La grande Révolution Numérique Iranienne

Que les apparatchiks de la censure Numérique se rongent les ongles vient de prendre un nouveau chemin jusqu’ici insoupçonné, qui n’a plus rien à voir avec le Hacktivisme ultra-qualifié, isolé et marginal de ses dernières années. La révolution numérique ce n’est plus le Web 2.0, les réseaux sociaux et le micro-blogging, c’est l’utilisation de ces nouvelles structures virtuelles pour propager des informations comme media instantané, indépendant et participatif.

En pleine révolution Iranienne, l’audience (si elle était comparable) de TWITTER explose celle de CNN ou de la BBC. Il est devenu indéniable que le cheminement international de l’information ne passe plus par les réseaux de presse traditionnels. L’image qui restera comme le symbole de ce tournant historique, c’est très probablement la photo de ce photographe de l’AFP bloqué dans son hôtel de Téhéran, regardant d’un air désespéré son écran de télévision, pendant que les balles sifflent aux oreilles de manifestants pro-moussavi à l’extérieur.

Les journalistes sont devenus des cibles faciles dans les pays qui pratiquent la censure exacerbée. Les visas, les multiples autorisations, toutes ces interminables formalités par lesquelles il faut se plier pour pouvoir espérer réaliser un travail de terrain, sans être arrêté ou voir son matériel confisqué, sont autant d’indications qui permettent de localiser et de pister le reporter. C’est à dire contrôler ce qu’il fait, pour qui et surtout par quels moyens. En Iran, les Hôtels ont été simplement encerclés par la police et les visas révoqués. Les journalistes étrangers téméraires trouvés dans les rues, sont malmenés et leur matériel est parfois détruit ou simplement confisqué. C’est arrivé à une équipe Italienne et Française, notamment. Il ne reste plus d’autres solutions pour les médias internationaux que d’aller piocher sur internet les images qui illustreront leurs propos. Jusqu’ici il y avait Youtube et Dailymotion. Depuis peu il y a Facebook, pour ceux qui l’utilisent, et très récemment Twitter. L’un est fermé aux « anonymous » , l’autre est ouvert et instantané.

Il n’en fallait pas plus pour que le gazoulli devienne un outil médiatique puissant. L’interface est très épurée et le fonctionnement plutôt simple, mais son incroyable succès provoque beaucoup de ce que l’on appelle « le bruit ». Explications : Twitter fonctionne par succession de petits messages, dans lesquels on peut imbriquer des expressions ou « tag ». Ces mêmes tags peuvent être listés en temps réel sur le moteur de recherche du site. On retrouve alors une liste de tous les messages qui portent le tag, classés par apparition. En résumé, si je crée le tag « #tagtest », chaque fois que je mettrai #tagtest dans un message, il apparaîtra sur le moteur de recherche pour qui cherchera cette expression. Par exemple, « #iranelection » est le tag le plus utiliser depuis lundi sur Twitter. Toutes les minutes, entre 300 et 1000 messages dans le monde utilisent cette expression. Les utilisateurs renvoient le même message plusieurs fois pour que l’information reste visible, mais cela rend le tout très brouillon. Imaginez que chaque minute, il faille survoler au moins 200 messages de 140 caractères pour pouvoir trouver une information intéressante. Au bout d’un certain temps et après une nécessaire adaptation à l’exercice, on se rend compte que beaucoup d’infos sont répétitives, mais que parfois, un lien nouveau apparaît et se reproduit des milliers de fois. Cette information est nouvelle, mais elle n’est pas encore confirmée. Au bout de quelques heures, il apparaît que les premières informations émanent souvent d’un même utilisateur. Bingo : vous avez trouvé une source. Pour s’assurer que la source est fiable, il faut juger au nombre de reproductions, mais aussi aux reprises de citations (re-twits), des utilisateurs connus comme d’autres sources fiables.

