de l’industrie automobile européenne, qui licencie des gens et ferme des sites. Renault propose tout le contraire : pas de licenciements, des départs volontaires, et augmentation de la charge des sites. […] Certes le temps de travail va augmenter de 6 % mais pour les salariés qui sont actuellement en dessous des 35 heures. […] j’invite les partenaires sociaux à s’emparer de toutes les possibilités de cet accord pour négocier des contreparties sérieuses, des éléments de protection supplémentaires, par rapport aux efforts demandés. Je préfère des efforts modérés, des efforts certes, plutôt que des faillites, des fermetures et des pertes de substance industrielle. » (La Voix du Nord, 1er février)
Sans rire, la CFDT a jugé que « globalement équilibré » l’accord « représente le levier de changement durable de la stratégie et de l’activité industrielle de Renault en France, par delà les incertitudes de l’évolution du marché en Europe » (communiqué du 19 février).
Début mars, la CFDT, la CGC et FO ont annoncé qu’ils signaient l’accord, ce qui lui permettra d’entrer en application rapidement.
C’est donc un front gouvernement-patronat-syndicats que les prolétaires vont devoir affronter. Rien de surprenant ou de nouveau dans tout cela !
Un point a son importance : à la différence de PSA, il n’existe pas de syndicat jaune (le SIA, ancienne CFT-CSL) chez Renault et la CGT domine. C’est le cas en particulier à Cléon, en Seine-Maritime, près de Rouen.
La CGT entre défense des salariés et défense de l’entreprise
La CGT de Cléon appelle à la lutte contre cette « régression sociale » en organisant des débrayages d’une ou deux heures et quelques journées de grève pour « faire grandir encore et toujours le rapport de force pour montrer à la direction que l’opposition à son projet grandit ». L’objectif est de construire une riposte « avec une série d’arrêts de travail qui nous redonnent confiance » (tract du 15 janvier).
On peut cependant constater, à la lecture des tracts de la CGT, que – jamais – n’est affirmé le fait que les travailleurs n’ont pas d’autre arme que le blocage de la production par la grève illimitée et l’extension de la lutte aux autres usines. Après que la CFDT, FO et la CGC aient approuvé l’accord, la CGT Cléon avait comme seule perspective de se « faire entendre, lorsque le Comité d’établissement va être convoqué pour que la direction y présente l’organisation du travail » (tract du 14 mars).
Au contraire, les grèves sont présentées comme des moyens de pression… sur les syndicats les plus ouvertement collaborationnistes (CFDT, FO et CGC) pour qu’ils ne signent pas l’ « accord » avec le patronat, ce qui obligerait ce dernier à repousser son application d’à peu près quinze mois (tract du 7 février).
La CGT de l’usine dénonce l’attaque constituée par « l’accord de compétitivité », les suppressions d’emplois et l’aggravation de l’exploitation. Mais comme le veut la vieille habitude réformiste, la CGT s’en prend non pas aux « bons » industriels mais uniquement aux actionnaires qui sacrifient les entreprises capitalistes pour un profit à court terme : « si Renault s’apprête à amocher nos vies et nous faire les poches, c’est exclusivement pour dégager des moyens pour remplir celles des actionnaires. Et pas pour garantir la survie de toutes les usines françaises. » (tract, 19 février). Donc, au nom d’ « une autre stratégie industrielle » pour cette multinationale (interview du secrétaire du syndicat dans Informations Ouvrières, 24 janvier 2013) avec des « investissements [qui] doivent porter sur l’innovation et le développement » (« Une interview de Pascal Morel, secrétaire du syndicat CGT de l’usine Renault-Cléon », www.actioncommuniste.fr, 18 février), elle avance des revendications qui lient le sort des ouvriers à celui de l’entreprise et de ses profits (tract du 8 janvier) :
► « rééquilibrer les volumes de production entre les sites Renault (France, Roumanie, Turquie, Slovénie, Espagne …) afin de permettre d’utiliser pleinement les capacités de productions françaises, et de ne plus sur-utiliser celles des autres pays » pour « réduire les coûts de fabrications globaux des autres véhicules [car] avec plus de volumes, les coûts fixes diminuent » c’est-à-dire supprimer des emplois dans les usines hors de France !
