LKP, LES BRAISES SOUS LA CENDRE ? (suite et fin)

Une bombe à retardement

Les dirigeants syndicaux, toutes tendances confondues, constatent, depuis plusieurs mois, une recrudescence des abus opérés par le patronat à l’encontre des salariés. Celui-ci, considérant sans doute qu’il a réussi à “tuer” le LKP, a adopté une position de toute puissance, qui apparaît en complet décalage avec l’état réel de la société guadeloupéenne. Celle-ci peut donner en superficie l’apparence d’une société apaisée, mais en son sein, la pression augmente dangereusement, un peu à l’image d’une cocotte-minute sur laquelle on se serait contenté de refermer le couvercle, au lieu d’éteindre le feu.

Le premier signe avant-coureur de cette tension, le plus visible, est la recrudescence de la délinquance avec une multiplication d’actes d’une violence chaque fois plus extrême en Guadeloupe. D’aucuns voudront y voir le fruit de la prétendue impunité qui aurait régné pendant les 44 jours. En fait, cette explosion était tout à fait prévisible : avec le taux de chômage le plus élevé de l’Union Européenne, la jeunesse marginalisée de la Guadeloupe a vu se fermer la porte que le LKP avait entrouverte en 2009 et a le sentiment de se retrouver plus que jamais sans avenir et sans espoir. Il y a tout lieu de s’inquiéter lorsqu’un pan entier de la société se considère comme sacrifié, car il peut très vite estimer, et à juste titre, n’avoir plus rien à perdre.

Un autre aspect totalement alarmant à prendre en compte est la flambée des prix des matières premières au niveau mondial. En 2008, une première flambée avait provoqué des émeutes de la faim dans de nombreux pays et avait été le prélude au soulèvement du LKP en Guadeloupe. La fin 2010 a vu tous les indicateurs passer au rouge : catastrophes naturelles et spéculation capitaliste sur les matières premières ont provoqué l’envol des prix de ces dernières qui, pour la première fois, ont surpassé les pics de 2008, pourtant historiques ! Rien ne semble en mesure de juguler cette tendance. Les révoltes qui éclatent un peu partout, prioritairement dans le monde arabe pour l’instant, mais pas seulement, sont bien sûr liées à ce phénomène même si on ne peut pas les y résumer. L’histoire nous enseigne que les formidables orages de grêle qui ont ravagé les moissons en Touraine, dans l’Orléanais et en Île-de-France en juillet 1788, en provoquant une pénurie de blé notamment, en France, ont été déterminants dans ce qui devait déboucher sur une révolution un an plus tard. Quand on connaît les difficultés que connaissent au jour le jour les Guadeloupéens, et les abus formidables des profitants, encouragés par un Etat complice, qui aggravent les effets déjà spectaculaires de la flambée des prix, on se dit qu’il suffirait d’une étincelle pour que de lui-même, le peuple guadeloupéen explose. Parallèlement, plusieurs secteurs de la société commencent à afficher un très clair mécontentement. Le secteur électrique, avec la CGTG, actuellement en grève par exemple, ou les professeurs, de plus en plus révoltés qu’on assassine l’école et qu’on vienne ensuite s’indigner de la montée de la délinquance que j’évoquais plus haut, comme si tout n’était pas lié, constituent la partie en train d’émerger de l’iceberg…

L’effet papillon

Pour que le tableau soit complet, il faut évoquer le contexte international, avec ces images de peuples qui se révoltent pour mieux se réapproprier leur destin à l’instar des Tunisiens ou des Egyptiens et qui nous parviennent grâce à internet ou aux medias traditionnels.

Un grand vent de liberté est en train de souffler sur la planète, parti du monde arabe, et qu’on le veuille ou non, ce souffle parvient aux Antilles. Nous vivons dans un monde inter-relié[1]. J’ai écrit un peu plus haut comment les émeutes de la faim de 2008, ont précédé l’avènement du Liyannaj Kont Pwofitasyon. J’ai également eu l’occasion d’écrire ailleurs que le mouvement des 44 jours s’était inscrit dans l’histoire mondiale des luttes des travailleurs. La plupart des chaînes nationales et certains médias internationaux comme CNN étaient présents sur le terrain. Parmi ces médias internationaux se trouvait également Al Jazeera, la télévision qatari diffusée dans la plupart des pays arabes. Celle-ci a dernièrement été accusée par les régimes dictatoriaux chancelant depuis le début du printemps arabe, d’être pour beaucoup dans le développement des révolutions que connaissent ces pays. On peut se demander dans quelle mesure, l’exemple de la Guadeloupe n’a pas contribué à allumer la mèche dans ces pays. On a tous entendu parler de “l’effet papillon”, un concept développé par le scientifique états-unien Edward Lorenz pour qui « un battement d’aile de papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas ». Souvenons-nous que le monde arabe a suivi d’assez près en 2009, ce qui s’est passé en Guadeloupe, avec les correspondants qu’Al Jazeera avait dépêchés sur place (et que j’avais eu l’occasion de croiser sur le terrain)[2], et que par conséquent, l'”exemple” guadeloupéen a pu susciter une envie de changement, de radicalité dans la résistance.

Dans un monde en interaction permanente, on ne peut donc écarter l’idée que les 44 jours de dignité rebelle du LKP aient, consciemment ou non, inspiré les peuples du printemps arabe, de même qu’on ne peut encore mesurer l’impact que ces mouvements auront en retour sur la Guadeloupe, mais il y a fort à parier qu’impact il y aura.

Une histoire cyclique ?

Ce qui est sûr, c’est qu’alors que tout augmente, de la délinquance, au prix de l’essence ou de la farine, le pouvoir d’achat continue lui de chuter vertigineusement en Guadeloupe, comme chacun peut s’en rendre compte au moment de payer ses courses. Si rien n’est entrepris avant, horizon de mars 2012, qui verra une baisse substantielle des salaires des Guadeloupéens les plus humbles, avec la fin du versement des 200 euros, constitue d’ores et déjà une sorte de deadline, un point de non retour, dont la déflagration risque d’être à la hauteur des frustrations accumulées. On se trompe de question lorsqu’on s’interroge sur la capacité du LKP à repartir, ou plutôt on la pose mal. LKP ou pas LKP, la situation peut-elle continuer à se dégrader indéfiniment dans un statu-quo, aussi dévastateur pour la Guadeloupe ? Tranquillement mais sûrement, il semble bien qu’on s’achemine tout droit vers une nouvelle implosion. Le pouvoir serait bien inspiré de prendre le taureau par les cornes, en travaillant main dans la main avec le LKP, avec la société civile et non pas contre. Malheureusement, l’image des autorités préfectorales refusant de recevoir une délégation du LKP, le 15 décembre 2010, nous renvoie à la même suffisance avec laquelle le LKP avait été éconduit le 16 décembre 2008, à la même sous-préfecture. On sait ce que ça avait donné…

FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

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[1] Historiquement, il existe des passerelles au niveau de la contestation, entre les Antilles françaises et le monde arabe. Je pense en particulier au Martiniquais Frantz Fanon (http://www.fr.wikipedia.org/wiki/Frantz_Fanon), auteur des Damnés de la terre, ou au poète indépendantiste guadeloupéen Sonny Rupaire, qui s’étaient tous deux, en leur temps, engagés au côté du FLN algérien.

[2] “France seeds forces to Guadeloupe”, Al Jazeera, 19 février 2009 (http://english.aljazeera.net/news/americas/2009/02/2009….html)