Inter-modalité, Plan de Déplacement d’Établissement (PDE), réseau, connexion, appel à “bouger autrement”, rééquilibrage des flux, passeport-mobilité, desserte performante, semaine de la mobilité … Les injonctions à se déplacer toujours plus ne cessent d’envahir notre espace quotidien. Mais certain-e-s s’interrogent aujourd’hui sur ce mot sur-employé qu’est devenu le terme « mobilité ». Les désirs de voyages, de rencontres et de découvertes sont une chose. La nécessité de se déplacer toujours plus rapidement et toujours plus loin en est une autre. La mobilité répond à une fausse nécessité : parcourir le plus de distance en moins de temps possible. Ce gain de temps, qu’on nous vend comme un besoin humain, n’est là que pour répondre aux exigences du capitalisme économique et aux intérêts des multionationales.

Injonctions à la mobilité et exclusion sociale

La mobilité est excluante ; elle n’est le privilège que d’une partie de la population. En effet pour tou-te-s ceux-elles qui n’ont pas les moyens de se payer un véhicule pour aller travailler, les difficultés sont de plus en plus importantes. De plus, l’éclatement urbain nous oblige à dépendre de la bagnole – densifiant ainsi encore plus la circulation automobile – et rendant donc légitime le goudronnage de terres agricoles. Face à ces nuisances sociales et environnementales, nous exigeons la mise en place de transports en commun gratuits dans toutes les régions, villes et communes. De nombreuses villes, de tailles diverses (Vitré, Châteauroux, communauté d’agglomération d’Aubagne…), ont déjà mené l’expérience sans se ruiner (financement grâce à une faible augmentation de la taxe transport dont sont redevables les entreprises). Le taux de fréquentation des transports collectifs a fortement augmenté, et l’utilisation de la voiture individuelle diminué. La gratuité des transports en commun n’est question que de volonté politique, quand l’État sait trouver des milliards pour sauver les banquiers et les actionnaires. Enfin, pour d’autres, la mobilité rime avec prison et charter, entre le droit de tourner entre quatre murs et l’obligation de repartir de là où on vient. Les lieux d’enfermement que constituent les centres de rétention, les maisons de retraite, les prisons sont de plus en plus nombreux et restreignent la mobilité, afin que d’autres puissent en profiter. La mobilité permet à certain-e-s de se déplacer toujours plus vite, toujours plus loin, alors que d’autres sont condamné-e-s au mornes horizons que leur imposent les institutions républicaines.

Mais bordel, où veulent-ils donc aller si vite ?

De nombreux projets liés à la mobilité internationale rencontrent depuis plusieurs années la résistance de la population locale et d’ailleurs. Ce combat écologique et anti-capitaliste est particulièrement prégnant aujourd’hui dans le Val de Suse contre le Train à Grande Vitesse qui doit rallier Lyon à Turin et contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, dans la région nantaise. L’objectif du chantier du TGV Lyon-Turin n’est certainement pas de favoriser le rail et le fret contre le transport par route, mais tout simplement de développer le transport de marchandises par tous les moyens, et de relier les grandes métropoles européennes. Les personnes qui luttent contre le TAV (Treno a Alta Velocità) opposent qu’elles n’ont pas besoin de ce transport de marchandises, source de profit et de pollution, augmentant le prix des biens et favorisant les délocalisations. A une logique de profit et de vitesse, elles imposent les intérêts des populations et du respect de l’environnement, et répondent qu’elles ont le temps. Elles refusent tout simplement de laisser à d’autres le soin de d’aménager leurs vies. De même, la lutte contre l’aéroport à Notre-Dame-Des-Landes (NDL) est entrée dans une phase déterminante après les procès de cet été intimant l’ordre d’expulsion des occupant-e-s de la ZAD (Zone à Défendre). L’aéroport de NDL satisfait les rêves de métropole et de rayonnement économique des bétonneurs de tout poil que sont Vinci et son ami socialiste, Jean-Marc Ayrault. C’était sans compter sur les habitant-e-s des 2000ha de terres agricoles qui refusent de sacrifier leur bocage et leur agriculture paysanne sur l’autel du développement économique.

Hypocrisie de l’écologisme d’État

Ce texte est surtout l’occasion de réagir à la semaine de la mobilité organisée par l’Union européenne du 16 au 22 septembre 2011. Des manifestations sont relayées dans de nombreuses villes françaises, notamment à Rennes, dans le cadre d’une campagne de promotion du toujours plus consensuel développement durable. Cependant, en s’associant au forum de la mobilité de Rennes 2, et en lançant une campagne moralisatrice appelée « Je change, ça change tout ! », Rennes métropole oublie de souligner l’intérêt du système capitaliste à faire semblant de tout changer pour que rien ne change. L’écologie politicienne actuelle ne sert qu’à culpabiliser les individus, tout en omettant sciemment de nommer les principaux responsables du désastre planétaire. Et Total et Areva, ils changent ? Cette propagande du développement durable étatique renvoie à une équivalence généralisée des responsabilités. Le plus gros mensonge étant de faire croire à une possible action individuelle qui aurait une quelconque incidence : inciter les gens à changer leurs habitudes individuelles, comme les moyens de se déplacer, sans remettre en cause le système dans son ensemble individualise un problème social et collectif. Enfin, cette campagne de promotion de la mobilité mise cette année sur le tout numérique. L’initiative, inspirée, de la mairie rennaise est de proposer insidieusement une superbe collecte des trajets des rennais. En proposant à des « volontaires-usagers » de s’équiper de dispositifs numériques (bracelets GPS, application mobile) pour collecter des données sur leurs parcours, la mairie de Rennes réussit le formidable tour de passe-à-passe de laisser les rennais le soin de s’auto-contrôler. Accepter d’obéir aux injonctions institutionnelles, c’est laisser le capitalisme se reproduire et dépolitiser la mise en œuvre d’une politique publique écologique. Penser que l’écologie n’est pas politique, qu’elle peut être gérée, administrée, régulée, c’est renforcer le passage de gestes suggérés à des gestes imposés et surveillés. Les partenaires de la semaine de la mobilité que sont la RATP et la SNCF sont loin d’être étrangers aux renforcement du contrôle social des plus pauvres, des appels répétés à la délation et d’une lutte impitoyable contre les fraudeur-euses.

Face à cette absurde promotion de la mobilité à tout crins, nous ne pouvons que soutenir les luttes contre les projets de TGV dans le Val de Suse et d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, promouvoir des transports gratuits pour tou-te-s et condamner fermement le capitalisme vert promu par les décideurs et bétonneurs de nos vies.