Nous voulons ici apporté une contribution sur les réformes de l’université en cours. Nous pensons que la réforme Ferry n’est qu’une pierre de plus à l’edification de ce que nous appelons avec d’autres “l’université productive”. Les logiques de ce qui se passe actuellement ont été déja décrites par des enquetes, des romans, à partir des années 70-80, en Europe : “On peut prévoir que l’éducation sera de moins en moins un milieu clos, se distinguant du milieu professionnel comme autre milieu clos, mais que les deux disparaitront au profit d’une terrible formation permanente, d’un controle continu s’exerçant sur l’ouvrier-lycéen, ou le cadre-universitaire” (Gilles Deleuze, Futur Anterieur n° 1,1990).
Cette réforme de l’université participe au processus de dissolution des frontières entre formation et travail. Se former c’est travailer et réciproquement. L’un des buts est de mettre au travail la force productive de cette partie de la jeuneesse qui par les études échappait aux pointeuses. Pour cela se mettent en place des dispositifs de captation. Ceci par l’intermediaire de partenariats entre Universités et collectivités locales et/ou entreprises. cela a pour effet d’ ancrer l’université dans un bassin d’emploi régional. La décentralisation c’est aussi cela.

Nous mettons à la suite de ces remarques le texte le grondement de la bataille qui décrit ce processus et met en lumière ses enjeux. Ainsi qu’un lien vers l’excellent texte “10 thèses sur l’université productive” qui donne le cadre d’analyse de ces transformations.

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Le Grondement de la Bataille…

« La recherche d’une meilleure intégration
du développement universitaire
dans le développement local et régional
ne doit pas faire oublier
que les étudiants, les personnels, les laboratoires
sont engagés dans une compétition mondiale. »
Schéma de développement
de l’Université de Nantes,
1999-2004, p.32.

Si le système européen de crédit (ECTS) est une réforme qui vise à rendre lisible les cursus étudiants – c’est-à-dire les trajectoires de vie – et les diplômes universitaires pour accentuer et rendre possible une mobilité des formations dans les territoires européens de l’Empire, elle est surtout et avant tout ce qui va permettre aux entreprises inscrites dans l’espace d’une métropole régionale de capter pour leurs seuls profits et besoins les forces sociales productives qui sont notamment formées à l’université.

Depuis le mouvement contre la réforme Devaquet en1986, il est devenu plus ou moins rituel pour les syndicats de mobiliser les étudiants sur « l’explosion du cadre national des diplômes ». En effet, ceux-ci, par leur reconnaissance dans les conventions collectives, garantissent à ceux qui les possèdent un statut et un niveau de rémunération. Les syndicats aiment aussi à évoquer la menace toujours grandissante d’une privatisation des universités qui, on ne peut que le reconnaître, mettrait fin à l’égalité entre étudiants et instaurerait une disparité de financement et de légitimité entre ces universités. Mais à trop rester crisper sur ces discours ressassés, ceux-ci finissent par manquer les véritables enjeux de ces réformes que nous subissons. Loin de vouloir pointer les insuffisances de qui que se soit, il nous semble important, si nous voulons mettre en place des stratégies efficientes de résistances, que chacun prenne bien la mesure des bouleversements en cours.

Cette analyse des transformations de l’université procède par l’articulation de ce qui se trouve éparpiller, disperser dans différents textes : le rapport Attali (1998), le schéma de développement de l’Université de Nantes (1999-2004) et la réforme ECTS de Lang-Ferry (2002). Ils constituent le programme de notre avenir prochain. Sombre futur qui fait de nos existences collectives et singulières de simples pièces pour une machine d’asservissement économique. Entreprise qui nous insère dans les rivalités inexpiables pour la domination d’un monde simplement perçu comme vaste marché.

Ce qui suit entend donc dresser l’espace où cette bataille se déroule, décrire rapidement ce qui déjà n’est plus (l’université académique), esquisser ce que nous ne sommes pas encore (université productive) et proposer les moyens d’un devenir autre qui reste encore à tracer…

L’Université « Académique » ou ce que nous ne sommes déjà plus…

L’université fonctionnait, jusqu’à une période récente, comme une institution relativement fermée. Elle dispensait un savoir académique, distribuait des diplômes, assignait des positions aux individus, les sanctionnait socialement. L’extension de la durée moyenne des études, la massification du secondaire puis du supérieur, les transformations générales de l’organisation du travail (organisation « post-fordistes ») et la généralisation du système productif à l’ensemble de la société, ont assigné à l’Université une nouvelle place et de nouvelles fonctions. L’ouverture de l’Université, comme celles d’autres lieux d’ « enfermement » (prison, hôpital, entreprise…), a rendu caduque, et finalement stérile, toute analyse en terme de secteur public et privé. Ce à quoi l’on assiste n’est pas une privatisation de l’université mais la formation d’un nouvel agencement entre les entreprises et l’Université au travers de l’invention de nouveaux dispositifs où les relations et les frontières respectives se recomposent.

