Le projet us du grand moyen orient et le rôle de la turquie
Catégorie : Global
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L’occupation du Moyen Orient et du Caucase alias
« Projet du Grand Moyen Orient »
Le 8 février 2004, Numéro: 97
Dans le cadre de sa visite aux Etats-Unis, le premier ministre Tayip Erdoğan
s’est rendu à l’American Enterprise Institute, l’un de ces think tanks où
sont élaborés les projets impériaux des USA. Le discours d’Erdoğan cadrait
précisément avec la mission que ses seigneurs lui avaient assignée dans le Moyen
Orient.
L’un des principaux sujets de discussion a été le concept de « démocrate
conservateur» et à ce sujet, nous avions mentionné que ce concept correspondait
au « modèle » que les Etats-Unis voulait appliquer à notre pays. Outre la
question chypriote, un autre sujet de discussion a été « l’intégration du
Caucase dans le projet du Grand Moyen Orient ». Tayyip Erdogan a précisé que
le « processus de démocratisation entamé en Géorgie devait s’élargir à tout
le Moyen Orient ». Dans son discours, il a également souligné le rôle
particulier de son parti, l’AKP (le parti de la justice et du développement) et
de la Turquie dans ce projet.
En quoi
consiste ce Projet du Grand Moyen Orient ?
Rien de nouveau. Ce
projet constitue le pilier de la stratégie impériale des Etats-Unis au Moyen
Orient. (Voir: Ekmek ve Adalet n° 38 : « Stratégie de l’Empire
américain » et n° 40, « Résumé du rapport US sur l’Irak, le Moyen Orient et sa
stratégie impériale: « Nous voulons le monde »)
Objectif : la mise sous contrôle d’une région dont la cœur serait le Moyen
Orient et qui engloberait toute l’Afrique du Nord, du Maroc à l’Egypte, toute
l’Asie méridionale jusqu’à l’Indonésie et toute l’Asie centrale, du Caucase à la
Chine. Tayyip demande que la « Turquie en soit la colonne vertébrale ».
(Source : Yeni Şafak, 1er février 2004)
Si l’on considère que ce vaste territoire regorge de ressources énergétiques,
qu’il est traversé par des voies d’accès et de contrôle qui échappent aux
entreprises nord-américaines et qu’il est recouvert de foyers de résistance, on
comprend mieux l’intérêt de l’impérialisme US pour cette zone. En effet, le
projet de l’encerclement de la Russie et de la Chine mentionné dans le rapport
sur la sécurité nationale (Ulusal Güvenlik Belgesi) correspond précisément à la
stratégie « de l’affaiblissement de toute force capable de contrebalancer la
puissance US ».
Le projet comporte trois volets :
Premièrement : répandre la démocratie impérialiste. En d’autres termes :
« hisser au pouvoir des gouvernements loyaux à l’impérialisme ». Deuxièmement:
instaurer le libre marché dans ces pays, c’est-à-dire, faire de ces pays soumis,
des maillons de l’économie impérialiste et de la globalisation, les exploiter et
les livrer aux entreprises impérialistes. Troisièmement et le plus
brûlant des objectifs : la lutte contre le « terrorisme ». L’élimination des
forces anti-américaines passe naturellement par l’écrasement de toute forme de
résistance dans la région.
La difficulté de mener à bien le projet du « Grand Moyen Orient » sans l’Europe
s’est révélée lorsque les Etats-Unis ont dû frapper à la porte des Nations Unies
pour la question irakienne. C’est au moins ce qui apparaît au vu des équilibres
actuels. C’est pourquoi, les USA tentent d’intégrer l’Europe à ce projet par
l’intermédiaire de l’OTAN. « Tant le représentant permanent pour les
Etats-Unis auprès de l’OTAN, Nicholas Burnes, au cours d’une conférence qui
s’est tenue à Prague le 19 octobre dernier sur l’OTAN et le Moyen Orient élargi,
que le sénateur Chuck Hagel qui a fait un exposé intitulé « Les Etats-Unis
d’Amérique, l’OTAN et le Moyen Orient élargi » au séminaire sur la sécurité,
organisé à Bruxelles le 23 janvier dernier, ont argué que la sécurité de cette
zone devait être assurée par une coopération USA-UE (dominée par les USA) ».