Le petit jeu des autorités de la censure, est de créer un immense bruit de fond, en reproduisant des centaines de fois le même message, pour noyer les nouvelles informations dans la masse, et ce avec de nombreux utilisateurs fantômes ainsi qu’à l’aide de messages différents et souvent bidons. Pour couronner le tout, il n’y a pas qu’un tag, mais plusieurs. Dans cette crise Iranienne, les principaux sont : #iranelection #iran9 #gr88 #iranians #tehran. Lire ne serait-ce que la moitié des informations qui sortent dans un seul tag n’est même pas envisageable quand le nombre de twits (les fameux messages de 140 caractères) dépassent le 220000 par heure, comme le mercredi 17 juin à 12H GMT

En prenant le temps et de l’énergie pour le faire, il est donc possible « d’aller pêcher des informations sur Twitter ». Mais c’est un peu comme s’évertuer à écouter un murmure, au beau milieu d’un concert de Hardrock, sonorisé par des enceintes de la taille d’une maison. Ou de tenter d’entendre quelqu’un qui vous parle alors que des milliers d’autres personnes le font en même temps. Ce n’est pas encore l’outil miracle, il faut le reconnaître dès la première connexion. Mais Twitter est facile d’utilisation. Et il est omniprésent dans les mouvements insurrectionnels depuis les émeutes de Grèce (Décembre 2008), quand la mort d’un adolescent assassiné par un policier, a fait le tour de Twitter en quelques minutes et que les premières manifestations se sont organisées sur internet. C’est l’instantanéité et la facilité de diffusion qui fait tout, et ça les iraniens l’ont très bien compris. En quelques heures, les bloggeurs iraniens anonymes, munis d’un téléphone portable avec une caméra et d’une carte dans un cybercafé, sont devenus des cyber-dissidents observés par le monde entier et pourchassés comme des cibles à éliminer prioritairement dans leur pays. Ceux qui n’ont pas pris quelques rapides cours de brouillage de leur connexion, via les multiples sites qui fleurissent partout à propos des proxies, sont en danger de mort. Ils ont sur une épaule les yeux du monde, et sur l’autre la kalachnikov des milices. Certains arrivent à passer des informations, malgré tout. Et c’est grâce à eux que le monde finit par s’informer, non plus grâce au travail des journalistes officiels, réduits à de simples fouineurs de YouTube pour illustrer leurs reportages. Les bloggeurs iraniens sont indéniablement les héros de cette révolte, car ils ont tenu en échec un adversaire très talentueux.

Certains voient dans cette crise la main omniprésente des Etats Unis… Il faut d’abord savoir que les USA ne se sont jamais cachés de chercher à déstabiliser l’Iran en soutenant des mouvements insurrectionnels, via toutes les agences ou sociétés-écrans qu’ils possèdent. Mais la CIA ne contrôle pas tout, et l’analyse primaire qui consiste à dire que les élections sont le seul élément déterminant dans cette révolte, ne prend pas en considération la lame de fond réformatrice qui peut exister en Iran. Pour inventer des slogans tel que « Where is my vote ? », pour proposer des connexions internet sécurisées via des serveurs basés sur le territoire américain, les agences de renseignement Américaines sont très qualifiées.

Mais malgré tous les talents manipulateurs des services secrets US, ils ne savent pas encore faire sortir spontanément 2 millions de personnes dans les rues d’une capitale, encore moins dans un pays islamique. Il ne faut pas oublier que, disons par proximité de civilisation, il est beaucoup plus facile pour les Etats Unis de participer, voire de provoquer une insurrection dans des pays comme l’Ukraine ou la Georgie. Mais l’Iran, ce n’est pas un pays dont la culture est bien maîtrisée, c’est un pays dans lequel il faut inventer de nouvelles méthodes de propagande et de manipulation qui n’ont pas toujours été testées et approuvées par l’histoire tentaculaire de la CIA. Ce sont encore des questions qui ne trouveront de réponses que dans plusieurs décennies, mais il est évident que réduire la révolte iranienne actuelle à un pantin américain contre le régime des mollahs, c’est donner beaucoup trop d’importance à des agences qui ne sont (pas encore) Big Brother. Il y a des signes qui montrent que des tractations sont en cours (avec twitter, les serveurs proxy qui rendent anonymes les connexions internet, l’évacuation de dissidents, l’espionnage…) mais il ne s’agit là que d’un bricolage hâtif et lointain, beaucoup plus lointain que l’empreinte flagrante de la CIA pendant la révolution Orange d’Ukraine en 2005. Il suffit d’ailleurs de voir comment le peu d’entrain des autorités Iranienne a dénoncé les manipulations des USA et d’Israël dans la révolte, peine à convaincre jusqu’au sein même du pays.