L’Université Productive ou ce que nous sommes en train de devenir…

On prend généralement le prétexte pour appuyer la construction de ces nouveaux dispositifs l’anxiété, réelle ou imaginaire, des étudiants ou de leurs parents face à un avenir professionnel incertain et un chômage avéré. La crise économique, avec les chocs pétroliers de 1973 et 1979, aurait, d’une certaine manière, entraîné l’université à avoir des « dysfonctionnements d’orientation » et un enseignement de savoirs inadaptés à son environnement économique et social. La compétition internationale, plus âpre et plus généralisée, ferait d’elle une extraordinaire fabrique à chômeurs. Les étudiantes et les étudiants voudraient donc être « professionnalisés » pour éviter ce triste futur et commencer leur Plan Epargne Logement, pour se marier et engendrer leur descendance. Les professeurs de leur côté, oublieux de leurs intérêts corporatistes et soucieux démocrates pour une fois, et une fois seulement, seraient attentifs à ces demandes légitimes et accompagneraient volontiers ces réformes essentielles. On ne peut qu’être amusé en écoutant ces discours comiques et impudents. On peut, en effet, trouver, au début des années 1970, la trace d’analyses, en se donnant peu de peine, qui annoncent la disparition concertée du « plein-emploi » et de l’Etat social avant qu’une soi-disant « crise » économique ne vienne ébranler leurs fondements .

Loin d’apaiser une sourde inquiétude, ce qui se prépare et se met en place entends plutôt nous plonger dans les affres de la « compétition mondiale » et ceci sans attendre notre sortie de l’université.
La nouvelle mise au travail de la jeunesse

Tout le monde sait très bien qu’une grande majorité des étudiants travaillent tout en suivant leurs études. Mais cet état de fait reste la plupart du temps perçu comme une conséquence du recul de l’Etat providence et de la massification de la population étudiante (nombres d’étudiants venant maintenant des couches moins aisées de la population doivent travailler pour se payer leurs études). Si cela peut préoccuper certains syndicats étudiants, cela est rarement relié avec les transformations du système productif et de l’université. On en parle souvent en terme d’égalité des chances, de conditions d’études etc. Mais rarement est mis en avant le fait que ce phénomène ne peut s’analyser qu’au travers de transformations plus profondes. Cette mise au travail des étudiants est un élément central de la nouvelle fonction de l’université. Il faut préciser que les différentes réformes participent pleinement à ce processus.

Le diplôme permettait de sanctionner la sortie de l’université et constituait une sorte de clef pour entrer dans le monde de l’entreprise. La mise au travail de cette jeunesse qui avait accès à l’université avait donc lieu à la sortie des études et était quelque chose en quelque sorte de programmé . Or aujourd’hui, notamment avec la porosité de l’université et des entreprises, cette séquensisation en temps de formation/temps de production ne peut plus s’effectuer et la sanction du diplôme n’est plus la condition d’entrée dans le monde productif. C’est ce que l’on appelle « la crise du diplôme ». Cela ne veut pas dire que le diplôme ne servirait à rien, ou n’aurait plus d’utilité mais plutôt qu’il n’a plus la même fonction dans la configuration sociale actuelle.

Le dispositif d’employabilité

Il se met donc au sein de l’université un ensemble de dispositifs ayant pour but de mettre la population étudiante au travail. Contrairement à ce qu’il a été, cette mise au travail ne se fait plus en « bout de chaîne » de l’université mais aux différents moments et situations de celle-ci. Les différentes réformes tendent à segmenter le parcours universitaire selon cette logique où des dispositifs d’employabilité sont développés à chaque segment
On peut alors regarder les réformes successives de l’université à partir du problème qui se pose au système actuel : comment mettre la population étudiante au travail ? Quels dispositifs doit-on développer afin de capturer cette intellectualité de masse potentiellement si productive ? La nécessité d’inventer de nouvelles machines n’est pas tant que cette population serait non-productive, incompétente, mais bien plutôt quelle possède une virtualité productive formidable qui ne correspond plus aux anciens dispositifs, qui n’est pas « capturable » par ces même agencements. Il faut alors développer, inventer d’autres mécanismes qui permettent de trier les individus selon les « compétences » dont le système économique a besoin.
Mais ces dispositifs n’interviennent plus à la marge de l’université comme l’étaient les diplômes. Le nouvel agencement entre l’université et les entreprises fait que ces dispositifs traversent l’université et opèrent en quelque sorte de l’intérieur.
Cette mise au travail s’organise de différentes manières. On peut examiner de plus près ces trois niveaux de travail en formation ou de formation mise au travail.