(Source: E. Yıldızoğlu, Cumhuriyet, 2 février 2004)
On constatera que dans ce projet, il n’y a rien de « nouveau » pour l’Empire
américain. En effet, la création d’un « Grand Moyen Orient » est à l’agenda des
Etats-Unis depuis 1995, à une époque où la Russie tentait d’instaurer sa
domination dans le Caucase. Dans cette région, les Etats-Unis sont occupés à
appliquer leur stratégie d’affaiblissement. Véritable banc d’essai, la Géorgie a
été secouée par des bouleversements politiques fomentés par les Etats-Unis et
destinés à briser l’influence de la Russie dans la région.
Comment se
réalisera ce Grand Moyen-Orient ?
Peut-on trouver la
réponse dans l’exemple de l’Irak? Vont-ils créer leur Grand Moyen Orient à coups
de bombes et en envoyant leur infanterie ? Vont-ils « soutenir des mouvements
d’opposition »? Vont-ils recourir à des moyens de pression politiques et
économiques pour assujettir leurs proies à leur « Grand Moyen Orient »?
Ce que Tayyip prescrit, à savoir « étendre le processus de démocratisation qui a
commencé en Géorgie », c’est précisément la réponse à cette question. Que
s’était-il passé en Géorgie ?
Sous la prétexte de la démocratisation et du respect des droits humains,
plusieurs ONG ont fait leur apparition. Des partis et individus d’opposition
proaméricains ont été soutenus contre le régime moribond de Chevardnadzé. Des
fonds importants leur ont été versés pour renverser son régime. Il est apparu
que la Fondation Soros a joué un rôle prépondérant dans le coup d’état qui s’est
produit en Géorgie et que le nouveau président Saakachvili a été formé aux
Etats-Unis et renvoyés dans son pays pour qu’il menât une politique favorable à
Washington.
Tayyip défend
l’extension de l’Empire US à travers la formation de gouvernements proaméricains
là où une occupation militaire pourrait être mal perçue. Le rôle joué en Géorgie
par Saakachvili hissé au pouvoir après un coup de force et celui de Tayyip qui
est arrivé par la urnes sont le même.
Sans doute, les Américains préfèrent la méthode douce, style AKP, même si, « la
destruction de l’Irak » a eu un rôle persuasif dans cette stratégie d’annexion.
En effet, sans détruire l’Irak, il n’aurait pas été aussi facile pour Washington
de remodeler la Géorgie ou de faire capituler la Libye de cette manière.
L’invasion et l’occupation de pays comme l’Irak ne sont pas toujours profitables
pour l’impérialisme pour différentes raisons : ces occupations nourrissent la
colère et encouragent la résistance des peuples, sont économiquement lourdes à
supporter etc. L’impérialisme préfère évidemment agir comme il l’a fait en
Géorgie ou pousser à la capitulation « sans tirer une seule balle » comme dans
le cas de la Libye. Erdoğan, lui, s’est tout simplement aplati face aux
Américains: « regardez, je pense comme vous » a-t-il déclaré couardement.
Que ce soit Tayyip ou son mentor Ömer Çelik dont les interventions ont été
publiées dans le quotidien Sabah des 1er, 2 et 3 février, ils
ne se dissocient pas du projet américain d’intégrer le monde entier au processus
de globalisation. Au contraire, ils trouvent cela nécessaire pour « la paix
mondiale ». On peut même dire que pour ces individus, la « globalisation »
signifie sans équivoque l’Empire américain. L’AKP veut ouvertement que les
entreprises monopolistiques des Etats-Unis contrôlent la planète entière.
