Les mouvements des “indignés” : potentialités, contradictions, perspectives
Category: Global
Themes: Exclusion/précarité/chômage
{{Pour la première fois depuis longtemps en Europe, des mouvements, ceux des « indignés »}}, posent en actes la question de l’action autonome des gens et la volonté de renouer avec des valeurs comme la convivialité, l’entraide, la solidarité. A travers la revendication d’une vie digne d’être vécue, ils esquissent aussi la question d’un sens à redonner à l’existence dans la société actuelle. Ils ne peuvent que provoquer la sympathie et l’implication chez tous ceux qui refusent la délirante course de l’humanité contemporaine. Et c’est à ce titre qu’il est du devoir de chacun de pointer les contradictions de ces mouvements pour en dépasser les faiblesses et les limites.
{{Le mouvement des indignés réunit principalement des citadins issus des classes moyennes}} déclassées (chômeurs / précaires diplômés) ou craignant de le devenir. Il rencontre peu d’écho dans les milieux plus populaires. Impulsé via les réseaux sociaux, ces regroupements affinitaires autour d’une notion censément partagée (l’indignation), refuse tout patronage politique ou associatif. Egalement disqualifié, le lieu de travail, lieu totalitaire, d’où les chômeurs sont exclus, où les précaires côtoient statutaires et/ou carriéristes et où la parole contestataire est le monopole de syndicats vendus au pouvoir.
{{Mais la notion même d’« indignation » ne dit rien sur ce qui la cause,}} et cela est gros de malentendus en série. En Tunisie et en Egypte, un mot d’ordre faisait consensus ; « dégager » le despote avec pour horizon l’avènement d’une démocratie à l’occidentale. Mais en Europe, c’est la démocratie à l’occidentale elle-même qui est devenue une impasse. Face à cela le mouvement des indignés oscille entre deux tendances, que le terme de démocratie réelle ne résout pas. La première veut seulement corriger les excès du système. Ses revendications portent sur la moralisation de la vie publique, la qualité de vie, la juste répartition des richesses, le droit au travail, la justice, la réforme de l’économie, etc. La seconde remet en cause les fondements de nos sociétés et pose les prémisses d’un projet de changement radical : autogestion, autonomie, démocratie directe, autant de pratiques de terrain qui ne sont, semble-t-il, revendiquées nulle part pour toute la société – sauf à Athènes, sur la place Syntagma.
{{Du coup, le mouvement manque d’une colonne vertébrale}}, d’un axe minimal partagé par le plus grand nombre, et qui permettrait de s’adresser clairement au reste de la population. Aucune de ces deux tendances ne parvient à l’emporter. Le projet de société que chacune d’elles pose en filigrane est problématique.
{{Ceux qui dénoncent les excès voudraient une espèce de retour en arrière}} où le système était censé être mieux régulé, les richesses mieux réparties. Or, même avec une redistribution égalitaire de la production, le retour à une société de plein emploi basée sur une croissance forte telle qu’on l’a connue lors des trente glorieuses est impossible : crises énergétiques, bouleversements écologiques et pénuries alimentaires dessinent un horizon immanquablement frugal. Le deuil de la société d’abondance doit être fait, et il nous semble, à nous, que la seule manière d’éviter une économie de guerre au profit des puissants soit d’exiger l’égalité des revenus pour tous, donc un changement radical des mentalités.
{{La difficulté pour ceux qui, comme nous, veulent « sortir du capitalisme »}} et de sa « démocratie représentative » réside dans l’invention des formes de la démocratie réelle. Les mettre en acte par intermittence et à petite échelle sur une place publique est une chose. Les étendre à tous les secteurs de la société en est une autre. Cela impliquerait qu’une part importante de la population souscrive à des valeurs comme la liberté individuelle et collective, l’égalité, l’autogouvernement, qui favorisent et approfondissent une autonomie autant individuelle que collective. Et cela ne peut qu’avancer de concert avec le développement progressif de procédures de prise de décision collective. Les difficultés que rencontrera une telle tentative seront énormes. Mais l’incapacité des mouvements actuels à prendre une direction claire risque, à terme, de mener à l’échec.