► « les usines françaises doivent répondre à la demande des clients en fabriquant en temps et en heure les véhicules vendus sur les principaux marchés (France, Allemagne …), y compris les Logan, Duster, Lodgy » car « Les ventes resteraient “rentables“ »
► « les organisations du travail doivent être repensées en profondeur, avec les salariés eux-mêmes, à partir des difficultés qu’ils rencontrent au quotidien pour bien faire leur travail » c’est-à-dire associer les prolétaires à l’organisation de leur exploitation !
► « réorganiser et donner des moyens (financiers et humains) à la recherche et développement en laissant nos chercheurs faire fonctionner leur imagination » (?!)
Le syndicat ressort également des pleurnicheries nationalistes genre « Renault brade son héritage et Carlos Ghosn privilégie Nissan » (« Une interview de Pascal Morel »)
Au final, le syndicat se lamente que « La direction continue d’ignorer les propositions CGT, bien qu’elles permettraient d’assurer l’avenir de l’entreprise (et ses emplois [!] ) en conjuguant progrès social et économique » (tract du 7 février). Pour couronner le tout, elle ressort l’arme magique de la nationalisation « avec une participation des travailleurs à la réflexion et aux décisions » ! (« Une interview de Pascal Morel »).
Malgré son radicalisme verbal, la CGT de Renault Cléon est tout aussi réformiste que ses compères de la Fédération CGT de la Métallurgie qui revendiquent « le maintien et le redéveloppement d’une industrie automobile forte en France tournée vers la réponse aux besoins doit être un des axes prioritaires de la politique industrielle de notre pays » (« L’avenir de la filière automobile en France », www.ftm.cgt.fr) : pour la CGT le plus important est la défense de l’entreprise, la défense des travailleurs est entre parenthèses…
FO : champion du chauvinisme et de l’esprit d’entreprise
Le syndicat FO, minoritaire sur le site, joue la surenchère. Il dénonce l’accord et appelle aux débrayages car, selon lui, « La pression de tous les syndicats locaux des différents sites sur leur organisation syndicale centrale doit aboutir par une non signature de l’accord, un refus de négocier, car il n’y a rien à négocier si ce ne sont des reculs sociaux » (tract FO Cléon du 28 janvier). FO feint de s’interroger : « A Paris, les responsables syndicaux chercheront-ils un prétexte pour aller à l’encontre de ceux qu’ils représentent ? » (tract FO Cléon du 28 janvier).
Cette fausse indignation face au collaborationnisme des directions syndicales nationales n’est qu’une posture. Ce même syndicat dénonce le président de Renault comme un mauvais gestionnaire : « A aucun moment on ne critique les choix et l’incompétence d’un patronat maladroit et aveugle qui a engendré cette crise. […] Le véritable responsable, c’est Carlos Ghosn qui affiche Renault perdant depuis 2005, qui n’a pas arrêté d’enrichir les actionnaires, qui a terni l’image de Renault à travers l’affaire du contre‐espionnage, qui n’a pas su renouveler sa gamme en temps voulu, qui a délocalisé nos productions, qui a mis Nissan au premier plan. » (tract FO Cléon du 28 janvier)
FO se place entièrement sur le terrain du patronat allant jusqu’à écrire que « La compétitivité n’est pas un gros mot, il s’agirait encore de ne pas en détourner sa définition » (tract FO Cléon du 11 février). De plus, dans le même tract, le syndicat FO est aussi le chantre du chauvinisme : pour lui, « Carlos Ghosn joue la carte Nissan au détriment de Renault et de ses salariés ».
C’est le même discours nationaliste que sa fédération qui pleurniche sur « Le sacrifice de l’outil France » (FO Métaux, « Compétitivité des sites France ») et la « stratégie anti-française » de Ghosn (FO Métaux, « Ce n’est pas la bonne stratégie »). C’est également le même collaborationnisme qui se lamente que « Les salariés français ont toujours joué la carte de Renault. Les dirigeants de Renault sauront-ils jouer la carte des salariés français qui ont fait sa force et sa réussite passée ? » (« Compétitivité des sites France »).
La force passée de Renault, c’était l’exploitation de ses travailleurs ; dans un contexte de concurrence accrue entre capitalistes, il joue aujourd’hui exactement la même carte en voulant renforcer cette exploitation : si vous voulez la « réussite » de Renault, il faut accepter cette exploitation accrue !
