Quand on se lance dans l’exercice somme toute périlleux de la diatribe, il y a un certain nombre d’écueils dans lesquels il faut bien se garder de tomber, sous peine de susciter les quolibets de la foule et de passer aussitôt pour un guignol — ce qui n’est jamais vraiment agréable. La liste de ces écueils est longue, inutile de la détailler ici — on se reportera, pour s’en faire une large idée, à L’art d’avoir toujours raison, d’Arthur Schopenhauer. Il en est un toutefois, quelque part dans cette liste, qui est plus funeste que tous les autres réunis. Du reste, cet écueil est si gros, et pour ainsi dire si grotesque, que les pamphlétaires l’évitent sans la moindre difficulté, la plupart du temps ; ce qui rend la situation d’autant plus tragique — mais tout aussi bien comique — pour les rares qui s’y abîment.

S’il fallait donner un nom à cet écueil, nous pourrions le baptiser « bonnet blanc, blanc bonnet », quoique d’un point de vue strictement scientifique, « le complexe du procureur de la République » soit davantage approprié. Dans tous les cas, l’écueil en question consiste à reprocher cyniquement à l’accusé de faire ou de dire des choses que l’on fait et dit soi-même, au vu et su de tous, non seulement dans la vie quotidienne, mais jusque dans son acte d’accusation — ce qui fait franchement mauvaise figure. Or de ce point de vue, le « Texte critique au sujet des militants autonomes de Rennes 2 », déposé sur le site Indymédia Nantes le 06 mai 2009 à 21h53 par Hugo et Alex, de même que le commentaire « A tout-e-s les petit-e-s bourgeois-e-s », posté par Thomas trois jours plus tard, à 17h09, est une perle rare. Il faut dire, on pouvait difficilement tomber plus bas dans le genre « faites ce que je dis, pas ce que je fais ». D’où cette première conclusion, joyeuse : « Texte critique au sujet des militants autonomes de Rennes 2 » est d’abord un réquisitoire contre ses propres auteurs — qui l’ont de toute évidence bien cherché ! Car critiquer les autonomes, oui, pourquoi pas, et au contraire, allons-y gaiement même ! Mais ici comme ailleurs, un soupçon de discernement s’impose. N’oublions jamais qu’à trop examiner les pailles, on en oublie souvent de regarder les poutres.

Pour se convaincre que le factum politique de Melchior et compagnie tombe ridiculeusement dans cet écueil douloureux, il y a un exercice très simple à effectuer. Qu’il suffise en effet à chacun de remplacer, tout au long de ce prétendu « Texte critique… », l’expression « les militants autonomes » par « les staliniens Hugo, Alex et Thomas ». Par exemple : « Nous ne choquerons personne en affirmant qu’à Rennes 2, les manœuvres des staliniens Hugo, Alex et Thomas ont pris une ampleur importante notamment en cette fin de mouvement, ampleur que nous jugeons inquiétante et c’est en réaction à cet état de fait que nous voulons dénoncer leurs agissements, leurs idées, leurs conceptions de la démocratie et les rapports qu’ils entretiennent avec les autres tendances grévistes qui ne s’inscrivent pas dans leur consensus idéologique. » Et non seulement cela produit un délicieux effet burlesque, mais surtout ça marche, les coups portent, chaque réclamation fait mouche, les « militants autonomes » incriminés pourraient renvoyer ce texte astucieusement détourné à ses auteurs, et leur demander des comptes, identiquement ! Voilà pourquoi nous pourrions encore nommer l’écueil évoqué plus haut « le retour de bâton », ou « l’effet boomerang ». Car s’il y a une précaution que chacun doit prendre avant d’écrire un pamphlet, c’est bien celle-là : s’assurer que les critiques qu’il adresse aux autres ne lui reviendront pas tout droit dans la gueule. Et de ce point de vue, en ce qui concerne nos trois diffamateurs en herbe, c’est franchement raté !

Qu’on en juge ici même.