On peut désigner ainsi ces trois niveaux en partant de l’organisation actuelle de l’Université : a) le DEUG-Kiabi/Mac Do ; b) le diplôme professionnel-Tefal/Renault (future licence professionnelle ?) ; c) la recherche innovante (futurs masters et doctorants ?).

a) Des entreprises, telles que Mc Do ou Décathlon, ont mis en place des ” contrats étudiants ” à horaires variables sur l’année qui requièrent une totale disponibilité de l’étudiant, celui-ci devant se tenir au service de l’employeur. Cela permet à l’entreprise de disposer d’un volant de main-d’œuvre hyperflexible pour restructurer ses coûts productifs. L’étudiant constitue alors une force de travail spécifique ayant une place spécifique dans l’organisation de la production.
Notons que ce type d’emploi requiert une flexibilité similaire à celle qu’impose l’organisation de l’étude en modules semestriels qui existe déjà par endroits. Par exemple à Rennes où, par la mise en place d’un système avec disciplines ” majeure ” et ” mineure”, une réorientation est possible en cours d’année sans ” perte de temps “.
Notons enfin que c’est pour l’étudiant l’occasion de faire l’apprentissage du ” savoir-être ” désormais indispensable : c’est en décors réels qu’il pourra s’entraîner, sous l’œil de ses supérieurs, aux nouveaux exercices des qualités immatérielles de la force de travail : curiosité, aptitude à communiquer, etc.
b) Le diplôme professionnel (préparé dans les Instituts Universitaires Professionnels) fait apparaître le caractère productif du travail fourni dans le cadre de la formation elle-même. Non seulement, comme on le verra plus loin pour les ECTS, les groupes d’entreprise participent à l’élaboration des programmes et interviennent directement dans l’enseignement, mais aussi, les entreprises bénéficient des études de projets menées par les étudiants qui, parce qu’elles sont pour eux partie prenante de la formation, ne sont pas payées.
La prise en charge par les étudiants eux-mêmes de leur formation, alors même que pendant ce temps ils produisent de la richesse, est un outil (matériel) essentiel de maintien d’une domination dans le travail. Pour donner un exemple de cette production de richesse non rémunérée : à l’IUP d’Evry-Val d’Essonne, les étudiants en deuxième année planchent en TD sur des ” cas concrets ” ; ainsi, on a pu leur faire réaliser une étude de montage robotisé des serrures de portière Renault, ainsi que la mise au point d’un système de pesage électronique pour Tefal.
c) Enfin il faut évoquer les projets de recherche pris en charge par les enseignants-chercheurs à l’université. L’université Villeneuve d’Ascq développe plus de 65 % du potentiel scientifique régional. Quelques exemples d'” innovations villeneuvoises “, à travers des projets de transfert de technologies à dimension européenne ou mondiale.
Donc il y a bien une dissolution de la frontière entre le monde du travail et l’université. La formation est un temps de production et réciproquement. La distinction entre travailleur et étudiant se brouille, s’estompe, sous la montée de la sollicitation généralisée de la disposition à l’apprentissage, à la formation ” tout au long de la vie “…

