Paul Ariès, politologue, s’intéresse aux conséquences de la mondialisation en cours. Il est l’auteur des Fils de McDo, La McDonalisation du Monde (Editions l’Harmattan). Il publie également depuis de nombreuses années sur la question des sectes, notamment aux éditions Golias : Le Retour du Diable, satanisme et extrême droite ; La Scientologie, une secte contre la République ; Les Sectes à l’assaut de la santé ; Libération animale ou nouveaux terroristes ? et récemment Enquête sur un pouvoir occulte : l’anthroposophie. Ras l’front a voulu en savoir plus en lui demandant en quoi ces questions sont politiques, ce qu’elles nous apprennent sur ce monde en construction et sur les combats à mener.

Les sectes, laboratoires du futur ?

La lutte contre les sectes ne doit pas être assimilée à une entreprise de normalisation. Il existe des groupes marginaux qui défendent mieux que la société ses propres valeurs. Les sectes actuelles ne sont pas un legs du passé ni même un phénomène marginal. Les Etats-Unis contrôleront bientôt par leur biais
le tiers de la population d’Amérique latine. Elles sont donc un instrument de pouvoir et de coercition au service des grandes puissances mais aussi un miroir grossissant de nos propres logiques/phantasmes.
Elles représentent une machine de guerre contre toutes les formes d’humanisme et de progrès. Il n’est donc pas étonnant qu’elles se développent à l’échelle planétaire au moment même où la « marchandisation » de l’homme et de la bio-diversité gagne du terrain. Les sectes surfent donc sur ce phénomène de profanation de ce qui était reçu comme « sacré » (la solidarité, l’égalité) et de sacralisation du profane (le marché, la techno-science).
Il n’existe pas de sectes qui ne remettent ouvertement en cause l’égalité entre les personnes ou qui aient ou proposent pour la société des solutions de type démocratique. Les sectes totalitaires sont à l’extrême droite. Les antifascistes ne peuvent donc s’en désintéresser. Elles forment un cheval de Troie au sein même de nos sociétés démocratiques. Les sectes veulent purifier l’homme en le débarrassant de sa « mauvaise » part comme d’autres (les mêmes ?) voudraient purifier la société de ses asociaux ou étrangers.

Sectes sataniques et néo-nazisme

Chacun a encore en mémoire le jugement récent condamnant à vingt ans de prison David Oberdorf pour avoir poignardé à mort un abbé en 1996 sous l’emprise d’un « flash » satanique. La bonne presse en a largement rendu compte mais s’est faite plus discrète sur l’arrière-plan idéologique de cette affaire liant satanisme et culte nazi. Ce rapprochement est malheureusement trop courant pour être passé sous silence. Un jeune Nîmois de 20 ans vient ainsi de mettre fin à ses jours. Ses parents l’ont découvert mort dans sa chambre avec une mise en scène macabre : tenue noire de cérémonie, cagoule sur le visage, casque stéréo sur les oreilles. Le jeune homme était en effet un fan de « death metal » et d’art gothique : chants de la Waffen SS, littérature satanique, etc. Les renseignements généraux ont alors recensé trente-six groupuscules sataniques dans ce seul département du Gard. Ces sectes néo-sataniques ne sont pas archaïques mais très en phase avec la modernité.

Le satanisme a une histoire

Le satanisme a connu quatre grandes périodes. Il naît en France au XVe siècle dans l’entourage de Gilles de Rais (maréchal de France et compagnon de Jeanne d’Arc), noble ruiné qui pratique l’alchimie et tente d’appâter le diable en lui sacrifiant des enfants. Ce satanisme sauvage se ritualise au XVIIe siècle à la cour de Louis XIV pour devenir une contre-initiation catholique (croix inversée, hosties percées, couvertes de sperme, de sang, femme nue remplaçant l’autel, dessins pornographiques à la place des icônes, etc).
Ce modèle va perdurer jusqu’au milieu du XIXe siècle où apparaissent d’autres façons de s’opposer radicalement à la société (athéisme, anarchisme, communisme ou socialisme dans ses multiples variantes). Ce satanisme traditionnel va pratiquement disparaître jusqu’au milieu des années 50. Il se rédeveloppe ensuite en Italie dans les milieux néo-fascistes autour de Julius Evola, philosophe italien important et idéologue en vogue de la nouvelle droite européenne.
Le baron Evola (1898-1974) se définissait lui-même dans des termes non équivoques : « Nous ne sommes ni fascistes, ni antifascistes. L’antifascisme n’est rien, le fascisme est trop peu. Nous voudrions un fascisme plus radical, plus intrépide; un fascisme vraiment absolu, fait de force pure, inaccessible à tout compromis » (sic). Evola aura un flirt prolongé avec des proches de l’Ordo Templi Orientis (OTO), groupe de magie sexuelle (modernisée par Aleister Crowley) mais aussi avec la SS dans laquelle il voyait le germe de la civilisation idéale. Il trouvait cependant le fascisme italien et le nazisme beaucoup trop modérés et préférait La Garde de
fer du fasciste roumain Codréanu. Evola redevient depuis dix ans un emblème des forces extrémistes et néo-fascistes. Il a aussi l’honneur de grands colloques universitaires et de toute une presse « paganiste ». On trouve parmi ses émules bon nombre d’anciens de Défense de l’Occident.