{{L’ambiance festive peut nous faire oublier pour un temps le malaise et l’indignation}} qui nous ont fait descendre dans la rue, et nous éviter la confrontation aux problèmes énormes qui attendent ceux qui veulent réellement un changement radical de société. Mais elle ne nous empêchera pas de retomber dans l’apathie et l’indifférence, jusqu’à la prochaine colère. Nous risquons de nous résigner à la catastrophe en cours, et de contribuer aux opérations de récupération qui ne manqueront pas de vider les mots de démocratie, d’autonomie et de liberté de leur contenu.
{{Cette oscillation entre deux tendances s’exprime de manière très concrète}} : un discours moralisant et un rappel des valeurs fondamentales de la démocratie qui s’adressent, sous forme d’injonction, à l’oligarchie politique. Cela nous amène à une question qui n’est pas tranchée par les indignés : doit-on encore attendre quelque chose de l’oligarchie ? Ce discours moralisant conçoit par exemple la corruption comme un symptôme du régime oligarchique actuel. Mais il est clair, au moins depuis le hold-up mondial qu’est la « crise économique », que la corruption et les pratiques mafieuses sont devenues le régime social du système lui-même. L’oligarchie n’a que des plans d’austérité à proposer aux peuples, la déchéance sociale pour (presque) tous et une planète rendue inhabitable. Elle entend continuer de piller et de détruire tout ce qui fait sens pour nous, sans offrir d’autres perspectives que le sauve-qui-peut. Ses valeurs centrales, la consommation, l’accumulation, le contrôle et la puissance comme finalités de l’existence humaine se propagent dans tous les pays : s’y opposer en tous lieux pour faire valoir un véritable projet de société, c’est s’affronter aux réflexes qui sont, aussi, les nôtres.
{{Soit on attend quelque chose de l’oligarchie, ce qui est une façon de lui reconnaître}} une légitimité, soit on la considère comme illégitime, et il faut la disqualifier sans appel. Cette question a des implications immédiates : en Espagne, par exemple, la répression policière a ravivé le mouvement, et l’absence de réaction du pouvoir l’a affaibli. Doit-on rester ainsi suspendu aux faits du Prince ? Cette question se pose aussi pour les élections : si l’on considère que le vote ne sert qu’à légitimer un pouvoir arbitraire coupé de la société, il faut en tirer explicitement les conséquences et s’abstenir aux élections.
D’autres contradictions et sources de malentendus doivent être soulignées.
– La revendication d’une assemblée constituante est ambiguë. Elle peut aussi bien se concrétiser par un ravalement de façade permettant aux classes dirigeantes d’asseoir leur pouvoir, comme en Tunisie actuellement… que par l’affirmation d’un pouvoir alternatif au pouvoir existant, comme en 1789. Deux conceptions aux antipodes l’une de l’autre.
– Il est absurde de réclamer la souveraineté du peuple. Si le peuple est souverain, il lui faut l’incarner dans d’assemblées générales souveraines qui s’érigeront en seules instances de prise de décisions politiques et qui proclameront l’abolition de tout pouvoir étranger à elles.
– Il est contradictoire de chercher à renouer avec des formes de relations sociales directes et d’encenser les réseaux sociaux, qui ont accompagné l’aggravation de la solitude et du zapping. L’émancipation, c’est aussi, et d’abord, un regard critique sur les formes 2.0 d’aliénation et d’auto-aveuglement. Un mouvement social a-t-il besoin de se mirer sur le web pour exister ? Quel recul a-t-on par rapport à des images forcément subjectives, aux exagérations, aux rumeurs, aux falsifications qui peuvent exister aussi bien chez les partisans via les réseaux sociaux que chez les détracteurs au JT du soir ?
– le mouvement a d’emblée rejeté les partis et les syndicats. Mais lorsqu’il s’est agi d’élaborer une plate-forme de propositions, il n’a pas franchi le stade des généralités et des déclarations d’intention. Pour éviter le piège de sa récupération, il a posé les formes de l’autonomie sans en exprimer les termes. Mais aussi efficace que soit cette auto-organisation en actes, elle ne peut masquer éternellement l’absence de formulation d’un projet politique clair et discutable.
