La première chose vécue a été le déferlement d’une information en boucle tout le week-end, sur les radios et les JT des grandes chaînes de TV. Des scènes d’émeutes, des hordes de casseurs, déferlement de violence, des groupes très organisés se réclamant de l’ultra-gauche s’en sont pris à des dizaines de boutiques du centre-ville, le centre ville de Poitiers saccagé et les habitants sous le choc…

Bref, une bonne grosse campagne sécuritaire des médias qui fait monter la pression sur l’opinion mais à travers ça, sur le pouvoir politique pour qu’il s’“explique” : comment est-ce possible ? Comment vous, les tenants de la sécurité, n’êtes vous pas capable d’empêcher cela ? De surveiller tous ces mouvements ultra-gauche ? etc.

La surenchère sécuritaire est en place. Visite de Hortefeux, etc…

Les mots sont importants

Et une émeute et le saccage d’un centre ville, c’est pas quelques vitrines cassées, taggées, quelques fumigènes balancés.

La dessus, les camarades de l’OCL ont eu raison d’essayer de rétablir les ordres de grandeurs et donc de signification. Quelques vitrines cassées, ça ne fait pas une émeute. « Une émeute, c’est, rappelons-le, un soulèvement populaire mis en œuvre par une partie importante et significative de la population dans un espace politique donné. » (Communiqué OCL du 11 octobre). Sauf à vouloir travestir la réalité et la faire correspondre à ses fantasmes. Fantasme sécuritaire de ceux qui veulent toujours justifier plus de répression, de vidéosurveillance, de contrôles de toutes sortes, qui défendent et veulent convaincre du bien fondé de la mise en place d’un état d’exception permanent, au nom de la sécurité “qui est la première des liberté” n’est-ce pas ?

Fantasme qui est apparemment aussi celui des « Quelques anarchistes précipités » qui ne voient pas de raison de critiquer la redoutable machine sécuritaire, trouvant « banales » les méthodes policières et préférant manier l’insulte contre l’OCL et les mièvres organisateurs de cette journée anti-carcérale qui mettaient « en avant les aspects les plus superficiels de l’univers carcéral ». Bref de pauvres militant-e-s illusionnistes, qui participent au spectacle au lieu de la combattre parce qu’ils n’ont pas compris qu’il faut « contribuer par de réels dégâts physiques et matériels à la guerre sociale. » Mais c’est vrai, à quoi bon lutter contre l’incarcération, contre la logique de l’enfermement alors qu’il faut s’en prendre à « l’administration pénitentiaire de nos vies ». Si la société est une prison, évidemment, à quoi bon lutter contre une prison ou l’ensemble de la logique carcérale ? Comme les méthodes policières « banales » ne méritent pas qu’on les conteste.

Toujours, partout, en toute circonstance, dans n’importe quel contexte… parce que, n’est-ce pas, « nos cœurs bouillonnent vers la guerre ». Il n’y a pas ici de raisonnement, de réflexion sur les moyens et les fins, non. « Nos cœurs » nous poussent à la guerre ! Alors, s’il s’agit d’aimer la guerre, d’en avoir envie, d’en être attiré et en attendre du plaisir, il est clair que l’on ne navigue pas du tout dans les mêmes eaux !

Et là, les références négatives de notre soit disant « anarchistes » envers la « population », envers le « peuple » en dit long sur la vacuité politique totale de ces crétins individualistes, qui se gargarisent de mots creux quand ce n’est pas la pire conception libérale de la liberté : l’illimitation des jouissances privées de l’individu contrariée par l’Etat. Inutile d’aller chercher « l’apanage des maoïstes et des léninistes », historiquement l’anarchisme dans ses différentes variantes appartient au combat prolétarien, aux luttes paysannes, aux combats du mouvement ouvrier, du peuple contre les injustices et pour sa liberté (1). Le terme de peuple est certes polémique et problématique mais c’est précisément en cela qu’il est intéressant : il n’autorise pas de dogmatisme. Et puis, quels concepts ne sont pas polémiques : l’anarchie, la démocratie, la révolution, le ”système”, la capitalisme ? Cette manière de dénigrer le « peuple », le « populaire » en dit long de leur appartenance à une tradition fondamentalement élitiste, celle des savants, de ceux qui se pensent supérieurs car ils possèdent plus et mieux la science qui délivre la vérité.