Des groupes marqués à l’extrême droite

Ces groupes néo-satanistes ou de magie sexuelle sont désormais marqués à l’extrême droite : ils refusent par exemple toute assistance envers les plus pauvres (sécurité sociale) ou interdisent à leurs adeptes de procréer en cas de problème génétique (handicaps). Sous couvert de darwinisme social, ils véhiculent ainsi une conception ouvertement eugénique. On retrouve ces positions dans l’Eglise de Satan mais surtout dans le Temple de Seth dirigé depuis les Etats-Unis par l’ex lieutenant colonel Aquino, grand admirateur d’Himmler. L’objectif est identique : créer une race de seigneurs dominant une majorité d’esclaves.
Ces groupes sont dangereux car ils parviennent à manipuler n’importe qui (rock, BD). Des groupes de musique satano-nazis se font teutoniques en Alsace, cathares dans le Sud-Ouest, druidiques en Bretagne pour mieux infiltrer les mouvements traditionalistes. Les fanzines ne sont pas en reste avec des articles élogieux à la gloire des SS, du fascisme, des néo-nazis, publiant de véritables chartes du parfait petit soldat de Satan.
Ces réseaux satanistes ne croient pas au diable
Ces réseaux satanistes ne croient pas au Diable mais ils l’instrumentalisent. Ils considèrent que l’histoire de l’humanité est de type cyclique. L’âge d’or (l’Agartha) serait derrière nous mais nous le retrouverons plus tard devant nous, au bout du cycle. Ils partent donc d’un constat commun mais
en tirent des leçons aux conséquences funestes : la société actuelle est pourrie mais il faut la pourrir davantage pour arriver à l’âge d’or. De ce fait, tout ce qui détruit, tout ce qui fait mal, peut être considéré comme salutaire. Cela donnera les vagues d’attentats terroristes noirs en Italie dans les années 70, les réseaux pédophiles liés à l’extrême droite.

L’apartheid religieux de l’extrême droite païenne et paganiste

Une certaine extrême droite paganiste s’est faite une spécialité de défendre les groupes qualifiés de sectes dangereuses par les rapports parlementaires (français, belges, etc.). Elle voit dans ce foisonnement de pseudo « religiosités » une arme contre le « judéo-christianisme » et le « judéo-bolchévisme » responsables de la « décadence ». Le « nationalisme-révolutionnaire » a toujours flirté avec ces milieux païens et paganistes. C’était vrai au temps d’Hitler (en particulier les SS), cela reste encore exact.
L’objectif est double. Il s’agirait tout d’abord de renouer avec un passé « indo-européen ». Le judaïsme (religion du désert) serait une religion étrangère aux peuples d’Europe. Il serait dangereux car en posant l’égalité devant Dieu, il postulerait l’égalité des hommes. Ce paganisme restera confidentiel jusque vers 1970 (en raison de l’horreur nazie) puis le Grece le sortira des ténèbres pour en faire le cheval de Troie de la Nouvelle Droite. Il faut relire ce qu’écrivait alors Alain de Benoist (patron du Grece) : « L’intégration du christianisme au système mental européen fut l’événement le plus désastreux de toute l’histoire. (…) Nous pensons que les peuples doivent vivre à leur rythme, que les cultures doivent se développer sur les schémas de pensée auxquels elles ont elles-mêmes donné naissance. Le judaïsme est certainement parfait pour les juifs comme l’est l’Islam pour les Arabes. (…) Il n’y a pas de raison pour que les Européens coulent perpétuellement leur pensée dans le moule d’une idéologie religieuse qui ne leur appartient pas. » Ce livre sera précédé par celui de Jean Mabire et Pierre Vial. Mabire est un spécialiste du druidisme et des SS français. Il sera avec Vial co-fondateur d’Europe-Jeunesse, mouvement de scoutisme du Grece.
Vial verra lui en Marc Augier (alias Saint-Loup, leader des SS français) son véritable père spirituel : « Saint-Loup a fait de moi un païen, c’est-à-dire quelqu’un qui sait que le seul véritable enjeu, depuis deux mille ans, est de savoir si l’on appartient aux peuples de la forêt ou à cette tribu de gardiens de chèvres qui, dans le désert, s’est autoproclamée élue d’un dieu bizarre – un “méchant dieu”, comme disait l’ami Gripari. J’ai donc à l’égard de Saint-Loup la plus belle et la plus lourde dette. (…) Je fais partie de ceux qui ont découvert le signe éternel de toute vie : la roue toujours tournoyante, du Soleil Invaincu. » Ce même Vial sera un temps adjoint à la culture de Millon.

Plutôt le paganisme que l’athéisme, plutôt les sectes que la République !