A ce propos, le discours d’Ömer Çelik est nauséabonde:
« Pour qu’à l’avenir, le monde puisse vivre en paix, il est désormais
nécessaire que les pays gouvernés par la démocratie et qui baignent dans la
prospérité, fassent connaître leurs acquis et les partagent avec d’autres pays. »
Leur « paix » est véritablement le comble du colonialisme. Pour Çelik, l’Empire
américain est une nécessité et le colonialisme classique apporte la civilisation
occidentale et la prospérité aux pays en détresse. Veuillez vous tourner pour
voir ce qui s’est passé : pillages, bains de sang, violation de souveraineté
nationale, sacrifice des peuples pour leur indépendance,… C’est cela, « la
nécessité pour les pays démocratiques et prospères de faire connaître et
partager leurs acquis avec d’autres pays ».
On connaît plus qu’assez les conséquences de ce qu’ils appellent « faire
connaître » : ces pays « démocratiques » ont envahi et morcelé les Balkans, semé
la haine entre les peuples qui y cohabitaient, y ont imposé leur diktats et
leurs monnaies. Sur l’Afghanistan et l’Irak, il n’y a aucun commentaire à
faire : le peuple irakien qui a été « libéré » au cours de l’opération
« liberté infinie » vit actuellement une souffrance infinie.
Est-ce que les pays colonisés sans intervention militaire connaissent un
meilleur sort?
Voyez la situation en Turquie! Le peuple vit dans une misère effroyable dans un
pays pourtant riche. Notre peuple vit une dépendance totale au point de ne
pouvoir donner son avis ni dans les affaires intérieures, ni dans les affaires
extérieures du pays. Rappelez-vous : la Turquie avait fait connaissance avec la
« civilisation occidentale ». Cela voulait dire en réalité : devenir une « petite
Amérique ». Telle était le mot d’ordre du gouvernement Menderes, durant les
années 50. Tayyip Erdoğan marche sur la voie tracée par Menderes. Son slogan :
« faire de la Turquie un pays modèle » !
Si la méthode est différente, le résultat reste le même : la colonisation au
profit de l’hégémonie étasunienne.
Les flagorneurs
américanistes ont néanmoins quelques réserves: “Que ce ne soit pas comme en
Irak »! Qu’y a-t-il véritablement derrière l’inquiétude des défenseurs de la
globalisation qui donnent tant de leçons de tactiques à Erdoğan et à l’ AKP?
Veulent-ils que les peuples ne souffrent pas? Ou bien que les peuples se
prennent en main ? Ou encore que le niveau de vie de ces peuples augmente? Rien
de tout cela. Les apologistes de la globalisation et de l’Empire américain ne
peuvent défendre ses principes si ce n’est par démagogie.
Leur problème, c’est l’image négative dont pourrait s’affubler la Turquie dans
le cas d’une participation à l’occupation militaire directe d’un quelconque
pays. Ils sont sans doute volontaires pour assumer un tel rôle. Cependant, ils
ne voudraient pas être perçus comme des « partenaires dans l’occupation d’un
pays musulman ».
Après s’être posé la question sur la réalisation du projet du Grand Moyen
Orient, l’éditorialiste Ali Bayramoğlu a mis l’AKP en garde dans un article du
quotidien Yeni Şafak paru le 4 février : « Si la politique US à
l’égard de l’Iran ressemble à celle qui a été adoptée pour l’Irak et Saddam…
dans la mesure où le pouvoir politique (en Turquie, ndt) suivrait la
ligne étasunienne, non seulement celui-ci se verrait affaibli au sein de l’Etat
mais en plus sa légitimité aux yeux de l’opinion publique en prendrait un
sérieux coup…"
Ömer Çelik, quant à lui, donne carrément des conseils aux Etats-Unis : « il
faudrait encourager les dynamiques locales de la zone du Grand Moyen Orient qui
sont apparues à travers leur demande de démocratie et de liberté… »
On apprend aussi de la plume de Çelik la thèse suivante : « Le point de vue
dominant au sein de l’administration US est que le projet du Grand Moyen Orient
ne signifie ou ne sous-entend pas une intervention dans la région mais plutôt
que celui-ci va être porteur de démocratie et de liberté » !
Pour en revenir à la mission de l’AKP : ce qu’ils appellent « dynamique
interne », c’est la création d’un AKP dans chaque pays.