1) Comment Hugo et Alex (ne soyez pas impatient, Thomas, nous règlerons nos comptes avec vous en temps et en heure, et nous ne serons pas avares de nos gifles) peuvent-ils décemment fustiger « les rapports que [les militants autonomes] entretiennent avec les autres tendances grévistes qui ne s’inscrivent pas dans leur consensus idéologique » ou plus loin le « mépris total [que nourrissent ces mêmes militants] pour tous ceux qui peuvent à un moment donné penser différemment d’eux quant au fond et à la forme que doit revêtir le mouvement », dans un texte aussi dédaigneux à leur égard ? Que font Hugo et Alex dans ces lignes, sinon cela même qu’ils reprochent aux inculpés ? Un gamin ne s’y laisserait pas prendre, et la meilleure réponse qu’on peut adresser à notre duo comique sortirait assurément d’une bouche enfantine, sous la forme d’un superbe : « c’est celui qui le dit, qui l’est ». Car qu’est-ce que ce « Texte critique… » exprime, sinon le propre mépris de ses auteurs — qu’il ne serait pas outrancier de qualifier également de « total » — pour une autre tendance gréviste, qui a le malheur de ne pas s’inscrire dans leur « petit consensus idéologique » à deux balles — kif-kif bourricot ? C’est peu dire qu’à cet endroit, le libelle des deux redresseurs de torts de « Rennes 2 la rouge » tombe carrément à plat ; et pour finir, c’est presque Hugo et Alex qui passeraient — à raison sans doute — pour la fraction intolérante du mouvement.

2) Hugo et Alex nous offrent encore un bel exemple de contradiction performative lorsqu’ils s’efforcent préventivement de dissocier leurs critiques de « l’hystérie collective orchestrée par un gouvernement qui veut présenter la “mouvance autonome” comme des ennemis de l’intérieur, etc. » ; alors que c’est tout le contraire, alors que leur « Texte critique… » relaie très exactement l’opération policière visant à stigmatiser cette prétendue « mouvance ». Qu’il suffise justement de noter l’utilisation qu’ils font de ce concept policier, « mouvance », qui apparaît quand même cinq fois dans leur brûlot, parfois avec des guillemets, parfois sans. Rapidement d’ailleurs, comme tous les bonimenteurs du Ministère de l’intérieur, Hugo et Alex s’aventurent sur le terrain glissant de la théorie du complot. On remarquera ainsi que le verbe « orchestrer », d’abord utilisé pour parler des machinations gouvernementales, est rapidement appliqué aux autonomes eux-mêmes (« Ces prétendus débrayages ont été largement orchestrés par les autonomes. »). Mais surtout, tout au long de « Texte critique… », ils opposent un « eux » vague et menaçant (« une tendance lourde nous est apparue chez eux », « Un slogan […] qui est défendu par la plupart d’entre eux », « Pour eux, l’équation est simple », etc.), censé désigner un ennemi sournois, tapi au sein même de la communauté de grévistes, à un « nous » rassembleur, dont on ne sait jamais s’il désigne l’ensemble de cette communauté (tout le monde) ou seulement Hugo et Alex (personne) ; nous qui « avons été témoins ici à Rennes 2 », nous qui avons vu, nous qui savons — Gilbert Bourdin, alias le Mandarom, n’utilisait pas des ficelles aussi grosses pour peupler ses harems. Il faut dire que c’est un comble : « Texte critique… » affirme d’abord haut et fort sa « solidarité pleine et entière vis-à-vis de tous les inculpés de Tarnac », avant de tirer aveuglément dans le dos dans tous leurs camarades rennais. 72 heures plus tard, le brave Thomas en rajoutera une couche : « Vous êtes […] de véritables ennemis pour les mouvements sociaux… ». Et chacun de compléter : « …et pour l’Etat français ». L’UMP, qui se croyait indésirable, revient au trot et applaudit de bon cœur — les ennemis de mes ennemis ne sont-ils pas toujours en quelque manière mes amis ? Hormis que si les autonomes sont les « ennemis des mouvements sociaux », à tout le moins n’en sont-ils peut-être pas les pires ?

[En vérité, Hugo et Alex souffrent d’un gros penchant à la prétérition (dire qu’on ne fera pas une chose tout en la faisant, par exemple : « Inutile de préciser que … »), ce que Sigmund Freud, dans ne manque jamais d’associer à quelque forme exacerbée de narcissisme. Et à l’évidence, quand le binôme affirme haut et fort « nous tenons, pour prévenir toutes dérives caricaturales, à signale que, etc. », il faut lire la phrase à l’envers, c’est-à-dire comme un procédé visant à mettre en évidence le caractère superbement bouffon, et donc tout à fait imprudent, de leur texticule.]