Et en réalité, c’est bien ce que veut FO quand, avec la CGC, elle propose la mise en place de « zones franches, à fiscalité et charges très réduites, autour des usines françaises de la filière automobile, celles de Renault ou de PSA, mais aussi des équipementiers » (Les Echos, 25 février), c’est-à-dire des salaires réduits et des conditions de travail dégradées pour les travailleurs !
Les syndicats se posent en défenseurs de l’entreprise face à un mauvais patron. Mais avec ou sans Ghosn, la crise de surproduction de l’automobile existerait, les capitalistes augmenteraient l’exploitation des prolétaires pour restaurer leur taux de profit… et les syndicats collaboreraient !
Les prolétaires n’ont pas et n’auront jamais à proposer aux bourgeois une bonne gestion de leurs usines. Ils doivent défendre de manière exclusive et déterminée leurs intérêts sans se soucier de ceux de l’entreprise ou du pays.
Action communiste : le national-réformisme « made in France »
Depuis la fin des années 1980, les trotskistes de la LCR ont été associés à la direction du syndicat CGT Renault. Dès 1991, les ouvriers qui avaient voté majoritairement la poursuite de la grève ont pu voir les dirigeants de la LCR appeler, comme la CGT, à la reprise du travail.
Aujourd’hui, la CGT de l’usine est – de fait – dirigée par une coalition entre groupes d’ « extrême » gauche. Longtemps, le secrétaire et le secrétaire adjoint du syndicat étaient deux militants de la LCR puis du NPA. Depuis 2011, le secrétaire est un militant d’Action communiste, une scission locale du PCF, et le secrétaire adjoint est le porte-parole régional de Lutte Ouvrière.
Action Communiste est le fer de lance de la propagande nationaliste dans l’usine. Ce groupe avance qu’ « Il faut arrêter de laisser l’UE et les patrons décider seuls. Il faudra renationaliser : les banques, la SNCF, les grandes entreprises qui liquident l’industrie en France » (« En finir avec le capitalisme pour en finir avec les délocalisations », 9 octobre 2012). Depuis des années, AC tient un discours anti-européen et protectionniste tout en reprenant les vieilles lunes réformistes comme la relance de la consommation pour sortir de la crise . Il demande aussi au gouvernement et à la direction de Renault de « relancer la recherche et la production de petites voitures, favoriser la relocalisation et la vente des voitures produites en France » et « diversifier la production de ses sites » (« Renationaliser Renault », 19 novembre 2008). Encore et toujours, l’opportunisme met en avant son « réalisme » pour résoudre la crise du capitalisme !
AC s’inscrit pleinement dans la galaxie des débris « orthodoxes » du PCF et avoue s’être « inspiré des textes et propositions de nos amis et camarades de Rouges-Vifs, du M’Pep, du PRCF » (« Ils font des profits. Ils détruisent nos emplois. Ils investissent à l’étranger », 1er mars 2013). Que du beau linge ! Le Mouvement politique d’émancipation populaire (M’PEP) et le Pôle de renaissance communiste en France (PRCF) organisent actuellement une campagne commune car, excusez du peu, « Confortée et approfondie par les acquis de civilisation de la Résistance et de la Libération, la République une et indivisible fondée par la Révolution française est en danger de mort ». Par nationalisme, le M’PEP a même soutenu lors des législatives le gaulliste très droitier Nicolas Dupont-Aignan. De son côté, le PRCF a constitué avec des groupuscules gaullistes un « Arc républicain de progrès » pour une « union du peuple Français autour de la Nation et de la République » (« Déclaration commune », décembre 2010, www.comite-valmy.org).
Les « Rouges Vifs » sont membres du Rassemblement des Cercles Communistes – fervent supporter du Front de Gauche – qui dans un récent tract célèbrent la Chine capitaliste qui « crée des millions d’emplois, élève le niveau de vie des travailleurs, massifie l’éducation, l’instruction de haute qualité de la jeunesse, généralise l’accès aux soins de la population grâce une politique antilibérale rendue possible par la nationalisation et la propriété d’état des secteurs clefs de l’économie » (« Non au chômage! Non aux baisses de salaire ! Nationalisation des entreprises qui ferment ou délocalisent sans indemnisation des patrons », février 2013). Les prolétaires chinois soumis à une exploitation bestiale et qui depuis quelques temps multiplient les luttes apprécieront…
Les nationaux-réformistes d’AC n’ont à offrir qu’un programme 100% bourgeois de défense de l’économie nationale et de l’impérialisme français contre ses concurrents. Le communisme leur est complètement étranger. La défense de la « souveraineté nationale » et de la « culture républicaine française » remplace toute réelle référence au marxisme.
