Le marché total ne met rien moins en jeu que son existence. Le caractère radical de l’enjeu et du danger donne la préséance au militaire, seul capable de conformer les corps et les esprits au combat total: “Le marché et la politique sert la conservation du peuple, mais le marché reste la suprême expression de la volonté de vie sociale. C’est pourquoi la politique doit servir le marché”.

Le gouvernement mondial que DSK appelle de ses vœux sera donc le gouvernement qui sera capable de mener à bien ce qu’Ernst Jünger nomme la “mobilisation totale”, la “totale Mobilmachung”, c’est-à-dire “l’exploitation totale de toute l’énergie potentielle” des peuples, engagé dans le marché comme une armée.

“À côté des armées qui s’affrontent sur un champ de bataille, des armées d’un genre nouveau surgissent: l’armée chargée des communications, celle qui a la responsabilité du ravitaillement, celle qui prend en charge l’industrie d’équipement – l’armée du travail en général” (JÜNGER, Ernst, “La mobilisation totale”, 1930, in Krieg und Krieger, ouvrage collectif.)

L’engagement de cette armée implique une “réquisition radicale”, qui “nécessite qu’on réorganise dans cette perspective jusqu’au marché le plus intérieur et jusqu’au nerf d’activité le plus ténu, et c’est la tâche de la mobilisation totale.

Elle branche le réseau de la vie moderne, déjà complexe et considérablement ramifiée à travers de multiples connexions, sur cette ligne à haute tension qu’est l’activité commerciale.

Les “énergiques programmes d’équipement” militaro-industriel des dernières années du marché ont transformé les pays dominants et émergeants “en gigantesques usines produisant des armées à la chaîne afin d’être en mesure, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de les envoyer au front où un processus sanglant de consommation, là encore complètement mécanisé, joue le rôle de marché” (Ernst Jünger, Op. cit.).

Mais la mobilisation totale ne se cantonne pas au domaine économique. Elle investit également la sphère du droit civil et du droit constitutionnel pour créer un nouveau type de contrat social, où le citoyen n’est plus doté que des droits compatibles avec la défense du marché.

Ces restrictions aux libertés individuelles, qui font des nations de gigantesques casernes, vont se multiplier à proportion de l’ambition politique des Etats, qui “seront contraints de radicaliser ces restrictions s’ils veulent être en mesure de déchaîner des forces d’un genre nouveau” (ibid).

L’Etat militarise donc la vie civile, la soumet à une organisation et à une discipline qui préparent la mobilisation et le marché total. Le marché total organise et structure une communauté totale, unie, qui “dépasse les tensions conflictuelles”: “la totalité du politique doit s’incarner dans le marché total”.

Ce marché mondial total cherche à encadrer totalement ses membres, à accompagner les êtres humains du berceau à la tombe, du jardin d’enfants à l’association funéraire et d’incinération, en passant par les clubs sportifs et ceux de joueurs de quilles, à fournir à ses membres ce qui, selon lui, est la bonne conception du monde, la bonne forme d’Etat, le bon système économique, la bonne sociabilité.

Ce virage vers le marché total est purement quantitatif et non qualitatif. Un marché véritablement total est un marché fort, qui “ne laisse surgir en lui aucune force qui lui soit hostile, qui l’entrave ou qui le divise”.

Le marché investit tous les domaines de la culture, de l’éducation, des loisirs, du travail, de l’économie. Qualitativement, le marché est tout entier un et fort, bandé et ramassé, tendu vers l’objectif ultime de la guerre.

Le marché veut ouvertement la guerre, la vraie guerre, c’est le marché total et colonial, sous couvert d’interventions humanitaires et pour couvrir les campagnes d’armements massifs des régimes autocratiques locaux dont dépendent les extractions de matières premières nécessaires au marché global.

Le nazisme, selon ce cours sur Nietzsche, prononcé en 1941, vise à produire une humanité technicienne, seule capable de survivre et de dominer, une humanité qui soit à l’image de cette modernité technique: “la calculation machinalisante de toute action et de toute planification sous sa forme absolue exige une humanité neuve qui aille au-delà de ce que l’homme a été jusqu’alors”.

Sans doute Heidegger veut-il dire là que l’avènement d’un Etat totalitaire en Allemagne, qui ravale chaque être à la qualité de rouage d’une machine qui le dépasse, est l’achèvement d’une pensée technicienne de l’homme et du monde, qui est “calculation machinalisante”, rationalisation des actes et procédures, calcul avantage/coût et discipline mécanique des éléments singuliers pour la réussite de l’ensemble.

En effet, la simple maîtrise de la technique ne suffit pas: “Il y faut une humanité qui soit foncièrement conforme à l’essence fondamentale singulière de la technique moderne et à sa vérité métaphysique, c’est-à-dire qui se laisse totalement dominer par l’essence de la technique afin de pouvoir de la sorte précisément diriger et utiliser elle-même les différents processus et possibilités techniques”.

