Vendre son corps à un patron, tomber dans les mains de la police d’État ou de la police familiale, de la police communautaire ou religieuse. Devoir travailler à en crever ou se retrouver à la dèche, ou alors atterrir en prison. Être soi-même une marchandise, et devoir courir sans cesse derrière d’autres marchandises : pour se loger, s’habiller, bouffer, aimer, lire et voyager. Chair à travail, chair à école, parfois chair à canon… c’est notre lot à tous, ça nous oppresse tous, quotidiennement.

Et il faudrait qu’on baisse la tête, qu’on encaisse les coups, qu’on ferme notre gueule, qu’on attende une illusoire retraite, un illusoire paradis, un illusoire Grand Soir ? Il faudrait qu’on s’évite mutuellement, qu’on ne se regarde pas ni qu’on ne se parle, qu’on reste entre petites bandes fermées, entre gens de même origine. Qu’on se tape dessus pour une embrouille à dix euros, pour un bout de shit, pour une histoire de jalousie, pour une connerie de drapeau, une connerie de religion, une connerie de nationalité… pour des conneries d’identités.

Partout sur cette terre c’est la même chose : partout les pauvres, les exploités et les dominés s’en prennent plein la gueule, sont acculés dans des quartiers qui sont comme autant de prisons à ciel ouvert, pour qu’ils se marchent dessus et s’entre-tuent. Alors parfois, on pense obtenir quelque chose en se réappropriant cette prison, ce bidonville, ce ghetto. Parfois on se retranche dans « notre » quartier parce qu’on nous a parqués là, comme on parque les animaux dans des cages.

S’identifier et s’accrocher à la misère à laquelle l’Etat et l’économie voudraient nous réduire ? Ou alors combattre cette foutue misère, s’attaquer à tout ce qui la produit, à tout ce qui nous tient enfermés : aux rôles et aux identités qu’on nous colle sur la gueule, aux usines dans lesquelles le capitalisme nous fait crever à petit feu, aux écoles dans lesquelles on nous bourre le crâne et on nous apprend la peur, aux banques qui s’enrichissent sur notre exploitation, aux prisons et aux commissariats dans lesquels l’Etat nous enferme derrière des barreaux en fer, aux tribunaux et à ces salopards de magistrats qui nous jugent et nous condamnent, aux temples dans lesquels toutes les religions nous menacent de tel ou tel châtiment terrible si jamais nous osons être trop libres à leur goût.

Cette société de merde, nous y sommes dedans jusqu’au cou. Cette guerre sociale, qu’on ne peut pas ne pas voir (à moins d’être aveugle, sourd et malhonnête), nous en sommes au cœur, tous autant que nous sommes. Alors puisque nous n’avons qu’une vie, autant faire nos choix le plus vite possible, et aussi le plus clairement possible.

Faisons un choix : celui de diffuser la révolte contre tout ce qui nous rend la vie impossible, en joignant autant qu’on peut l’acte à la parole, en sapant la paix sociale, à commencer par là où nous vivons, parce qu’on y trouve à portée de main les structures et les personnes qui nous empoisonnent le quotidien. Mais nos cœurs et nos pensées vont bien au-delà de ce petit bout de territoire et des barrières qui l’enserrent. La révolte explose partout ailleurs, et nous pouvons reconnaître le violent désir de liberté partout où il émerge de cette triste vie, en un grand éclat de lumière, avec un grand fracas.

En Égypte, la population s’est soulevée et se soulève encore, parce qu’il n’y a pas trente-six façons de se réapproprier sa vie, sinon de terrasser la peur et de détruire ce qui nous détruit. Nous voulons nous aussi faire exploser cette révolte au-delà des frontières, sans attente ni médiation, nous réchauffer par de grands feux de joie où la domination brûlera pour de bon. Et nous avons soif d’une liberté totale et non négociable, d’une vie sans chaînes, de vie.

A bientôt donc, sur les barricades enflammées.

Des anarchistes.

[Tract trouvé dans les rues de Paris, février 2013]