Du chauvinisme au racisme, il n’y a qu’un pas… qu’AC franchit allègrement. Comme un vulgaire groupe d’extrême droite, il s’élève contre« la démagogie sans-papiériste qui apporte de l’eau au moulin de l’exploitation capitaliste » (« Ascenseur pour les fachos » 17 novembre 2011)
Le NPA, une aile gauche de la bureaucratie CGT
Pour sa part, le NPA n’avance aucune réelle perspective de lutte. Il entend construire « une immense manif nationale avant le vote au Parlement » de l’accord patronat-syndicats en espérant « que les organisations syndicales qui ont refusé de signer appellent désormais à des mobilisations à la hauteur de l’enjeu » (Bulletin Cléon, 17 janvier 2013). Il appelle à une bien vague « mobilisation d’ensemble contre les diktats du patronat et du gouvernement » (Bulletin Cléon, 31 janvier 2013). Le NPA cherche à faire du lobbying sur les bonzeries syndicales qui devraient mettre « toute leur énergie dans la construction d’un rapport de forces susceptible de renverser la vapeur », ce dernier servant à faire du lobbying sur les députés « contre la ratification par le Parlement de l’accord MEDEF-CFDT-CGC-CFTC de janvier sur l’emploi » (bulletin NPA Cléon, 14 février). Le NPA est bien loin du terrain de classe ! Il veut faire croire que les directions syndicales – traîtres depuis des décennies – pourraient engager la lutte et mener à la victoire les prolétaires.
Et, par interclassisme et comme le Front de Gauche et la CGT, il cache le fait que non seulement l’accord est signé par le MEDEF qui regroupe les grandes entreprises mais tout autant par les exploiteurs des PME et de l’artisanat, regroupés dans le CGPME et l’UPA également signataires du texte. Évidement, pour tous les réformistes, l’ennemi désigné n’est pas le mode de production capitaliste mais seulement le grand patronat.
Ces « anticapitalistes » défendent comme d’habitude des « mesures transitoires » dont les trotskistes ont le secret : encore et toujours « l’interdiction des licenciements et des suppressions d’emplois » (Bulletin Cléon, 14 février) mais également l’ « ouverture des livres de comptes, expropriation, nationalisation sous le contrôle des travailleurs/euses » (« Refuser le chantage et les licenciements à Renault », communiqué NPA, 16 janvier 2013), en clair se faire de nouveau exploiter par l’Etat-patron comme au bon vieux temps de la Régie nationalisée ! Le tout justifié au nom d’une « bonne » répartition des richesses dans le cadre du capitalisme car « L’argent existe, les profits du CAC 40 le montrent tous les jours » (Bulletin Cléon, 28 février) : pas besoin de renverser le capitalisme, il suffit de mieux partager le gâteau, grâce sans doute à de bonnes lois, et tout ira bien !
Grattez l’ « anticapitalisme » affiché du NPA et vous trouverez le bon vieux réformisme qui rêve de revenir à l’époque de l’État-providence.
Lutte Ouvrière et L’Étincelle ou le bon sens populaire
De son côté, Lutte Ouvrière ne dit rien de particulier sur Cléon. Les articles dans Lutte Ouvrière des 25 janvier et des 1er et 8 février se contentent d’être des comptes-rendus de la mobilisation et ne tracent aucune perspective de lutte.
