J’avais perdu de vue un ami de mes années d’étude sur Grenoble. Lui et moi nous étions connus durant notre passage dans une école d’ingénieur du campus, à l’extrême fin du siècle passé.

Un chouette gars, qui savait ce qu’il voulait. Il cartonnait aux examens, tandis que je me démenais en bas de tableau, passant mes fins de vacances à potasser le rattrapage. Remarquez, je fis la même formation que lui au sein de l’école, mais plus cool. Et on a les mêmes diplômes en sortie.

Il se situait dans les 5 premiers du classement, et par cela, il put emm… toute l’administration de l’école. Celle-ci était jumelée avec l’université francophone de Montréal, au Québec. Mais lui désirait étudier à Mc Gill, l’université anglophone. Quand il avait une idée en tête, il ne l’avait pas ailleurs. Je crois qu’il était breton d’origine. Son opiniâtreté m’impressionna à l’époque. Il obtint ce qu’il avait voulu. Et avant de partir, il s’assura une place en thèse sur un projet européen dans le domaine que les plus ignares continuent de mettre dans la catégorie niaise de « science pure ». Mais vu le pedigree du gugusse, le laboratoire qui lui promettait son embauche ne risquait pas grand chose. J’avais l’impression qu’il réussissait tout ce qu’il faisait. Moi, j’étais pas un gagneur comme ça.

C’est à son départ pour le Canada que nous coupâmes les ponts. Les liens que nous entretenons dans ce milieu sont d’une étrange nature. Et dès que l’un de vous met les voiles, il disparaît des écrans. Enfin plus tout à fait à notre époque. Aucun des potes que je garde de cette époque n’ont de nouvelle de lui. Ma « mafia » n’est pas assez fine. Alors, dans ces cas-là, je fais comme tout le monde : je joue à l’espion sur la toile. Et grâce à l’écran de l’ordinateur, on ne disparaît plus jamais tout à fait de la vie de ceux qui s’intéressent à vous, pour une raison ou une autre (1).

J’ai pas pris grand chose dans la nasse. De toute façon, j’ai pas l’âme d’un détective privé. Il me reste un brin de « common decency ». Une photo de lui. Il a pas bougé. Moi qui l’imaginait à l’autre bout du monde, réalisant des trucs de dingue, il habite dans la même région que moi. Mais ce qui m’a fait tiqué, c’est son travail. Si je m’attendais à ça.

Quand on était en école, ce type-là cartonnait vraiment. Des 18 aux exams et tout. Et la thèse qu’il voulait faire pouvait impressionner ceux et celles du « milieu ». Où alors, disait-il, il quitterait tout pour vivre aux Antilles. Mais c’est peut-être ma mémoire qui exagère. Une vie en tout cas trépidante. Enfin bref, ce qui me bloque c’est qu’il fait de la traduction pour livres de vulgarisation scientifique. Il fait aussi du « conseil ». Il forme des jeunes filles et des jeunes gens dans des filières de vente & management. Ah, il bosse aussi pour une petite boîte qu’il a monté, et qui soutient, dixit, les Jeux Olympiques d’Annecy en 2018.

Rien de glorieux. Se fader 8 années d’étude, à bosser dur (les bons résultats ne viennent pas tout seul), pour arriver à ça : agent reproducteur, petit engrenage du big system. Mais si on s’arrange avec son miroir tous les matins, il y a moyen de pas s’en faire. La double pensée, ça marche, vous savez.

Alors franchement, je vous le demande : où ça mène les études ?

(1) A ce sujet, lire l’excellent texte « Pourquoi je ne suis pas sur Facebook », ainsi que l’article du journal Le Tigre « Portrait Google de Marc L. », disponible sur le site du journal et dans son édition n°28 de nov-déc 2008.