{{Pour nous, ce qui fonde l’oligarchie, ce qui la fait exister,}} c’est la soif de pouvoir et l’accumulation illimitée généralisées à toute la vie sociale. On ne peut entraver la première qu’en organisant toutes les institutions autour d’assemblées souveraines, structurées autour de mandats révocables et de rotation des tâches. Et on ne peut se débarrasser de la seconde qu’en établissant ensemble une égalité stricte des revenus, et une redéfinition collective des besoins et de ce qui doit être produit. Tout cela doit être posé, débattu, critiqué explicitement.
Il est évident que si la population met en place des structures démocratiques, elles seront en conflit avec les institutions « représentatives » existantes. Plus elles s’enracineront et se renforceront, plus la réponse de l’oligarchie sera violente. Mais quitte à voir nos vies se dégrader, quitte à rentrer dans une époque de confrontation dure, quitte à subir une violence de toute façon inéluctable, autant que ça en vaille la peine.
{{Juin 2011 – Lieux communs
Collectif politique indépendant pour une auto-transformation de la société
lieuxcommuns@gmx.fr – www.magmaweb.fr}}
nous refait aussi le coup “Black Bloc = flics inflitrés” (ici : http://www.magmaweb.fr/spip/spip.php?article501)
Il est contradictoire de chercher à renouer avec des formes de relations sociales directes et d’encenser les réseaux sociaux, qui ont accompagné l’aggravation de la solitude et du zapping. L’émancipation, c’est aussi, et d’abord, un regard critique sur les formes 2.0 d’aliénation et d’auto-aveuglement. Un mouvement social a-t-il besoin de se mirer sur le web pour exister ? Quel recul a-t-on par rapport à des images forcément subjectives, aux exagérations, aux rumeurs, aux falsifications qui peuvent exister aussi bien chez les partisans via les réseaux sociaux que chez les détracteurs au JT du soir ?
Ben dis donc, heureusement que vous êtes là pour expliquer la vie à ces gens. Sinon, illes ne seraient évidemment pas capable de porter un “regard critique” sur les outils qu’illes utilisent. Qu’est-ce qu’on ferait sans vous, hein …
La situation est encore très loin d’être mûre…
Le processus d’effondrement du capitalisme n’en est qu’aux prémisses, les choses vont s’accélérer avec la chute du Dollar d’ici peu de temps.
Le potentiel est réel mais il cherchent encore leurs raisons nos “Indignés”…
http://debord-encore.blogspot.com/2011/06/exit-heft-8-j….html
http://debord-encore.blogspot.com/2011/06/exit-heft-8-j….html
Je vais commencer par une critique de fond : que sont exactement les « classes moyennes » ? En quoi les « précaires diplômés et chômeurs » font-ils partie des « classes moyennes »? Personnellement, je connais les prolétaires et la bourgeoisie, avec la petite-bourgeoisie faisant tampon entre les deux. Les « classes moyennes », qui restent un concept médiatique, je ne sais pas ce que c’est…
Un second point : le capitalisme ne s’effondre pas parce qu’il répartit mal les revenus, ce qui a toujours été le cas dans les pays du Tiers-Monde. Il s’effondre parce qu’il est incapable de sortir de ses contradictions internes, dont la surproduction est la plus flagrante : le capitalisme produit toujours comme si il n’y avait pas de limite à la production, mais il ne crée pas assez de clients pour écouler sa production. Donc le mot d’ordre d’« exiger l’égalité des revenus pour tous » non seulement ne règlera rien – les rapports de production capitalistes sont toujours là – mais c’est de la répartition de la misère dont on nous parle ici ! Nous serons des moutons si nous acceptons ça…
Il y a des choses avec lesquelles je suis d’accord dans ce texte, notamment sur l’autonomie du mouvement, la nécessité de s’organiser. Mais ça ne peut être permanent, car c’est un combat ; la bourgeoisie a ses armes, elle reste la classe dominante dans la société et ne peut donc que prendre le dessus tant qu’elle n’a pas été renversée. Ceci dit, le rejet des partis et syndicats est une erreur : ils étaient présents sans le dire, pouvaient donc agir en sous-main – et l’ont fait ! – et s’attaquer au mouvement de l’intérieur ; l’impuissance du mouvement à formuler une vraie plate-forme de revendications vient en grande partie de là. Le problème n’est pas de rejeter les partis et syndicats, mais leurs idées ; et ça demande beaucoup de discussions, notamment avec la participation des groupes politiques et des syndicats qui rejettent l’ordre dominant. Il y en a…