Si récemment encore, la bourgeoisie présentait la situation économique belge comme une exception en Europe, plus personne aujourd’hui ne nie l’impact de la crise mondiale sur le pays. Rapports chiffrés et déclarations des “responsables” s’accumulent pour appeler la population à prendre conscience de la situation catastrophique et à se serrer la ceinture au nom d’une solidarité avec le système en place.

En Belgique aussi, l’avenir que nous promettent nos dirigeants s’annonce de plus en plus sombre.

Un système économique sans perspective

A la mi-février, 114 banques étaient menacées d’une dégradation de leur note par les agences de notation et la plupart des grandes banques belges ne répondent pas aux nouvelles normes de solvabilité, imposées par l’Europe d’ici à 2019. D’autre part, partout en Europe et dans le monde, des pays voient leur note de solvabilité dégradée par ces mêmes agences. La bourgeoisie dans tous les pays se rend compte de l’impasse, mais les recettes qu’elle avance ne présentent point de soulagement, comme en témoigne le récent sommet à Davos.

Faire marcher la planche à billets crée encore plus d’argent et provoque une flambée d’inflation. Stimuler de nouveaux emprunts et des déficits pour créer ainsi des débouchés artificiels n’offre pas plus d’issue dans un monde surendetté. Depuis des décennies le capitalisme vit, ou plutôt survit, à crédit. Augmenter les revenus de l’Etat par une augmentation des impôts, ce qui implique une restriction du pouvoir d’achat et une augmentation des coûts de production, ne fait qu’accentuer encore l’enfoncement dans la récession. Reste à réduire les dépenses des Etats et des entreprises. Pour l’Etat, cela passe par des coupes budgétaires afin de réduire le poids de l’endettement et élargir la marge de manSuvre pour les opérations de sauvetage des banques et des industries en difficulté. Pour les entreprises, le mot d’ordre est de baisser le coût de production des marchandises en espérant être moins chères que les concurrents et de garder suffisamment de profit sur leurs ventes. Dans la pratique, cela veut dire délocaliser davantage la production vers des régions aux coûts moindres, augmenter la productivité, supprimer la partie excédentaire de l’appareil productif, diminuer la charge salariale (directe et indirecte). Dans tous les cas, les salariés, ceux qui produisent les biens dans le monde entier, paient la note. Même si les économistes, tels P. De Grauwe, avertissent que cette politique entraîne à son tour un rétrécissement consécutif du pouvoir d’achat et donc du marché réel.

La bourgeoisie belge et son gouvernement, enfin sorti de couveuse, sont confrontés exactement aux mêmes dilemmes :

– elle doit gérer une dette de l’Etat dépassant en 2012 les 100% du PIB, plaçant la Belgique dans le même panier que la Grèce, le Portugal ou l’Italie ;

– elle fait face à une inflation croissante de 2,7% par rapport à 2011 ;

– il lui faut diminuer la vulnérabilité du financement public, fort exposé au secteur financier en difficulté, une situation comparable à l’Irlande. Après l’effondrement de la banque Fortis, c’est Dexia qui annonçait récemment une perte de 12 milliards d’euro en 2011. En outre, son incapacité à rembourser les garanties d’Etat cause un trou de centaines de millions d’euro dans le budget fédéral;

– elle veut mener une politique de relance, mais est dans le peloton de tête des 9 pays à croissance négative au sein de l’Union européenne, tandis que la récession entraine de plus en plus de restructurations d’entreprises ;

– elle est obligée de réduire un trou budgétaire qui s’accroît constamment, ce qui nécessite toujours plus de mesures d’austérité supplémentaires.

Et ses réponses ne sont pas différentes de ce qui se passe partout en Europe : réduction du nombre de fonctionnaires, allongement des carrières et réduction des allocations de retraite, augmentation de la flexibilité (emplois précaires, contrats limités) et de la productivité (moins d’absentéisme, d’interruptions de carrière payées, plus de maladies, de dépression, de stress&), pression accrue sur les chômeurs et réduction des allocations, recul des salaires, augmentation des taxes indirectes. En même temps, restructurations, délocalisations et licenciements se multiplient dans tous les secteurs : dans le port d’Anvers, la sidérurgie wallonne, Beckaert, Van Hool, Procter&Gamble, Crown-Cork, Nokia-Siemens, Alcatel-Lucent, …

Voilà l’image d’un système sans autre perspective que l’imposition d’une misère et d’une violence toujours plus brutale et inhumaine.