Nous avons devant les yeux une tentative forte d’un peuple désirant une ouverture politique, qui déclenche sa révolte après des élections frauduleuses. Il ne s’agit pas d’une révolution ou d’un coup d’état, les opposants ne cherchent pas à renverser l’hypothétique parlement ou le régime en lui même, ils veulent un changement de leader et récupérer au passage des libertés perdues.

Le fait que l’Iran possède une milice concurrente à l’armée régulière, doté des pouvoirs d’une police politique, est entièrement responsable des débordements et des meurtres lors des manifestations du début de la semaine. Les Bassij sont une partie du problème, indissociables du pouvoir en place qui en a modifié les prérogatives. Cette milice est devenue le symbole de l’oppression de l’état sur les citoyens, et ils se retrouvent logiquement en première ligne face à la révolte populaire, en l’amplifiant par sa violence.

Vu d’Europe, on pense à un basculement de régime, à l’instauration d’un nouveau système politique digne de la chute du mur de Berlin. Sauf que tous les analystes politiques et les spécialistes du moyen-orient crient à l’amalgame. L’Iran n’est pas l’Ukraine et encore moins le Nicaragua. Le gouvernement a une assise forte et des moyens pour subsister dans la tourmente. Il va faire comme aurait fait tous les autres gouvernements du monde à sa place : tenter de satisfaire la masse populaire en distillant certains verrous, en changeant certaines têtes et en créant une « grande coalition nationale de réconciliation ». Tout en maintenant le cap politique et un oeil farouche sur ceux qui se sont le plus exposé pendant les périodes de trouble. Il ne reste plus qu’à savoir si le peuple Iranien va se contenter de ce faux compromis, ou si les opposants vont continuer leur lutte jusqu’à en obtenir le maximum. Comme dans toute révolte, grève ou insurrection, plus le gouvernement va faire mine de lâcher du lest, et plus les militants vont abandonner leurs positions. Laissant progressivement les partisans de la manière forte à l’infériorité numérique, et tous les autres dans le désarroi

Quand aux nations occidentales, elles se méfient de plus en plus de tous ces pays qui connaissent des événements insurrectionnels, partageant entre eux leurs expériences et leurs connaissances, leurs méthodes et leurs moyens de communiquer. Le terroriste politique était un individu isolé, à l’affût et plus ou moins facile à identifier ; C’est aujourd’hui potentiellement vous et moi, derrière son ordinateur ou sa caméra Haute Définition. La documentation, les connaissances qui étaient autrefois réservées aux grandes organisations marxistes et autres révoltés russophones ou guévaristes, sont désormais téléchargeables en quelques millisecondes depuis n’importe quelle prise téléphonique, et avec la maîtrise informatique d’un enfant de 6 ans. Quel que soit l’endroit où démarrent des événements insurrectionnels, la censure et la répression ont de plus en plus de mal à s’imposer, malgré les moyens colossaux mis en place.

Et ceux qui doivent regarder Twitter avec la plus grande inquiétude en ces temps troublés sont certainement les Chinois, qui tentent depuis des années et par tous les moyens existants, de contrôler les flux de l’information sur Internet. Les Hackers Chinois sont devenus depuis quelques années maintenant les meilleurs du monde, parcequ’ils passent leur temps à déjouer les constructions incroyablement complexes, qu’une censure omniprésente leur impose au quotidien. Toute cette histoire Iranienne, quelques jours après le funeste vingtième anniversaire des événements de Tiananmen, doit donner beaucoup d’espoir à ceux qui imaginent une nouvelle révolte de la jeunesse Chinoise. Et des idées à ceux qui tentent de s’organiser en Europe …

Et ceux qui doivent regarder Twitter avec la plus grande inquiétude en ces temps troublés sont certainement les Chinois, qui tentent depuis des années et par tous les moyens existants, de contrôler les flux de l’information sur Internet. Les Hackers Chinois sont devenus depuis quelques années maintenant les meilleurs du monde, parcequ’ils passent leur temps à déjouer les constructions incroyablement complexes, qu’une censure omniprésente leur impose au quotidien. Toute cette histoire Iranienne, quelques jours après le funeste vingtième anniversaire des événements de Tiananmen, doit donner beaucoup d’espoir à ceux qui imaginent une nouvelle révolte de la jeunesse Chinoise. Et des idées à ceux qui tentent de s’organiser en Europe …