C’est dans les « feuilles de boîte » de LO que se déploie tout son réformisme. Celle du 4 février – qui sert d’éditorial à l’hebdomadaire (« Quand on se bat, on n’est pas sûr de gagner, si on ne se bat pas, on est sûr de perdre ») – dénonce les attaques patronales qui « causent des dégâts incalculables pour toute la société » (bourgeoise !) et s’apitoie sur les « petites entreprises [forcées] à mettre la clé sous la porte » et la fermeture d’ « usines modernes, qui pourraient fabriquer pour de longues années encore des biens utiles » (pour qui?). LO s’apitoie sur les travailleurs, non pas victimes du capital, mais de « l’avidité croissante des actionnaires de Renault » (Lutte Ouvrière, 14 février)
La réponse de LO est d’intégrer les prolétaires à la gestion capitaliste des entreprise avec – en levant le secret des affaires – « un contrôle à l’échelle de l’ensemble de vie économique […] exercé par les travailleurs eux-mêmes » qui serait « un devoir civique » car « seuls les travailleurs peuvent au jour le jour assurer un contrôle efficace et tirer la sonnette d’alarme avant que le mal soit fait » (feuille Renault Cléon, 19 février).
Les prolétaires ne peuvent « contrôler » le capitalisme, comme premier pas vers sa suppression, que lors qu’il ont pris le pouvoir ; mais la tâche que leur assigne LO , c’est d’ « avertir » quand ça va mal : avertir qui , sinon les responsables non prolétariens toujours au pouvoir, les bourgeois ?
Ah, si les bourgeois voulaient bien suivre les judicieux conseils de gestion de LO, que le capitalisme serait bon pour les prolétaires !
Comme la CGT de l’usine, pas un mot sur l’impérieuse nécessité d’un retour à des mots d’ordre et à des méthodes classistes. Pas un mot sur l’hypocrisie des syndicats non-signataires dont les prolétaires n’ont rien à attendre.
Ce n’est pas très étonnant de la part d’une organisation qui à la tête de la CGT PSA Aulnay a construit pendant des mois un bloc pourri avec le SIA (Syndicat Indépendant de l’Automobile), syndicat pro-patronal qui a signé, avec la direction de PSA, un projet d’accord sur les « mesures sociales d’accompagnement » (sic) des licenciements et qui dénonce la « grève de la honte »et « le climat de terreur qui règne à Aulnay et appelle les pouvoirs publics à intervenir sans délai ». On a les alliés que l’on mérite !
L’Étincelle a été exclue il y a quelques années de LO et elle a maintenant intégré le NPA.
Dans l’autre usine Renault de la région rouennaise – celle de Grand-Couronne – L’Étincelle est implantée et publie une « feuille de boîte ».
Malgré le sous titre ronflant de sa publication « Pour la construction d’un parti des travailleurs communistes révolutionnaires », L’Étincelle défend fondamentalement une ligne réformiste.
Leur feuille du 28 janvier pose la question à propos de la surcapacité des constructeurs automobiles « à qui la faute ? » La réponse de la Fraction sont simples : les « portefeuilles [des travailleurs] mis à plat par la rigueur et les licenciements partout en Europe » : autrement dit le « remède à courte vue » des capitalistes qui s’attaquent aux salaires et aux emplois pour accroître les profits ( « la crise a bon dos ! » écrivent-ils bêtement)empêche les travailleurs d’acheter des voitures.
Pour L’Étincelle comme pour tous les réformistes la crise vient de la sous-consommation des masses : augmentez les salaires et multipliez les emplois, et la crise s’évanouira !
Bien différente est l’explication marxiste : « Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s’abat sur la société, – l’épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée; on dirait qu’une famine, une guerre d’extermination lui ont coupé tous ses moyens de subsistance; l’industrie et le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d’industrie, trop de commerce» (Le Manifeste). La solution des crises est donc la liquidation de forces productives en surnombre (fermetures d’usines, licenciement de travailleurs, jusqu’aux gigantesques destructions des guerres) pour restaurer le taux de profit des entreprises survivantes qui peuvent ainsi recommencer un cycle productif… jusqu’à la crise suivante, tant que le prolétariat n’a pas la force de détruire ce mode de production.