Qu’ils ne supportent pas le « démocratisme » et la politique est d’ailleurs cohérent. Chez ceux qui rejettent la politique et l’idée démocratique, c’est toujours au nom d’une vérité supérieure (de l’être, du social, de la pensée) mais évidemment cachée, que seuls les esprits malins, mais peu nombreux, savent débusquer. C’est une très vieille histoire qu’ils nous racontent là, qui remonte au moins à Platon. Chez les stals, les léninistes, dans le marxisme positiviste, c’était au nom de la science du prolétariat, chez nos anarchistes insurrectionnalistes, ça doit être au nom de la vérité des exigences de la vraie vie et de la “vraie” subversion menées par des « individus » contre tout ce qui peut les menacer, des êtres posés comme purs absolus, séparés, déliés de toute socialité. La politique que ne supportent pas ces « anarchistes précipités » c’est précisément ce qui permet de fabriquer du commun, de donner sens à des communautés humaines concrètes, des espaces à l’intérieur desquels il est possible pour des êtres singuliers, sans qualité particulière, de problématiser, de mettre en discussion, d’élaborer des formes nouvelles de voir le monde et de le transformer.

Pour nos « précipités » et autres insurrectionnalistes, l’action, l’acte, le cassage de vitrine ou autre, n’est pas un acte calculé, situé dans un contexte, de le cadre d’une lutte sociale et politique, car on est là encore dans le domaine de l’insuffisance, du faux, de l’illusionnisme ; l’acte destructeur est le signe existentiel, et non politique, sensé exprimer la vérité de la révolte de son auteur. Et les “émeutes” à 200, largement dramatisées et surmédiatisées, ne sont en aucun cas à critiquer, peuvent et doivent se faire partout, en toute circonstance, dans n’importe condition, sans tenir compte de l’avis de ceux qui organisent une manifestation, qui essaient de sensibiliser la “population” (beurk !).

Il est piquant que de lire que les « éternels commentateurs » poitevins mis en cause étaient pourtant sur place et participaient à l’organisation de cette mobilisation anti-carcérale tandis que nos “anarchistes précipités”, absents de cette journée, ne se gênent pas pour commenter… les commentaires et les points de vues.

Ce n’est pas la première fois que des individus voulant faire assaut de radicalité, d’engagement total et d’intransigeance, non seulement traitent par le mépris tous ceux et celles qui n’optent pas pour leurs positions mais en plus en viennent à donner raison à l’Etat, aux campagnes médiatiques sur la sécurité, au quadrillage militaro-policier du territoire : c’est du « banal », c’est logique puisque le monde est une prison.

La répression est « si banale », la société une prison, les luttes « populaires » sont à chier, les initiatives organisées par des « chieurs d’encres militants » ne servent à rien ou ne font que créer des illusions et le « militant moyen » qui s’y consacre ne fait que participer à la « pacification sociale » car, selon lui, « il faut l’attendre pour agir. »

Malgré leur tonalité anti-politique, ces propos s’inscrivent dans une démarche politique, non seulement erronée et à combattre parce qu’avant-gardiste, mais dangereuse car elle referme tous les espaces de la conflictualité sociale et politique et ne privilégie que l’action « militaire » (c’est la guerre !). Les réunions publiques ne servent à rien, ni les « rassemblements sans contenu (ou trop peu), rassembleurs ». Essayer de diffuser des idées, des arguments, s’adresser à la population, avoir une expression collective (contre la prison, mais cela serait la même chose sur d’autres sujets), s’opposer à la politique sécuritaire, carcérale, du gouvernement et derrière la logique de tous les Etats, tout cela ne sert à rien. Organiser une manifestation qui se passe sans casse, pour dénoncer la construction d’une nouvelle prison, ne sert à « rien d’autre qu’à balader son chien » et « à crever en n’ayant rien été d’autre que le spectateur pacifié de sa propre vie. »