L’extrême droite païenne et paganiste n’est pas seule à défendre les sectes dangereuses. Une partie de l’extrême droite catholique pactise aussi avec elles, pour d’autres raisons. Nous avons consacré de longs passages du Retour du Diable à exposer le rôle de la société Tradition, Famille, Propriété (TFP) dénoncée comme secte et laboratoire idéologique de tout ce qu’il y a de plus réactionnaire allant jusqu’à soutenir le coup d’Etat de Pinochet et les grands propriétaires fonciers hostiles à toute réforme agraire. Comment ne pas citer aussi les phalangistes de la Contre-Réforme catholique ?
Le CESNUR est devenu le champion de la défense des sectes dans le monde intellectuel, ce qui ne l’empêche pas de multiplier les colloques universitaires (Lyon-II récemment) sous la direction de Massimo Introvigne, fervent catholique conservateur, conseiller du pape et enseignant à l’Athénée Pontifical Regina Apostolorum de Rome (Université des Légionnaires du Christ), assisté de Jean-François Mayer, conseiller de l’État suisse et ancien collaborateur du Grece, ex-éditeur d’Evola, ex-amateur de la croix celtique. L’extrême droite catho craint-elle qu’on regarde de trop près ce qui se passe dans l’Opus Dei ou dans d’autres groupes extrémistes qui ont aujourd’hui le vent en poupe dans l’Eglise ?

La scientologie contre la liberté, l’égalité, la fraternité

La scientologie le dit ouvertement, son modèle préféré n’est pas la démocratie. Elle considère d’ailleurs qu’il existe trois types d’humains : les « bons » (eux-mêmes), les « méchants » (les suppressifs qualifiés ainsi car ils nuisent à la scientologie) et les « PTS » (Sources Potentielles de Troubles) qui ont le défaut d’être un peu trop humains. La scientologie ne cesse en effet de mesurer les hommes au moyen de nombreux tests. Répétons-le : un humain ne se mesure pas, un homme c’est un homme. Point final ! La scientologie revendique trois solutions pour gérer ses adversaires : les transformer en scientologues (mais cela prend trop de temps), les mettre en quarantaine (en camp ?) et les éliminer sans remord car les vipères sont des compagnons agréables à côté d’eux (extrait de Science de la survie de L. R. Hubbard, fondateur de la scientologie). La scientologie combat bien sûr le syndicalisme et les grèves jugées contre-productives. L’interrogatoire de sécurité pour adulte de 1961 comprenait cent questions du type : As-tu déjà été impliqué dans un avortement ? As-tu jamais commis d’adultère ? As-tu déjà pratiqué l’homosexualité ? As-tu jamais pratiqué la sodomie ? As-tu jamais couché avec un membre d’une autre race ? As-tu déjà été communiste ou as-tu quelque chose à voir avec le communisme ? Est-ce que tu penses que le communisme a de bons côtés ? (Se reporter pour la description des niveaux « secrets » à Scientologie, laboratoire du futur ?).

Les raéliens, des antiracistes bien inégalitaires

Les sectes soucoupistes (si gentilles en apparence) postulent l’existence d’extraterrestres qui se choisissant des « élus » réintroduisent l’inégalité parmi les humains (faut-il rappeler l’U-Xul-Club fondé par l’ex fondateur du Parti national-socialiste français ?). Le mouvement Raélien est présent dans 84 pays et compte environ 50 000 membres. Cette pseudo-religion se dit antiraciste mais il suffit de lire les thèses colportées par son gourou depuis sa rencontre avec des extra-terrestres pour les trouver antipathiques : « Sous les régimes médiocratiques actuels, on donne une éducation semblable aux génies en herbe et aux imbéciles. (…) Il est tout de même surprenant de constater que l’on s’occupe actuellement mieux des arriérés mentaux ou des handicapés que des surdoués. » Comment s’étonner dès lors que les Elohims préfèrent la « géniocratie » (gouvernement des géniaux) qui réserve le droit de vote et d’être élu aux plus forts ? N’est-il pas dès lors normal que leur recréation scientifique (via l’ADN ou clonage) soit inégalitaire c’est à dire réservée aux meilleurs ou que l’on découvre que la seule raison d’être d’Israël soit d’accueillir l’ambassade des Raéliens ou bien de disparaître (sur ce point et les projets raéliens de clonage humain, lire Les Sectes à l’assaut de la santé).

Lutter contre les sectes

La lutte contre les sectes totalitaires n’a pas besoin d’autres arguments que ceux qui fondent le combat contre les autres visages du fascisme et du racisme. L’Eglise d’Euthanasia, le Mouvement pour l’extinction volontaire de l’espèce humaine (VHEMT) ne sont certes pas identifiés comme sectes, ils n’en sont pas moins dangereux.
Est-ce un hasard si les fascistes français qui prônent ouvertement la guerre raciale viennent de se doter d’une forme religieuse (Eglise mondiale du Créateur) ? Eglise ou pas église, un fasciste reste un fasciste et doit, à ce titre, être combattu avec force.

Paul Ariès politologue, Lyon-I