La mise en visibilité des parcours de formation

En ce sens il nous faut comprendre la mise en visibilité et en lisibilité de nos parcours de formation, et plus généralement de nos trajectoires de vie, comme ce qui va permettre aux entrepreneurs de capturer les forces productives qui traversent notamment les étudiantes et les étudiants. Se bâtir un « profil » c’est-à-dire un ensemble de compétences constituées par une trajectoire, un cursus lié à un style de vie, c’est somme toute se construire en fonction des attentes des entreprises, suivant les possibilités qu’offrent les bassins d’emploi. C’est cela être employable. C’est pour cela que les entreprises ont besoin de connaître précisément les trajectoires estudiantines. C’est ce que leur permet effectivement les lois Lang-Ferry puisque qu’aux diplômes sera ajouter « une annexe descriptive dite “supplément au diplôme” afin d’assurer, dans le cadre de la mobilité internationale, la lisibilité des connaissances et aptitudes acquises ». Cette logique des compétences traverse les manières de se former. En effet, le but est d’être sa propre entreprise et de se vendre sur le marché du travail. On se doit de devenir le produit qui doit trouver sa demande, c’est-à-dire incorporer les attentes des entreprises. On voit donc se dégager un mouvement circulaire entre l’intériorisation, par chacun, de son orientation dans la formation comme ” choix de vie ” et la lisibilité des contenus de savoir tournée vers les besoins des entreprises. Il y a alors une complémentarité entre cet auto-contrôle, qui nous traverse et nous divise, et les dispositifs de filtrage chargés de rendre visibles et lisibles les compétences cumulées.
Nous voyons cette logique à l’œuvre dans les réformes Lang-Ferry. L’important n’est peu-être plus le diplôme, le niveau atteint, mais plutôt le parcours, la singularité des connaissances et aptitudes acquises et leurs valeurs possibles dans un bassin d’emploi. Ainsi la réforme ECTS rend possible la validation du trajet effectué sans que pour autant celui-ci corresponde à un titre (diplôme national) ou à un grade . Ceci entérine le passage d’une organisation du travail basée sur les qualifications, qui sont reconnues par le droit du travail et les conventions collectives, à celle en termes de compétences, qui évalue l’employabilité.
Par ailleurs, des formations interdisciplinaires sont préconisées pour la constitution des filières de licences professionnelles dans les décrets et arrêtés de l’ECTS. Ceci pour former les personnes à différentes activités et postes dans les entreprises. Cette ouverture des filières sur d’autres savoirs, bien loin de nous servir, de correspondre à nos désirs, risquent bien plus de servir à augmenter seulement les capacités productives attendues par les entreprises. L’interdisciplinarité a cette fonction de mélanger les savoirs pour ensuite les redistribuer en terme de compétence. C’est le savoir lui-même qui se flexibilise en vue d’une adaptation aux nouvelles dispositions productives requises (polyvalence, initiative, motivation…)

La segmentation des formations

Cette lisibilité des parcours est accentuée notamment par une segmentation des formations. En effet, cette segmentation permet de saisir la cohérence des études. Elles seront organisées en parcours types de formations : Un premier niveau de 180 crédits du système européen de crédits correspondant au grade de licence professionnelle, un deuxième niveau de 300 crédits au nom de master qu’il est possible de poursuivre si on a le souhait et l’aptitude mais surtout s’il y a cohérence avec le parcours déjà suivi. Les mêmes grades et niveau de crédits sont attribués pour la filière recherche (grade licence recherche pour 180 crédits. Grade master pour 300 crédits). Entre ces deux types de cursus, professionnel et recherche, bien entendu il est difficile, sinon impossible de faire des passerelles, car les suivis d’orientation et de réorientation seront là pour assurer une traçabilité et cohérence forte des parcours de formation .

D’autre part, « La demande d’habilitation (…) précise en particulier les objectifs de formation, l’organisation des parcours en crédits européens et l’articulation des unités d’enseignement entre elles, leurs contenus, leurs modalités pédagogiques, les volumes de formation correspondants aux enseignements et à l’encadrement pédagogique, les passerelles prévues, les modalités de validation des parcours, le cas échéant les conditions spéciales d’admission . S’agissant des renouvellements d’habilitation, la demande explicite les résultats obtenus, les réalisations pédagogiques et les taux de réussite observés ». Nous voyons par-là que les formations, et surtout leur pérennisation, sont conditionnées par le taux de réussite et surtout l’intégration des étudiants dans le monde du travail. D’autant plus que la prospection est primordiale pour anticiper les mutations du marché du travail. Les formations devront alors répondre à l’état à un moment donné du marché du travail, à ses attentes et besoins. C’est ainsi que « les représentants du monde professionnel concernés par les objectifs de formation des parcours sont associés à la procédure d’évaluation ». Le but recherché est de savoir si les formations et les compétences développées chez les étudiants correspondent bien aux attentes des entreprises. Si les perspectives des entrepreneurs se modifient, cela entraînera une rectification des savoirs dispensés dans ces formations. En ce sens, les demandes de réhabilitation des filières de cette université productive devront s’appuyer sur les suivis de cohortes et des enquêtes d’insertion que prônent les ECTS. On peut largement estimer que ce qui s’opère dans ces orientations de traçabilité des étudiants, c’est la programmation de l’existence de ces multitudes, de leur devenir même, par le modelage continu de leurs singularités en compétences. Ceci afin de constituer les publics adéquats aux motivations attendues des entreprises.
Par ces quelques exemples, nous voyons alors que les ECTS actualisent l’ inscription de l’université dans un bassin d’emploi dans une volonté de capter une part de notre puissance productive en la modelant en vue d’une compétition économique généralisée.

