Retour sur le procés de ceux du cra de vincennes
Category: Global
Themes: Immigration/sans-papierEs/frontieresPrisons / Centres de rétentionRépressionVincennes
Bruits de bottes suivis de rires moqueurs dans l’assistance : deux dizaines de policiers (à vue de matraque) déboulent des escaliers pour venir encadrer ceux qui n’ont pas pu rentrer dans la salle d’audience. Ils sont pourtant plutôt sages, ces militants, se contentant de patienter en reprenant en chœur quelques slogans. Qu’importe : un important dispositif policier est en place et une certaine atmosphère de tension, accentuée par l’arrestation d’un militant hier à la sortie de l’audience, est palpable. À juste titre, au fond : le procès des dix inculpés de Vincennes est tout sauf anodin. Dans la répression à l’aveuglette de ceux qui ont osé se rebeller et brûler leur propre prison se joue un chapitre important du livre noir du traitement de l’immigration en France. Logique, donc, que les pandores soient de sortie.
Pour être franc, je ne t’apprendrai pas grand chose sur ce qui s’est passé cet après-midi à l’intérieur de la 16e chambre du Tribunal de grande instance de Paris [1]. Pour une bonne raison : comme la plupart des présents, je n’ai pas pu assister à l’audience, faute de carte de presse ou de laisser-passer adéquat. Après une heure et demi d’attente, j’ai piteusement rebroussé chemin, alors que les nouvelles de l’intérieur étaient plutôt lénifiantes (Un quart d’heure d’attente. Des gens sortent pour annoncer une suspension d’audience. Nouveau quart d’heure d’attente, nouvelle suspension d’audience…). Du coup, puisqu’on m’empêche de jouer l’envoyé spécial, je me rabats sur les (bons) moyens du bord pour évoquer le sujet.
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Il y a d’abord ce petit livre publié par les éditions Libertalia peu après l’incendie de juin 2008 : Feu au centre de rétention [2]. Composé de témoignages – recueillis par téléphone – de sans-papiers présents dans les lieux, il permet de saisir par le détail ce que subissent quotidiennement les personnes enfermées dans l’attente d’une expulsion ou d’une (improbable) régularisation. Au fil des pages, des détenus du CR1 et CR2 (les deux bâtiments séparés du centre de Vincennes) racontent les coups, la bouffe périmée, les brimades & humiliation, l’insalubrité et le mépris du personnel administratif :
« Ils nous traitent comme des chiens. Ici, certains flics ont la haine. Dans les chambres, il y a des odeurs incroyables. Dans les chiottes, on pourrait attraper n’importe quelle maladie. Vous verriez les douches, les couloirs, le réfectoire, vous n’en croiriez pas vos yeux. Ici, c’est comme une prison. » décrit ainsi un détenu le 16 mars 2008. Plus loin, un autre explique : « Quand je suis arrivé, je pesais 70 kilos, j’en pèse 55 maintenant. Un ami est passé de 80 à 60. »
Dans la bouche des détenus, ce sont toujours les mêmes mots qui reviennent : « ils nous traitent comme des chiens », « comme des moins que rien ». Dans Vacarmes (à lire ici), Alain Morice relatait ainsi un incident durant lequel des détenus sont agressés par les CRS à coups de taser :
Un pas en avant a été fait dans la nuit du 11 février 2008 avec une provocation clairement destinée à servir de prétexte à une action punitive : un policier éteint le poste collectif de TV, et tout le monde s’indigne. Surgissent ensuite des CRS, qui se livrent sans retenue à des violences. C’est alors qu’un policier s’amuse à “calmer” la révolte en utilisant son Taser. Un policier ou plusieurs ? Toujours est-il que trois étrangers seront transférés à l’hôpital.
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Le centre de rétention de Vincennes n’est qu’un des visages de cette barbarie du quotidien. 26 autres camps de rétention parsèment le territoire hexagonal, verrues liberticides florissantes en ces temps d’expulsions à tout-va et d’hystérie identitaire. En Europe, ce sont pas moins de 175 centres (en 2008) du type de Vincennes, antichambres à l’expulsion, qui s’étalent, plus ou moins légalement.