Eviter la remise en cause du système

Dès l’annonce des mesures du gouvernement Di Rupo sur les pensions, le front uni des organisations syndicales a décrété “un programme ambitieux de manifestations et de grèves”, culminant dans une journée de grève générale en janvier. Le président du parti socialiste flamand Tobback taxait immédiatement cette journée de grève générale de “bombe atomique” face à des mesures finalement fort modérées par rapport à ce qui était imposé dans d’autres pays européens. Dès ce moment, toute la campagne autour de cette grève générale a été orientée sur la division des travailleurs: débats autour du pour ou contre cette grève, sur la manière de mener la grève (qui mènerait à prendre en otage ceux qui ne veulent pas faire la grève et notre économie en difficulté). La classe est divisée par secteur et par usine face aux effets de la crise: secteurs publics opposés aux privés, secteur des transports en grève bloquant les secteurs non en grève, grandes entreprises opposées aux petites entreprises. Division entre générations : la grève générale est la grève des vieux qui veulent garder leurs avantages sur le plan du chômage et des retraites aux dépens des jeunes.

Derrière une unité de façade et des actions apparemment radicales, les syndicats organisent ainsi la division tous azimuts et évitent soigneusement toutes possibilités de mobilisation réelle et de discussions de fond sur la situation, brisant ainsi toute perspective de développement des luttes. Les mesures et les attaques sont vues comme des faits ponctuels, séparés. Aucun lien ou signe de solidarité n’apparaît entre conflits sociaux (entre Van Hool, Beckaert, Crown Cork ou les fonctionnaires par exemple). De fait, cette campagne enfermait la classe ouvrière dans une alternative pourrie: ou bien adhérer aux actions impuissantes syndicales, c.-à-d. la manifestation nationale en décembre et puis la grève générale d’un jour fin janvier, ou bien subir les mesures dans l’inertie : il y a le problème des sans-abris, oui, mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Les licenciements c’est grave, mais que faire? La vision par secteur et par usine amène à penser que certains secteurs ne sont plus assez performants, que leurs produits ne sont plus vendables et qu’il faut effectivement les rationaliser.

Mais l’effet le plus pervers de “l’échec” de la “bombe atomique” de la grève générale d’un jour, c’est l’avantage que la bourgeoisie belge en tire pour éviter toute réflexion sur une alternative au système en crise. Si la “bombe atomique” n’a pu arrêter les mesures, “arrêtons de rêver et essayons ensemble de gérer au mieux la crise du système”: voilà en résumé le message que la bourgeoisie, avec l’aide de ses syndicats, veut faire passer. Son plus grand souci est d’écarter à tout prix une remise en cause du système en tant que tel et l’envisagement de son remplacement par un autre. L’indignation et la colère des exploités ne cesseront de croître face aux plans d’austérité successifs, en Belgique comme ailleurs et il faut éviter que cela aboutisse à la remise en cause du système. Les discours mystificateurs des gérants du système font dès lors appel au sens de responsabilité collectif et à la solidarité nationale pour “gérer ensemble” les problèmes. La lutte contre la fraude fiscale est mise en avant, comme si c’était une solution miracle, une punition pour les capitalistes (qui récupéreront évidemment les sommes transférées à l’Etat sur le dos des ouvriers et des consommateurs), cela permettra aussi de réprimer encore plus fort les “fraudeurs” sociaux, exclus de toute allocation et jetés dans la misère. On souligne le besoin écologique et démographique de consommer moins, pour mieux masquer derrière un voile idéologique l’austérité « librement » consentie. On tape sur les méchants banquiers qu’il faut soumettre à une régulation étatique. On répand des illusions sur une «Europe sociale» contre une “Europe des banquiers”. On appelle aux bienfaits de la démocratie – “réelle”, avec une participation plus grande de la population aux décisions de l’Etat capitaliste, pour imposer des mesures répartissant l’effort de façon “équitable”. Faisons confiance à la démocratie bourgeoise, luttons pour une démocratisation du capitalisme, dans le cadre de la logique et des marges que nous offre le système actuel, donnons un visage humain aux mesures inhumaines innées à ce système économique. Comme si gérer “démocratiquement” une société d’exploitation signifie supprimer cette exploitation, comme si gérer “équitablement” la misère signifie la rendre supportable !

Que faire ?

Des changements de gouvernants ne changent rien aux attaques. Malgré ses divisions la bourgeoisie est unanime quant aux besoins des plans d’austérité drastiques. Seule la voie de la lutte, essentiellement dans la rue, classe contre classe, peut s’opposer effectivement aux attaques sur nos conditions de vie. Nous, prolétaires en activité ou au chômage, à la retraite ou en formation/études devons défendre partout les mêmes intérêts. Pour y parvenir nous devons prendre en main nous-mêmes nos luttes sous le contrôle des assemblés et surtout ne pas laisser la libre voie aux syndicats pour diviser la lutte et la dévoyer vers des voies sans issues, ne pas nous laisser démoraliser et réduire à l’impuissance. La bourgeoisie s’entredéchire face à sa crise, poussée par la concurrence et la recherche de profits. Cette situation par contre nous pousse, nous les exploités, à riposter de manière de plus en plus massive, unie et réellement solidaire !

Courant Communiste International