En définitif, nous pouvons dire que les ECTS concrétisent le processus circulaire suivant : ouverture de l’université sur le monde de l’entreprise et le bassin d’emploi dans lequel elle est implantée, attention et vigilance des entreprises à l’intellectualité de masse produite à l’intérieur de cette université qui devient productive. La lisibilité accrue des parcours est l’opération de mise en valeur des singularités des étudiants. Cette opération permet la capture possible des compétences en vue de leur asservissement au système productif actuel. Ce qui fait de nous enfin de compte moins des étudiants que des travailleurs précaires intellectuels. Nous avons vu alors que les frontières entre formation et temps d’études se dissolvent. La formation, en tant qu’elle fait partie de la machine productive, est en elle-même productive. Elle n’est plus un temps séparé, d’ailleurs les idées de formation continue, « tout au long de la vie », sont là pour nous en convaincre. Se former, pour ceux qui nous gouvernent, c’est se remettre en phase avec leurs attentes.
Ces métamorphoses impliquent alors un renouvellement des axes de luttes jusqu’alors envisagées.

1 – Il est vain de s’accrocher aux débris de l’université des « Héritiers ». Mieux vaut aller, le couteau entre les dents, à l’abordage de l’université productive pour y prendre la salle des machines, et la dévier vers des contrées plus rayonnantes. Nous avons par ces transformations la possibilité historique et inédite de multiplier nos forces par la jonction avec ceux qui subissent les mêmes logiques et qui possèdent une puissance similaire : chômeurs, précaires et salariés. Il est nécessaire de lutter, dans un premier temps, pour la reconnaissance de notre appartenance à la sphère productive.

2 – Il importe aussi de construire des stratégies contre ce nouveau système de contrôle qui s’établit par la mise en place d’un dispositif d’évaluation de compétences. La productivité de ce travail immatériel ne se situe pas dans la possession de compétences individuelles qui ne sont que des potentialités. Cette puissance productive réside dans leur mise en perspective et en réseau dans des collectifs. Les compétences sans leur mise en relations ne sont rien. Elles n’existent que collectivement. C’est en ce sens qu’il importe de lutter contre l’ineptie de la notion de compétence, de mérité individuel, pour promouvoir une intelligence collective, un « intellect général », une coopération sociale qui passe à l’existant, qui s’actualise en situation. Toute tentative de définition de compétence acquise par l’entreprise ou l’université vise et a pour effet de nous séparer de ce que l’on peut en nous individualisant et de placer toute production, toute création sous la surveillance et la vérification de cette figure hybride qu’est l’université-entreprise.

3 – Comme il est impossible, dès lors, d’établir la part de chacun dans le procès de production, il importe de garantir un revenu pour toutes et tous. Pour que cesse cette rivalité qui oppose les individus entre eux et traverse chacun, le divisant en lui-même. Le revenu garanti est alors la conséquence des axes de luttes précédemment citées et la condition de leur effectuation.

PS: Pour ceux qui doutent de la réalité du processus en cours, deux exemples nous ont été donné par l’actualité récentes. Les futurs assistants d’éducation pourront convertir leur experience en points ECTS. Travailler c’est donc se former. On peut se référer aussi à l’article du Monde du 10 mai 2003 intitulé, “L’université de Valenciennes pionnère du régime LMD” qui donne des exemples de cette dissolution des frontières de l’Université et la mise au travail de la jeunesse.