… On a vu beaucoup de documents « interdits » comme les manuels de la garde à vue, les instructions médicales d’urgence des Medical Teams, les manuels de guérilla urbaine ou bien encore les guides de la guerre cybernétique, être traduit en persan et diffusé en masse sur le réseau dés le début des manifestations en Iran. Les citoyens étrangers, qui avaient les yeux braqués sur Twitter pour s’informer de la situation, ont dû au passage lire la traduction en Anglais de tous ces guides, s’ils ne les connaissaient pas encore. Ces documents étaient jusqu’alors en possession, pour la plupart, des organisations de gauches radicales européennes de toutes sortes, des militants fréquentants les contres sommets comme celui de Vichy en 2007 ou de l’Otan à Strasbourg, en avril de cette année. Il ont été alors distribués en masse et se sont démocratisé dans les manifestations. Ces mêmes documents ont été traduits à la hâte et envoyés par centaines de milliers de twits aux iraniens qui, d’aveux d’une source de la BBC, se les distribuent comme des petits pains. Ils sont imprimés aux dos des portraits de Moussavi, le leader de l’opposition.

Privés des réseaux de médias traditionnels et des agences de presse, les insurrections, révolutions ou autres organisations autonomes en lutte, se sont rués sur Internet depuis l’aube de sa création. Aujourd’hui cela est devenu l’arme principale de diffusion et de propagande de ces réseaux, dépassant de très loin les tracts, affiches, ou autres supports historiques de dispersion d’une information non-officielle. En terme de visibilité, Internet offre l’ouverture au monde, d’une manière tellement radicale et nouvelle qu’il a fallu du temps pour que les insurrections et les tentatives révolutionnaires s’adaptent. Après les événements en Grèce et en Iran ces derniers mois, on peut dire qu’une étape conséquente à été franchie. Celle où ce sont les médias traditionnels qui vont chercher la majorité de leurs informations dans les médias indépendants d’internet. C’est là que se dit ce qu’il faut savoir, et se montre ce qui n’est publié nulle part ailleurs. Le contrôle médiatique ne se fait plus par le haut mais par le bas, ce n’est plus une petite équipe d’individus éclairés qui procède à la sélection de l’information, mais une gigantesque masse d’utilisateurs qui donnent leur avis et forgent la réputation d’une image ou d’une information.

Il n’y a pas que des bons côtés à ce que l’information soit à ce point non-traitée, il ne reste alors plus beaucoup de place à l’analyse et au travail d’enquête qu’exige le journalisme, au sens traditionnel. On trouve tout et n’importe quoi en même temps sur Internet. En ce qui concerne l’Iran et Twitter, il n’était pas rare de voir dans les diaporamas de photos de certains blogs, des portraits anodins de Moussavi juste avant la photo d’un cadavre dénudé laissant apparaître une profonde entaille au couteau. Pareil pour les vidéos, qui étaient quelque fois d’une extrême violence. Il n’est pas question ici de restreindre l’information et de supprimer ses images choquantes comme l’a fait YouTube à de nombreuses reprises, mais c’est un problème que de ne pas posséder dans l’immédiat d’un tri de l’information aussi primaire soit-il. C’est un problème récurant sur les sites ou se rencontrent des milliers voire des millions d’utilisateurs, un problème de clarté que cherchent à résoudre nombre d’ingénieurs en informatique.

C’est la prochaine étape à franchir pour les médias indépendants et massifs comme Twitter : arriver à classifier l’information quasiment à la source, par doublons, catégories et sujets (comme tente de le faire, avec peu d’entrain, Google News) : rendre audible une musique qui pour l’instant reste beaucoup trop dissonante. La crise en Iran est une Twitter-insurrection, à quand la véritable Google-Revolution ?

Un dernier détail, et il est de taille. Il existe un recours pour la censure dans une guerre numérique, faisant moins de dégâts que dans le monde réel. Il suffit de couper le courant.

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