Hamam Chatt, Hamam Lif, Erriad, Rades.

Mellaha (les champs de sel en arabe), cité populaire de la banlieue sud de
Tunis, près de Rades. C’est le même « dossier social » (sic) que celui du
bassin minier de Ghafsa. Mais il s’agit de dockers et non pas de mineurs.
Un quartier très pop où pas grand chose n’existe pour égayer l’existence
excepté le café, les cartes, les petits et gros larcins, et allah, biensûr
qui y est particulièrement bien implanté grâce à ces nouveaux soldats: les
salafistes.

Le leitmotiv, depuis le 14 janvier 2011, à Mellaha, c’est liberté, dignité
et (donc) travail. Eh oui, les amis, le chômage payé n’existe pas ici! Ils
ont eu affaires aux Mokawals (entrepreneurs) depuis de nombreuses années:
ces intermédiaires au nom de qui sont fait les contrats de travail et qui
prennent leur part sur le salaire. Depuis le 14 janvier, ils ont fait
dégager les mokawals. Mais pour du vrai, ça n’a pas changé grand chose…

Ces dernières semaines, il y a eu beaucoup de sittings et de barrages dans
ce coin. Cibles privilégiées : les routes qui mènent au port. Il y eut 6
sitting, à chaque fois les autorités sont venues discuter et faire des
promesses. Entre temps, 120 places d’embauche sont disponibles dans la
STAM (société de maintenance et d’accostage du port de Rades). La Stam,
« c’est une grosse société qui paye bien »; de plus, il y a toutes sortes de
petits trafics à faire avec les marchandises qui sont débarquées dans le
port.

120 places donc. Sur lesquelles les gens de rades comptaient beaucoup. Eh
bien, 23 places sont allées aux gens de la banlieue. Le reste pour le
grand Tunis et pour d’autres régions. Ce fut la première cause de la
colère de Mellaha. Ensuite, comme ils sont au pouvoir, ils mettent leur
patte partout : Ennahda est derrière les résultats du concours de
recrutement de la Stam. 4 postes ont été à la même famille (ici, c’est la
famille au sens unicellulaire). Le principe de recrutement est de faire en
sorte que dans chaque famille il y en ai un qui travaille. Enfin, depuis
janvier 2011. Tout cela pour dire qu’il y a beaucoup de magouilles, de
clientélisme et que les gens en ont marre.

Lors du dernier sitting, le vendredi 13 avril, la police a réussi à faire
passer les camions par un autre itinéraire. Avertis de la manoeuvre, les
manifestants ont … changé de place: ils se sont placés au rond point
auquel arrive toutes les routes qui vont à Tunis. Mais le commissaire
avait prévu le coup et nos amis étaient attendus au dit rond point par
quelques brigades de sécurité nationale. Les affrontements ont duré toute
la nuit. Et les manifestants réussissent à chasser les flics.

Le lendemain, le samedi 14, débarquent des unités d’un autre corps de
police : les cagoulés de la BIG, les brigades d’intervention générale. Et
que font-ils : ils attaquent les maisons, frappent tout ce qui leur passe
sous la main.Il y a des images de shibanis frappés (des petits vieux), et
ça, ici, ça a pas mal choqué les gens! Ils arrêtent 23 personnes. Il y a
d’ailleurs beaucoup de blagues sur le nombre d’arrêtés car il correspond
au nombre de nouveaux emplois pour Rades… Comme lors de la manif du 9
avril, dans le centre ville de Tunis, se sont joints aux cagoulés, les
miliciens d’Ennahda.

Une section locale de la ligue (LDDH) fait deux communiqués sur les
événements et envoyent des avocats. Ils exigent que toutes les personnes
soient relâchées sans condition et les poursuites annulées. Ils veulent
aussi mettre en lumière à la fois les pratiques policières et la présence
des milices.

Le dimanche, les autorités disent que les personnes arrêtées vont passer
devant le juge le mercredi. Coup de théâtre, lundi soir : le bureau du
gouvernorat et le chef de la police disent que toutes les personnes
arrêtées seront libérées mardi.

Mardi. La seule jeune fille arrêtée et les deux mineures sont relâchés.
Mercredi après midi: procès. Deux ou trois sont libérés au compte goutte.
l’audience est suspendue jusque jeudi.

Le même jour, les femmes de Mellaha, très en colère, organisent un
sitting. Sitting n’est pas spécialement associée à une occupation
pacifique ici. C’est un synonyme d’occupation. Le gouvrneur, qui connait
très bien la chanson ( » Paroles, Paroles, Paroles »), promet la libération
sans condition. La même mascarade depuis dimanche matin.

Jeudi. Un certain nombre de manifestants arrêtées sont libérés. 3 sont
encore en cabanes. Et le procès est remis au 3 mai. Il concernera la
totalité des personnes arrêtées … finalement.

Mais il y a un autre endroit où cela fait presque encore plus mal que les
hideuses manipulation des autorités et de la justice: dans la cité, les
islamistes foutent la pression. A grand coup de paradis dans l’autre vie,
gna gna gna, et de « si vous restez sages, vos enfants seront libérés ». Et
entre autre chose, ils menacent celles et ceux qui veulent entamer des
poursuites. Tous les moyens sont bons pour Ennahda, propagande contre les
mécréants (marionnettes des occidentaux), politique du réalisme
(pragmatisme) et corruption. Et ça embrouilles pas mal, évidemment.
Certains, certaines se retrouvent entre les assoc. socio dem et les
délégués du gouvernorat.

C’est la memerdre et ça retourne le bide.