NB : Les analyses précédentes s’inspirent de différents textes :
Le rapport Attali, le schéma de développement de l’Université de Nantes (1999-2004) et les textes concernant les ECTS (le décret du 8 avril 2002 intitulé « SANCTION DES ETUDES – Application au système français d’enseignement supérieur de la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur », l’arrêté du 23 avril 2002 intitulé « étude universitaires conduisant au grade de licence », et l’arrêté du 25 avril 2002 relatif au diplôme national de master), Dix thèses sur l’université productive, Post-scriptum sur les sociétés de contrôle de Deleuze (1990 L’autre Journal), et de nombreux documents nantais d’analyses sur l’université : le rapport Attali et le schéma de développement (1999), Pour une Université Libre (compte-rendu et analyse d’une rencontre entre des entreprises et la filière LEA) (2000), Transformations de l’Université (2000), La mise au travail de la jeunesse (2001)…
Pour celles et ceux qui s’intéressent à ces questions vous pouvez vous rendre sur les sites suivants :
www.legifrance. gouv.fr pour le droit, et pour nourrir la pensée : http://www.ecn.org/cqs/; www.samizdat.net; vacarme.eu.org

No copyright, tous les droits de reproduction, de modification et de diffusion sont libres.

[1] «Depuis une dizaine d’années, nous sortons de plus en plus du Welfare State, c’est-à-dire, d’une certaine économie plus ou moins contrôlée par l’Etat et dont l’objectif social le plus souvent proclamé est le plein emploi. Quand il y a du travail pour tous et que la mystique de la croissance est admise, l’économique peut être le mode de contrôle générale de la société. Avec l’ouverture des frontières, la formation d’entreprises multinationales, l’insistance sur les capacités concurrentielles, etc., le plein emploi n’est absolument plus à la base du credo économique : non seulement le chômage s’accroît, mais des phénomènes comme l’excédent d’instruction par rapport à ce que demande la production ou les innombrables «nuisances» sociales manifestent une sorte de décollement de l’économique par rapport au social. Donc il faut contrôler ou faire exister le social indépendamment, par des moyens propres, et non pas à travers l’économie qui va de son côté. Entre la production et la population le fossé se creuse. Un nouveau terrain de débats et de conflits apparaît. L’issue peut être aussi bien plus de contrôle que plus d’autonomie». Esprit, n°413 : Normalisation et Contrôle social, avril-mai 1972, pp678-703.
[2] Ce que le schéma de développement de l’Université de Nantes (1999-2004) avait partiellement réalisé et la réforme ECTS de Lang-Ferry de 2002 finalise définitivement.
[3] Article 2 alinéa 4 du décret du 8 avril 2002 intitulé «Sanction des études- Application au système français d’enseignement supérieur de la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur»
[4] Article 28 arrêté du 23-04-02 , (…)un dispositif spécial de compensation peut être mis en oeuvre qui permette à l’étudiant d’en bénéficier à divers moments de son parcours et, notamment, lorsqu’il fait le choix de se réorienter, d’effectuer une mobilité dans un autre établissement d’enseignement supérieur français ou étranger ou d’interrompre ses études. Ce dispositif a pour but de permettre à un étudiant qui le souhaite en fonction de son projet personnel d’obtenir à divers moments de son parcours un bilan global de ses résultats et d’obtenir ainsi la validation correspondante en crédits européens.
[5] Article 4 arrêté su 23-4-02 «(…)Les universités peuvent également organiser des parcours visant de nouveaux objectifs, soit au niveau de la licence, soit au niveau intermédiaire. À ce titre :1) Elles élaborent des formations qui, soit proposent, dans un champ disciplinaire, des contenus nouveaux, soit articulent de façon innovante plusieurs disciplines et notamment des formations bidisciplinaires ou pluridisciplinaires.
[6] Article 2 et 3, ibidem, par exemple mais cela revient dans d’autres articles
[7] Rien dans les textes n’évoque cette possibilité de passerelles entre parcours recherche et professionnelles.
[8] Article 19 de l’arrêté du 23-4-02 «(…)Dans les conditions définies par le conseil des études et de la vie universitaire et approuvées par le conseil d’administration, chaque étudiant doit bénéficier d’un dispositif d’accueil, de tutorat d’accompagnement et de soutien pour faciliter son orientation et son éventuelle réorientation, assurer la cohérence pédagogique tout au long de son parcours et favoriser la réussite de son projet de formation.
[9] Ces dispositions semblent être là pour expliciter concrètement la formation, pour une meilleure lisibilité.
[10] Article 9 de l’arrêté du 23-04-02.
[11] Article 10 de l’arrêté du 23-04-02.
[12] Article 21 l’arrêté 23-4-02 «(…)L’université met en place les procédures prévues à l’article précédent en prenant en compte les données quantitatives et qualitatives émanant des divers dispositifs d’évaluation qui la concernent : rapport du Comité national d’évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, données statistiques comparatives, enquêtes d’insertion, de suivi de cohortes.»

Des étudiants précaires