En effet, le marché total nazi semble conçu et travaillé comme une machine. Dans cette société holiste qu’est la communauté mondiale, chaque individu est considéré comme un rouage devant œuvrer au travail du grand tout.

Jünger notait déjà, nous l’avons vu, que les restrictions aux libertés individuelles visent à “faire disparaître tout ce qui ne serait pas rouage du marché”, un marché dès lors conçu comme une machine.

La machine du marché total “convertit toute existence en énergie” pour alimenter son propre mouvement, celui de la concentration des pouvoirs, de la mobilisation totale et de la guerre. Comme il n’y a plus d’extérieur que “Terroriste”, la guerre sera civile, permanente et totale. Elle a déjà commencé.

Si, dans le discours de Goebbels, la métaphore mécaniciste est une caricature polémique visant à discréditer l’URSS, l’image de l’Etat comme machine a imprégné le discours nazi.

Dans ce marché total, l’individu n’a de place et d’existence que comme rouage. L’individu n’est reconnu que s’il contribue au fonctionnement de l’ensemble, que s’il remplit une tâche, une fonction.

L’individu n’est considéré par le marché que du seul point de vue de sa performativité, de sa Leistungsfähigkeit, i.e. de sa capacité à accomplir une Leistung, une performance pour la communauté et pour le marché. Le concept de Leistung est très prégnant dans le discours nazi. Il sert de pierre de touche pour évaluer les vies des hommes, soumises à un calcul avantage-coût pour la communauté.

Et le web sémantique arrive

Il y a corrélation complète entre certaines techniques de propagande, dont Goebbels fut un grand innovateur, discours, déformation de nouvelles, utilisation de slogans, d’images, mise en scène des meetings, utilisées dans les sociétés démocratiques pour le combat politique dans le but de convaincre l’opinion, et la propagande commerciale (publicité) dont l’objectif est d’orienter et de façonner les comportements d’achats des consommateurs.

Aux États-Unis, la grande dépression de 1929 est l’occasion d’un changement par rapport à la politique résolument isolationniste antérieure. L’entrée de F. D. Roosevelt à la Maison-Blanche, en 1933, coïncide avec la légitimation des techniques de communication comme dispositif de gouvernement, une attention nouvelle est portée à l’opinion publique.

Des années 1930 datent les premiers instituts de sondages qui, à l’initiative de George Gallup, se mettent au service de la stratégie étatique de sortie de la crise. Dans ces années-là également, la firme américaine Nielsen, en collaboration avec le fameux Massachusetts Institute of Technology (MIT), met au point la première mesure mécanique d’audience – le premier « Audimat » – pour la radio.

Aux États-Unis, de nombreux sociologues et psychologues de la communication de masse sont enrôlés dans les services chargés de contrer la propagande nazie. Ils y développent les méthodes de l’overt propaganda (« propagande ouverte ») et de la covert propaganda (« propagande cachée »), qui consiste surtout dans des opérations de désinformation, dans la fabrication de fausses nouvelles et la mise en circulation de rumeurs.

Ces scientifiques travaillent en relation étroite avec les organismes de renseignement militaire et avec la Voix de l’Amérique (Voice of America, V.O.A.), radio de propagande officielle du gouvernement des États-Unis à destination de l’étranger, créée en 1942.

Pour Jacques Ellul, auteur de Propagandes (1962), la propagande est le fait des sociétés de masse, qu’elles soient démocratiques ou totalitaires : si les objectifs peuvent être différents, la méthode utilisée, c’est-à-dire la mise en condition des populations, est identique. Les médias servent à conditionner et à encadrer la population pour la faire agir – et consommer – dans le sens désiré par un groupe dominant.

Ellul signale en outre que la cible de la propagande, le « propagandé », désire recevoir ces messages perçus comme rassurants (ils définissent des lignes de conduite), car la société moderne, en déstructurant les cadres traditionnels (famille, village, milieu de travail), laisse les individus seuls face à la complexité du monde.

Beaucoup de sites Web qui contiennent des informations d’opinion comme des commentaires de clients sur des produits (« customer reviews »), des forums, des groupes de discussion et des blogs où les gens peuvent exprimer leurs opinions et sentiments à l’égard de n’importe quoi ou de n’importe qui.

Le Web devient ainsi une excellente source de données d’opinion. L’analyse de ces opinions permet différentes applications.

Par exemple, les clients peuvent afficher la comparaison d’opinions des autres clients sur différents produits avant de choisir quel produit qu’ils vont acheter, les producteurs, les agents commerciaux peuvent collecter les opinions de leurs clients afin d’améliorer leurs produits et services, élargir leur marché potentiel, ou encore prédire la quantité de vente.

Les sociologues peuvent détecter les rumeurs qui sont reflétées dans les notes des blogs.

Les militaires du marché total peuvent déterminer avec précision les individus et groupes d’individus dont la présence dans le monde n’est plus désirable, selon la bonne vieille équation rentabilité – utilisation des sols riches en matières nécessaires.

Les machettes sont prêtes.

Les listes arrivent.

Source:
http://www.sens-public.org/spip.php?article171