3) Au moment de parler des Assemblées Générales (AG) Hugo et Alex insistent sur le fait que les pratiques des « militants autonomes » dévoieraient l’idée qu’ils se font « d’une démocratie authentique, c’est-à-dire une démocratie directe où, etc. » Décidément, décidément, nos apprentis pamphlétaires sont des humoristes de talent. Comment croire en effet que les AG de « Rennes 2 la rouge », trustées par les professionnels de l’envolée insurrectionnelle (toutes tendances confondues), puisse être le lieu d’une « démocratie authentique » ? On nous souffle d’ailleurs à l’oreille que Hugo, Alex et Thomas ont toujours voté contre les propositions visant à constituer, au sein même de ces AG, des petits groupes de travail, ceci dans le souci d’éviter les effets de monopole de la parole par les experts de la révolution, dont Melchior a toujours été, avec quelques excellents humoristes de l’UNEF, le parangon. N’importe comment, nos fieffés hypocrites, tout persuadés qu’ils sont de connaître et de comprendre les ressorts de l’histoire et de l’économie politique, et à contre-pied de leurs prétendus idéaux de « démocratie directe », voudraient passer pour les spécialistes agréés de la lutte, dont il faudrait accepter sans sourciller les directives marxistes-léninistes, simplement parce qu’ils savent — quelle est « la priorité hier comme aujourd’hui », quelles sont « les conditions d’un renversement du rapport de force », jusqu’à quel moment un blocage total de l’université est nécessaire, quelles sont les bonnes « revendications transitoires », etc. —, et les autres non. Cette posture autoritaire du savant, présente tout au long de « Texte critique… », est évidemment condamnable par elle-même, inutile d’insister là-dessus. Mais surtout, Hugo et Alex nous font bien rire quand ils nous proposent leur recette miracle pour une grève réussie à « Rennes 2 la rouge ». C’est que malgré quelques tirades enflammées en haut des marches du bâtiment B, Hugo et Alex sont d’abord des petits militants zélés, c’est-à-dire des militants comme les autres, soucieux « d’essayer de convaincre » les anti-bloqueurs (bah tiens !), de les « rallier à [leur] cause », infatigablement. Quel horizon pour un mouvement social victorieux, Thomas ? « Le développement et la massification d’un véritable syndicalisme de lutte et de terrain ». Nous y voilà. Si les autonomes, repliés sur eux-mêmes, défendent leur petite crèmerie révolutionnaire bec et ongles, les bureaucrates de SUD étudiant défendent la leur tout de même. A bon chat, bon rat. Sinon que le schmilblick, pendant ce temps, reste au point mort.

4) Alors Hugo et Alex se fâchent. Les méchants « militants autonomes » défendent des énoncés politiques « qui sont ordinairement l’apanage du MEDEF et de la droite sarkozyste ». Evidemment, ça la fout mal. Sauf que l’énoncé politique dénoncé par nos Chevalier et Laspalès du Grand Soir — nous n’en avons trouvé qu’un seul dans « Texte critique… » — est le suivant : « “Tous au chômage” ». « Tous au chômage », un énoncé politique qui serait « l’apanage du MEDEF et de la droite sarkozyste » ? Mais vous vous rendez compte, Hugo et Alex ? Vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Peut-être que « l’idéologie anticapitaliste [des autonomes] est pétrie de contradictions », nous sommes tout à fait disposés à le croire. Mais quid de votre idéologie anticapitaliste à vous ? Et comment osez-vous publier comme ça sur Indymédia Nantes des énormités pareilles ? Comment voulez-vous que le troupeau des grévistes continue de prendre vos discours de politique générale au sérieux, après une bourde pareille ? Ou alors dites le nous, si c’est une blague. Avant de mettre en évidence les « énoncés politiques profondément réactionnaires » de ses ennemis politiques (encore faudrait-il qu’ils le soient vraiment : « tous au chômage », un énoncé réactionnaire, on croit rêver…), qu’on s’assure de ne pas en produire soi-même, et des pires encore.