À Vincennes, l’incendie de juin 2008 s’est déclenché le lendemain de la mort d’un détenu tunisien, auquel le médecin du centre avait refusé son traitement. « Avant de rentrer au centre, il prenait déjà des médicaments tous les jours, il avait une ordonnance du médecin. Il demandait des médicaments et on ne voulait pas lui en donner », explique un détenu le lendemain de l’événement. Sa mort a été l’étincelle qui a mis le “feu aux poudres”. Mais ce feu couvait depuis longtemps : cela faisait plusieurs mois que le centre connaissait un fort mouvement de résistance, à l’intérieur (grèves de la faim, désobéissance généralisée…) comme à l’extérieur (nombreuses manifestations aux environs immédiats, parloirs sauvages… [3]. La révolte a eu lieu sur la durée. Et c’est aussi – d’abord ? – cela que l’État entend faire payer aux dix de Vincennes. Il faut que la leçon porte. Que les inculpés baissent la tête. Et que tous leurs camarades des centres de rétention fassent de même, oublient toute velléité de rébellion devant l’aveugle répression.
Choisis arbitrairement parmi leurs camarades (il n’existe aucune preuve de leur responsabilité directe dans l’incendie), les dix de Vincennes sont les boucs-émissaires d’une politique migratoire hystérique. S’ils font aujourd’hui face à un juge, c’est pour payer au nom de tous ceux qui ont eu (et auront) l’impudence de lever la tête. Maître Laurence Bedossa, avocate de l’un des dix prévenus explique ainsi à Politis (ici) qu’il s’agit d’ « un procès complètement incohérent, contraire à l’article six de la convention européenne, contraire à notre procédure, où l’on vient poursuivre de pauvres gens sans avoir de réelles raisons ni de réels éléments à leur encontre. » Alain Morice l’écrivait déjà en 2008 :
Le CRA de Vincennes a été le site d’une résistance ardue, courageuse et intelligente de la part des personnes enfermées là sous la garde de la police. Quoique la répression l’ait fait payer cher à certains, ces « retenus » – détenus en fait, derrière barreaux et verrous – ont tenté de faire jour après jour le plus possible de publicité à l’extérieur sur le sort qui leur est réservé, tout en créant assez de désordres à l’intérieur pour que leur révolte cesse de passer inaperçue. Or le secret de l’efficacité de ces locaux qui, selon l’expression consacrée, « ne relèvent pas de l’administration pénitentiaire », est précisément que les gens sont censés s’y tenir tranquilles, dans l’espoir vain que la sentence de renvoi ne sera pas exécutée, sinon la police est là pour les faire taire. C’est presque la seule loi qui a cours dans les CRA : celle du silence.
« Loi du Silence » ne pouvant être brisée que par un refus absolu des lois actuelles sur l’immigration et de leur application martiale [4]. Pas uniquement au cas-par-cas ou en cherchant à humaniser des lieux qui ne pourront jamais l’être. Mais en les refusant totalement, absolument – Beau comme des centres de rétention qui flambent, disait l’affiche…
C’est peut-être ce témoignage d’un détenu qui résume le mieux les choses :
Il faut penser la lutte autrement. Les gens et les flics se foutent de la grève de la faim. Ils se foutent des sans-papiers. Ils s’en foutent si on crève. Les gens bouffent des lames de rasoir tous les jours et l’on n’entend pas parler d’eux. Les petits trucs qu’on fait ne valent pas le coup. Il faut vraiment foutre le bordel pour leur mettre une vraie pression. Quand j’étais dehors, je travaillais. J’allais boire des verres après le travail. Je sortais avec mes amis. Je me foutais du reste. Quand j’ouvrais un journal, je ne m’intéressais qu’aux gros titres. Pour les gens, c’est pareil. Il faut que ça pète pour qu’ils s’intéressent à nous.
Il faut que ça pète pour qu’ils s’intéressent à nous. C’est vérifié. Il faut désormais s’assurer que l’on s’intéresse aussi à eux après le passage à l’acte. Pour que l’incendie, un jour, se propage au gré des vents. Notes
[1] Mais je te renvoie sur ce point aux quelques nouvelles données par les médias. Par exemple, ICI.
[2] À lire d’urgence, d’autant que l’intégralité des bénéfices est reversé à la défense des inculpés.
[3] Le lendemain de l’incendie, Frédéric Lefebvre, jamais en panne de bons mots, rejetait la culpabilité sur les « “collectifs”, type RESF (Réseau éducation sans frontières) qui viennent faire des provocations aux abords de ces centres au risque de mettre en danger des étrangers retenus ».
[4] « Juste après l’incendie, les déclarations qualifiant cet événement de “drame” se sont multipliées. Or : le véritable drame est de vivre traqué, dans la crainte permanente d’être arrêté,enfermé, expulsé. Que de nombreuses personnes soient acculées à choisir le suicide et l’automutilation comme portes de sortie de la rétention, qu’il y ait de plus en plus d’arrestations et d’expulsions, là se situe le vrai drame. » (Feu au centre de rétention, conclusion des rédacteurs.)
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