Pourquoi vouloir abolir les prisons ? Pour nous,
anarchistes, ce n’est pas qu’une question de principe. C’est une question
d’humanité. Comment peut-on prétendre réparer les préjudices subis ou
faire comprendre à un individu qu’il a commis un délit, en l’enfermant et
en le brisant ? Car la prison n’est pas qu’une privation de liberté mais bel et
bien une broyeuse de vie.

En France, au 1er juin 2009, il y avait 50 807 places dans les
prisons pour 63 277 détenu-e-s (dont 26 % de prévenu-e-s, 3,7% de
femmes et 1,2% de mineurs). Certains établissements atteignent des taux
de surpopulation de 200%.

Etant donné l’évolution sur ces dernières années, le problème de la prison
n’est pas prêt de disparaître. De 1975 à 1995 la population carcérale a
doublée. Cette surpopulation engendre de graves problèmes de conditions
de vie des détenu-e-s : de 3 à 4 personnes vivent dans 9 m², sans même
avoir de sanitaires intimes. Cette promiscuité engendre des tensions, des
viols et peut pousser certains détenu-e-s à se suicider. En 2008, 115
personnes ont mis fin à leurs jours dans les prisons françaises.

Actuellement, on recense au moins 3 tentatives de suicides par jour (soit
90 par mois) et un suicide effectif tous les 3 jours.

De graves problèmes de santé existent également en prisons, les
détenu-e-s n’ayant droit qu’à très peu de visites médicales et étant bien
souvent considérés comme des simulateurs.

Mais la prison ne détruit pas seulement les détenu-e-s. La famille et
les proches en souffrent autant. Les parloirs où les familles, les femmes,
les maris, les enfants, les proches viennent rendre visite au détenu-e-s sont
souvent des endroits terriblement insalubres : délabrés, souvent mal
éclairés, parfois même situés au sous-sol (c’est le cas dans la prison de
Fresnes) et, bien sûr, sans aucune intimité (au moins un maton reste à
écouter et à regarder). Bien souvent le prisonnier est embastillé loin de
chez lui obligeant ses proches à faire plusieurs kilomètres pour venir le
visiter, subissant ainsi la fatigue en plus de l’humiliation.

L’échec de la prison n’est plus à prouver, elle n’est là que pour
briser l’être humain qui y entre sans espoir d’en sortir indemne et de
pouvoir se réinsérer dans la société. Si certains ont parfois « la chance de
travailler » pendant leur peine, ils sont généralement sous-payés et ont peu
de chance de profiter de leurs expériences pour s’en servir une fois libérés.
Un manque flagrant de travailleurs sociaux et de formation dans les
prisons, rejette les ex-prisonniers dehors sans rien en main.

Rien n’est prévu, pendant la détention, pour, qu’une fois en liberté, les exdétenus
puissent trouver un travail et un logement. Le taux de récidive est
d’environ 75% pour les courtes et moyennes peines. La prison a fait son
temps, qu’elle crève !

Partant de ce constat, la société anarchiste – fondée sur le respect
de la liberté individuelle – ne saurait concevoir en son sein une institution
d’enfermement. Dépourvue d’Etat et de lois, quelles réponses la société
anarchiste propose t-elle à la gestion de la déviance ?

D’abord, il est évident, que la suppression des inégalités économiques et
sociale et l’abolition de l’Etat et de toute forme de gouvernement et de
coercition mettraient fin à de nombreux délits liés à la pauvreté (les délits
d’ordre économiques) ou à la révolte contre l’oppression et l’injustice.
Néanmoins, on ne peut nier l’existence de déviances. Chaque société –
aussi anarchiste soit-elle ! – a sa part de crimes passionnels ou
pathologiques. Alors comment traiter et gérer la déviance dans une société
sans prisons et sans asiles ?

Pour les anarchistes, le traitement du déviant ne doit pas se faire
sous l’égide d’un cadre moral ou juridique. Il ne s’agit pas de venger la
société, mais bien de réparer les dommages commis par ce déviant et de
donner à la société les moyens de s’en défendre. Dès lors, les réponses de
la société anarchiste aux actes de déviance ne reposent pas sur un corpus
de lois, mais sur le cas par cas, sur le moment, en fonction des
circonstances. De même, elle n’est pas l’apanage de quelques uns – qui
seraient professionnels en la matière – mais de la collectivité dans son
ensemble.

Le traitement du déviant par la psychologie peut être une des réponses si,
toutefois, il ne s’exprime par à travers l’enfermement physique ou
psychique.

Les travaux d’intérêt, en réparation aux dommages faits à la collectivité
(travaux d’intérêt généraux) ou à l’individu (travaux d’intérêt à la victime),
sont aussi une autre alternative à l’enfermement, pourvu qu’ils soient
réalisés décemment et sans aucune forme d’exploitation.

Selon les actes de déviance et les circonstances dans lesquels ils ont eu
lieu, la réconciliation entre les déviants et les victimes peut aussi être une
forme de réponse, qu’elle qu’en soit ses termes (indemnisation, pardon,
etc.)

L’éducation, elle aussi, peut être une alternative viable à l’enfermement.

Non pas l’éducation morale (qui consisterait à inculquer un certains
nombres de valeurs moralisatrices), mais l’éducation « pratique et
concrète » qui viserait à faire prendre conscience au déviant du caractère
nuisible de son acte pour la société comme pour lui-même. Par exemple,
dans les années 1980, une association de 2000 citoyens a quasiment vidé
un quartier de jeunes de la Maison d’arrêt de Turin en leur permettant
d’apprendre des activités qui les ont réinsérés dans la vie sociale.

Autre exemple, la ferme de Laplanche, à Champoly (entre Saint-Étienne et
Le Puy) a reçu – entre 1980 et 2000 – des jeunes qui venaient travailler
avec des éducateurs au lieu de faire de la prison. Sur plusieurs centaines de
mineurs, la récidive est passée de 50 à 22 %.

Quelque soit les réponses, les anarchistes auront toujours soin que
celles-ci ne prennent pas la forme d’un enfermement, acte destructeur,
annihilant toute liberté individuelle et, qui plus est, n’offrant presque
aucune garantie de non-récidive. Quelque soit le délit, rien ne saurait
justifier l’existence de lieux aussi liberticides et déshumanisants que sont
les prisons et les asiles.
Mur par mur, pierre par pierre, nous détruirons toutes les prisons !