5) Tout cela au fond pourra prêter à rire, car jusqu’ici, il n’a été question que de menus détails, sur lesquels n’importe qui sera prêt à transiger. Mais il y a nonobstant un point que personne ne voudra laisser passer, quoi qu’il lui en coûte. Et nos regards se tournent lentement vers vous, Thomas ; tout en restant braqués sur votre « camarade » Hugo, ainsi que sur Alex. Alors comme ça on n’a pas le droit d’écrire « le travail rend libre » sur une agence ANPE, mais on a le droit d’écrire que « des espèces de petits rigolos » sont des « parasites », sur Indymédia Nantes ? Des « parasites », vraiment ? La belle affaire ! Faites ce que je dis, pas ce que je fais, décidément, on y reviendra toujours. Vos comparses dénoncent rageusement les « analogies historiques pornographiques » des « militant autonomes », et il faudrait qu’on tolère les vôtres, sans broncher ? Peut-être que l’un de ces « militants autonomes » a proclamé au cours d’une AG laborieuse que le « sexisme et l’homophobie on s’en fout », oui, peut-être, il faudra le punir en conséquence. Mais n’oubliez jamais qu’il y a les pailles, et les poutres. Car en ce qui vous concerne, Thomas, vous avez écrit — dans votre désormais légendaire commentaire de 17:09, rédigé après une longue journée de travail, en prenant votre goûter chez papa-maman — que les « militants autonomes » sont des « parasites ». Ce sont vos mots à vous, sur Indymédia Nantes, des mots gravés dans le marbre du Web, localisables par le premier moteur de recherche venu. D’ailleurs vous aviez déjà utilisé le mot « parasitage », un peu plus haut ; à croire que vraiment ça vous préoccupe, toutes ces histoires de virus et de microbes. Vous avez également écrit que ces même autonomes « vont insulter les employé-e-s [vous ne vous moquez pas du sexisme vous, Thomas, vous mettez des « e » à la fin de tous les noms et de tous les adjectifs, félicitations], voir même les agresser, parce qu’ils sortent de leur magasin pour aller nettoyer leurs merdes ». Et qui ramasse toutes vos merdes à vous, Thomas, tous vos tracts à la con, vos réclames pour SUD étudiant que vous distribuez à la pelle, chaque jour dont Dieu nous fait grâce, et que les gens jettent derrière eux, sans même les avoir lus ? Qui les ramasse, hein ? Nous attendons une réponse ! « Leurs merdes », Thomas. En plus de n’être pas très poli (où sont passés « la solidarité, l’altruisme, le respect minimum de celui qui ne pense pas forcément comme nous », salués par vos copains ?), c’est idéologiquement tout à fait douteux, pour ne pas dire [prétérition] que ça sent carrément mauvais. Faut-il vous rappeler également ce qui est écrit sur votre carte d’adhérent, Monsieur le donneur de leçons ? Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! En vérité, la solidarité, vous vous en foutez éperdument. Vous n’aimez pas plus les tags et les fours à pain, que « ces gens là », ces gens-là qui salissent les grèves. (Et si « une lutte ne se résume pas à construire un four à pain dans une fac », peut-être requiert-elle d’autres genres de fours, plus grands, et en plus grand nombre ?) Vous n’aimez pas les sales petits profiteurs, Thomas (« Si vous ne travaillez pas, comment faites-vous pour vivre ? »), autant dire la vermine qui vient polluer tous vos mouvements sociaux aseptiques, toutes vos luttes impeccables. Et c’est vous qui reprochez aux autonomes leur « politique de la pureté » ? Bonnet blanc, blanc bonnet ! Ceci dit, des saletés — on n’en est pas à une contradiction performative près —, il y a en dans chacune des phrases de votre commentaire, sans compter les fautes d’orthographe ; et là-dessus, Hugo et Alex n’ont rien à vous envier, la prochaine fois que vous nous annoncerez par écrit votre coming out hygiéniste, pensez aux règles de la grammaire, un peu de dignité, s’il vous plait !

Convenons-en, Hugo et Alex sont plus prompts à dénoncer les « énoncés politiques réactionnaires » des autonomes que ceux de leurs camarades syndicalistes — mais aussi que les leurs. Qu’est-ce que ça veut dire « si rien n’est fait politiquement contre ces militants » ? Non, sérieusement, ça veut dire quoi ? Des « relents réactionnaires » dans la posture des autonomes, oui, à la limite, pourquoi pas ? Mais le fumet que vous laissez traîner derrière vous n’est pas seulement réactionnaire, Hugo, Alex et Thomas ; il sent le fascisme à plein nez. Et peut-être que c’est le message que vous vouliez faire passer sur Indymédia Nantes, que les « militants autonomes » seront les premiers fusillés, le lendemain du Grand Soir de votre révolution des masses laborieuses, scrupuleusement passées aux détergents. Et peut-être qu’il faudra effectivement les fusiller, ces « militants autonomes », il ne nous revient pas d’en juger ici. Mais ne soyez pas surpris alors, dès le jour suivant, de vous retrouver tous les trois devant le peloton d’exécution.

Pan, pan, pan !

Comme l’écrivait à juste titre Paul Nizan : « En toute logique, ceux qui réclament la mise à mort des fascistes se condamnent à être les prochains sur leur liste des ennemis à abattre […] ».

A fasciste, fasciste et demi.

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