L’Étincelle donne également des objectifs purement réformistes au combat contre l’ « accord de compétitivité » et ne met pas en avant des méthode de lutte classistes. Elle appelle à « faire converger leurs luttes pour s’opposer aux licenciements, pour imposer des mesures d’urgence qui fassent payer la facture de la crise à ceux qui en sont responsables et en ont en plus les moyens : la classe capitaliste » (« Des partenaires sociaux bien décidés à lier les mains des travailleurs pour leur faire les poches », Convergences révolutionnaires, janvier-février 2013) et à « briser l’isolement et tenter de créer enfin les conditions de cette riposte d’ensemble qui donnerait tout leur sens à des mesures comme l’interdiction des licenciements, le partage du travail entre tous, en imposant que l’ensemble de la bourgeoisie paye pour ceux des leurs qui sont défaillants » (« Nationalisations provisoires ou temporaires, ou garantie des emplois et des salaires pour les travailleurs ? », Convergences révolutionnaires, janvier-février 2013)
Au final, L’Étincelle avance une explication réformiste de la crise couplée avec des « mesures d’urgence » d’aménagement du système capitaliste et des fumisteries comme « le partage du travail » et « l’interdiction des licenciements » par l’État bourgeois !
Matière et Révolution : de l’ anti-collaborationnisme aux vieilles recettes réformistes
Matière et Révolution (M&R) est issu de la Fraction L’Étincelle qu’elle a quitté pour ne pas intégrer le NPA. Ce groupe diffuse des bulletins d’entreprise La Voix des travailleurs, en particulier au centre technique Renault de Lardy.
A la différence des autres groupes trotskistes, M&R dénonce de manière claire et nette le collaborationnisme qu’il soit de gauche ou d’ « extrême » gauche. Elle défend l’idée juste que les appareils syndicaux sont des ennemis des prolétaires au même titre que l’État ou les patrons. Elle critique sévèrement les syndicats qui « négocient » et, en particulier, les dirigeants LO de la CGT de PSA Aulnay qui ont refusé de lancer une grève rapidement après l’annonce des suppressions d’emplois, qui ont formé une alliance avec le syndicat-maison et qui enferment la lutte dans le cadre localiste de « non à la fermeture de l’usine d’Aulnay » au lieu de l’étendre aux autres usines touchées par le plan Varin.
Cependant, malgré cette dénonciation du collaborationnisme ne se traduit pas par des revendications classistes. M&R recycle différentes vieilles élucubrations purement réformistes.
Pour M&R, le capitalisme n’est pas en crise mais les fermetures d’usine seraient la conséquence de sa « financiarisation » : « On nous fait croire aussi que l’ensemble de l’activité industrielle est en surcapacité et doit donc se réduire. C’est encore faux. La cause de la désindustrialisation est ailleurs : dans le retrait massif des capitaux privés de leurs investissements industriels et commerciaux et leur investissement massif dans la sphère bancaire et financière » (Bulletin, 14 novembre 2012). M&R reprend les lamentations réformistes classiques régulièrement proférées par LO : « les capitalistes désinvestissent pour spéculer » (Bulletin, 11 janvier 2013). En fait plus les capitalistes investissent et plus la situation du prolétariat se dégrade !
Lénine montrait, il y a un siècle déjà, que le capital financier, les banques deviennent en vertu du développement capitaliste les véritables acteurs de la centralisation du capital, accroissant la puissance de gigantesques monopoles. Au stade impérialiste du capitalisme, c’est le capital financier qui domine les marchés, les entreprises, toute la société, et cette domination conduit elle-même à la concentration financière jusqu’au point où «le capital financier, concentré en quelques mains et exerçant un monopole de fait, prélève des bénéfices énormes et toujours croissants sur la constitution de firmes, les émissions de valeurs, les emprunts d’Etat, etc., affermissant la domination des oligarchies financières et frappant la société toute entière d’un tribut au profit des monopolistes» (L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme).
En conséquence, si le capitalisme ne connaît pas une crise de surproduction, la situation de Renault – selon M&R – serait la conséquence d’une mauvaise stratégie de sa direction : « pas de nouveau modèle, pas de production prête quand le client est prêt à acheter, pas d’incitation à acheter avec des avantages clients comme auparavant, pas de facilité de crédit. On peut dire que Renault s’est désinvesti des voitures pour garder son cash et jouer avec au casino des bourses et des dettes souveraines… » (Bulletin, 12 février 2013). Marx avait pourtant expliqué en long et en large que le but de toute entreprise capitaliste était la production de profits et non pas celle de telle ou telle marchandise…
Mais M&R fait la leçon à Renault pour avoir fait de mauvais choix capitalistes : « Choix de ne pas baisser les prix, choix de ne pas produire à l’avance par rapport aux ventes, délais de livraison trop importants, par exemple pour la nouvelle Clio » (Bulletin, 11 janvier 2013).
