L’histoire de cet homme – appelons-le Yacine – commence en Tunisie. Tunisie révolutionnaire, mais aussi Tunisie sanglante : Yacine voit un de ses amis mourir dans les « évènements » qui conduisent à la chute du dictateur. Et avec Ben Ali, ce sont aussi les touristes qui s’en vont : économie dévastée, perspectives bouchées, Yacine décide de tenter le grand saut.
Il arrive en Italie, d’où il rejoint des cousins, en avril. Il habite des fois à Angers, des fois à Nantes, et essaie de trouver du boulot comme vendeur ou manutentionnaire sur les marchés.

Il est arrêté une première fois, à son arrivée en France : on lui fait signer un papier lui enjoignant de quitter la France dans un délais d’un mois. Il ne lit pas le français et personne ne lui explique ce qui est écrit dessus.
En novembre dernier il est arrêté à nouveau : expulsable, il est placé au centre de rétention de Saint-Jacques-de-la-Lande (Rennes). Devant le juge des libertés, il explique qu’il souhaite repartir librement en Tunisie, sans contrainte policière. Le juge décide de le maintenir en rétention tout de même.

La préfecture obtient le laissez-passer tunisien (permettant l’expulsion) le 19 décembre. Lundi 26, un de ses amis au CRA tente de se pendre : il intervient, le décroche, est éclaboussé par le sang. Choqué, et alors que cet évènement rapelle de douloureux souvenirs, il se tape la main contre un mur, est blessé. Il va se confier à l’intervenante Cimade (associative) du centre, qui tente tant bien que mal de le réconforter en lui expliquant qu’il devrait sortir le lendemain, qui sera son 45ème et dernier jour de rétention. Quelques minutes plus tard, les policiers lui annoncent qu’il sera embarqué le lendemain à destination de Tunis.

Il fait examiner sa main : « à surveiller pendant 7 jours », note le médecin.
Le lendemain, quand les policiers viennent le chercher, il demande à voir un médecin avant d’être embarqué. Les policiers considèrent qu’il s’agit là d’un refus. Il est placé en garde à vue pour refus d’embarquement (oui, c’est un délit).

Aujourd’hui, il passe devant le tribunal (comparution immédiate) pour refus d’embarquement. Le président lit les procès-verbaux et lui pose des questions sur un ton oscillant entre l’agressivité et le mépris (« Mais vous saviez bien que vous deviez partir, M. Yacine »). Le procureur insiste sur l’attitude trouble de M. Yacine qui a menti plusieurs fois sur son identité, remarque qu’une douleur à la main n’empêche pas l’expulsion et note qu’en revanche, refuser une expulsion est un comportement très grave : au-delà du trouble manifeste à notre ordre légal que cet acte représente, il représente de l’argent gaspillé pour l’état français. Il requiert 6 mois de prison ferme. Son avocate précise différent éléments concernant le récit des évènements, et note que la préfecture joue la montre : après avoir attendu un délais déraisonnable pour organiser son expulsion, elle tente de le maintenir sous contrainte en l’emprisonnant et ainsi allonger le délai. Elle demande la relaxe.

Verdict : 1 mois de prison ferme (avec mandat de dépôt, donc il part en prison dès ce soir).

On remarque que les peines concernant les retenus sont sans commune mesure avec les peines prononcées pour des personnes ayant leurs papiers. Une personne ayant un casier vierge n’est jamais condamnée à de la prison ferme (sauf faits très graves, évidemment).