Par contre, « nos cœurs bouillonnent vers la guerre », et il faut « contribuer par de réels dégâts physiques et matériels à la guerre sociale ». C’est un discours de la militarisation de l’affrontement. Comme si la révolution, les luttes sociales, la “guerre sociale”, était une guerre entre deux armées, où il faudrait infliger des « dégâts physiques et matériels » à l’adversaire. Comme si la domination du capital était la domination d’une dictature militaire et qu’il fallait mener une lutte/guerre dans une face à face avec l’Etat, un Etat toujours conçu exclusivement comme un instrument de répression que d’infâmes collabos (« anarcho-flics ») légitimeraient en n’osant pas l’attaquer directement, dès aujourd’hui, sans doute à coup d’explosifs ou de pelleteuses (« C’est que pour l’OCL du Poitou, l’heure n’est pas à l’attaque et à la destruction de toutes les prisons ») !

On croit rêver en lisant un tel tissu d’âneries. On a l’impression que, banalement, l’histoire se répète et que des leçons n’ont pas été tirées.

D’autant que la justification des actions “hors sol” est celle où l’on présuppose une situation globale et intemporelle (« l’administration pénitentiaire de nos vies ») pour les appliquer localement, quel que soit le contexte (« ailleurs, sans attendre et tout le temps ») et surtout sans tenir compte du moindre avis de ceux et celles qui luttes localement. Mais c’est vrai qu’il y a clairement « l’impossibilité de quelques affinités » avec ce petit monde des « chieurs d’encre militants », « les anarcho-flics », ces « fonctionnaires de la pacification sociale habillés en révolutionnaires » avec « leurs sales gueules ».

Malheureusement, ce n’est pas la première fois que des révoltés, des “radicaux”, ou même des anarchistes empruntent ce type de trajectoire, cette fuite en avant du face-à-face paranoïaque avec l’Etat dans lequel c’est toujours l’Etat qui gagne. Fuite en avant et renoncement : plutôt que d’affronter le monde avec sa complexité et ses contradictions, il est en effet plus “simple” de le découper en deux camps : eux et tous les autres désignés indistinctement comme des ennemis. En réduisant l’espace de la lutte à l’affirmation d’une identité haineuse, à une rhétorique sans idées et sans arguments, basée sur un degré zéro de la réflexion politique, qui semble fonctionner quasi exclusivement sur le ressentiment, sur l’insulte, les menaces (2), sur des postures obsessionnelles et un mental limite psychopathe, qu’un rien irrite (3) et où se manifeste la négation de toute altérité, de toute pluralité.

Le monde est surpeuplé de salauds, de traîtres et d’ennemis. On est dans un film très très noir. La mort sera-t-elle au rendez-vous ?

Les affinités sont effectivement impossibles. Nous ne sommes pas dans le même monde.

Un communiste libertaire le 14 octobre 2009

Notes

1. Les journaux auxquels ont participé des anarchistes en témoignent, depuis la “Voix du peuple” de Proudhon, le “Cri du peuple” de la Commune, le “Journal du peuple” pendant l’affaire Dreyfus. Sans même parler d’Emma Godmann qui publia une “Manifeste au peuple américain” ou de l’hymne des anars espagnols qui s’appelle “Hijos del Pueblo”… On n’évacue pas le peuple comme cela !

2. « Il convient toutefois de rappeler aux politiciens et autres « grands-frères » bien intentionnés, que lorsque qu’éclate notre rage, tout ce qui nous oppresse et se trouve sur notre route à un moment donné mérite de subir nos foudres, qu’il soit vêtu de bleu ou de tracts, et que nous ne tolérons pas les arbitres. »

3. « Nous espérons aussi ne pas avoir à revenir sur la politique et ses mécanismes de … » : ne nous obligez surtout pas à revenir sur ce qui est dit, hein ?!