La Turquie sera-t-elle le centre du Grand Moyen Orient ou le sous-traitant des
USA?
On sait que Tayyip
Erdoğan se démène pour faire de la Turquie un pays musulman modèle pour recevoir
les faveurs et l’assistance des Etats-Unis. Les menaces proférées à la Syrie et
à l’Iran au nom de l’Amérique sont l’illustration du rôle joué par Tayyip. Dans
les réunions de l’organisation de la conférence islamique (OCI), le message de
la Turquie a été : « changez ou sinon les Etats-Unis vont vous changer. Vous
finirez comme l’Irak » Puis, la délégation turque a lancé aux pays de l’OCI
un lamentable « faites comme nous ».
Admettons que dans ce projet, la Turquie serait le « centre »! Quel centre ?
Depuis quand, la sous-traitance au profit des Etats-Unis pour la conquête du
Moyen Orient et du Caucase faisait de vous un « centre »? La sous-traitance,
c’est la politique officielle de l’oligarchie turque depuis plusieurs décennies.
La différence de l’AKP, c’est que ce gouvernement porte l’étiquette d’islamiste
et que cette identité multiplie les facilités de pénétration des Etats-Unis dans
la région. Déclarer sa volonté de servir l’Empire en se targuant de représenter
« l’islam modéré », c’est l’illustration de cette affection mutuelle qui existe
entre l’administration US et l’oligarchie turque.
Certains islamistes, plongés dans leur rêve ottoman bavent de plaisir rien qu’à
l’idée que la Turquie va être protagoniste du « Grand Moyen Orient ». Tayyip
déclare « vouloir faire de la Turquie l’un des cinq pays les plus puissants
de la planète » tout en faisant le compte des récompenses que les Etats-Unis
vont lui attribuer en tant que fidèle serviteur. Le seul problème pour les
islamistes est que le père de ce projet, c’est Israël…
Si Israël n’avait pas été de la partie, ils auraient affirmé leur loyauté envers
les Etats-Unis de manière plus exaltée mais, voyez-vous, c’est qu’ils sont très
sensibles à la cause palestinienne!
Ces courtisans du
régime soutiennent un gouvernement AKP qui développe toutes sortes de relations
avec Israël, qui sert la main ensanglantée de leurs homologues israéliens, puis
finalement, ils vous dénoncent le « sionisme » !
Appelez cela comme vous le voudrez, « Empire », ou « Grand Moyen Orient », les
peuples vont y résister.
L’Amérique continue à
imposer son projet impérial avec des noms pompeux en affirmant très clairement
que la volonté populaire sera niée et que les citoyens du monde entier seront
ses sujets. Pour cela, les USA utilisent des concepts « sacrés » pour pervertir
les esprits. Ceux qui défendent la globalisation impérialiste sont de vulgaires
instruments qui servent à soumettre les esprits, neutraliser le mécontentement
des peuples, banaliser la logique impériale et donner une image « amicale » à
l’impérialisme belliqueux et cupide.
L’Amérique et les Américanistes peuvent appeler cela comme ils veulent, peuvent
raconter autant de comtes de fée sur la « démocratie », les « droits de
l’homme », la « prospérité », ou faire autant de démagogie sur le « terrorisme »
qu’ils le veulent, les peuples savent que ces concepts sont galvaudés, que cela
signifie « conquête » et « soumission ». Les peuples ont vécu suffisamment
d’exemples pour le comprendre.
C’est cette conscience qui donne aux résistances palestinienne, irakienne et
afghane leur légitimité. Les peuples continueront de résister à l’Empire US.
Aux portes de la Maison Blanche, Tayyip Erdoğan peut ânonner autant qu’il voudra
que la Turquie jouera un « rôle exemplaire » dans le projet du Grand Moyen
Orient et que « les Etats-Unis pourront nous utiliser à souhait ».
Quoiqu’il dira ou fera, les peuples donneront encore beaucoup de claques à la
figure de canailles comme Erdoğan, comme les islamistes duplices et comme les
Américanistes déclarés.
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