Comme LO dont elle est un avorton, M&R offre ses bons conseils à la bourgeoisie pour gérer au mieux ses entreprises !
Les réponses aux attaques capitalistes que propose M&R sont tout aussi réformistes : « Réquisitionner les entreprises qui licencient, bloquer tout le trust quand ils jettent une usine. Casser leurs banques puisqu’ils sont tous transformés en banque, appeler les clients à retirer leur argent de ces institutions, provoquer s’il le faut des paniques contre les banques qui soutiennent nos licencieurs » : appel aux clients, à l’Etat (pour « réquisitionner »), tout sauf la lutte de classe !
Et il cite comme exemple Lip dans les années 1970 et son utopie autogestionnaire qui « n’avait pas craint de saisir le capital (argent, montres et plans) et de refuser la légalité patronale, pour ensuite réquisitionner l’entreprise et la faire tourner au seul profit des salariés ! » (Bulletin, 11 janvier 2013). Faut-il, une fois de plus, dénoncer la nature purement bourgeoise de l’autogestion qui oblige les prolétaires à s’auto-exploiter pour faire marcher l’entreprise qui reste intégralement capitaliste?
Derrière un discours radical et combatif, Matière et Révolution cache en fait une nature profondément réformiste qu’elle a héritée de Lutte Ouvrière : même analyse anti-marxiste de la crise, même revendication réformiste.
Une seule issue : lutter sur le terrain de classe
A Cléon comme ailleurs, il est nécessaire pour les prolétaires de prendre en main leurs luttes, de s’organiser de façon indépendante sur des bases de classe, de ne pas laisser le mouvement entre les mains des appareils syndicaux même dirigés par des « révolutionnaires » qui n’ont pas un mot dans leurs journaux, tracts ou communiqués pour mettre en garde les travailleurs contre l’orientation des syndicats, de chercher la solidarité non pas des « clients », mais de leurs frères de classe.
Des décennies d’intoxication démocratique, pacifiste et interclassiste distillée par les réformistes ont paralysé les prolétaires. Cependant, le rôle des communistes demeure de favoriser tout pas en avant vers la réappropriation des méthodes et des mots d’ordre classistes, ce qui nécessite de travailler à la rupture avec le collaborationnisme politique et syndical.
Les faiblesses de luttes actuelles sont inévitables, car elles sont le résultat de longues années de collaboration des classes et de pacifisme social ; elles témoignent que le processus long, difficile et complexe de la réorganisation classiste du prolétariat sera long, difficile et complexe. Mais ces faiblesses doivent être mises en évidence, comprises et combattues, en particulier en montrant clairement quels sont les facteurs de défaite dans le combat de classe : le corporatisme, le localisme, le légalisme, les divisions de toutes sortes, …
La critique qui doit être faite de l’action des trotskistes chez Renault n’est pas de ne pas avoir engagé la lutte : Ils ont réellement tenté de construire une grève, dans un contexte défavorable, face au chantage patronal.
La trahison des trotskystes consiste en ce qu’ils ne permettent pas aux prolétaires d’éviter les pièges de l’adversaire, mais qu’ils contribuent à les enfermer dans un collaborationnisme « combatif » qui lie leurs intérêts à ceux de l’entreprise et qui les place non pas sur le terrain de l’affrontement ouvert de classe, mais dans le cadre légaliste de la « négociation » – fût-ce sous la pression de la lutte – entre « partenaires sociaux ». Ouvriers et patrons ne sont pas des « partenaires », ils sont des ennemis de classe !
* * *
Il est nécessaire pour les prolétaires de s’engager dans toutes les luttes économiques immédiates – même si elles ne dépassent pas l’objectif purement défensif de la résistance à l’aggravation de leur exploitation – car elles peuvent représenter un progrès dans le sens du réveil de l’initiative prolétarienne et de la réappropriation des méthodes de la lutte de classe. Si elles sont menées avec ces méthodes et ces moyens classistes, elles deviennent des étapes non seulement inévitables mais aussi indispensables vers la reprise future de la guerre de classe, la lutte révolutionnaire contre le capitalisme ; comme le disait Marx, « si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d’entreprendre tel ou tel mouvement de grande envergure » (Salaire, prix et profit, 1865).
Parti Communiste International
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