Le blocage de l’économie, notamment par la coupure de route et l’occupation de lieux de travail, ainsi que l’occupation de lieux publics ou médiatiques, sont des constantes de la radicalisation des mouvements sociaux modernes.

Il convient d’autant plus d’interroger ces pratiques qu’elles interviennent généralement dans un rapport de force avec l’Etat, afin d’obtenir satisfaction de revendications.

La question est donc : faut-il encore traiter avec les gouvernements ? Avec le moindre gouvernement ? Et hormis le cas d’une réponse positive, ce chantage économique a-t-il un sens ? D’autant que son principal effet est de repousser une opinion publique en manque d’inspiration et d’alternatives idéologiques ; que la subordination de l’action directe au dialogue avec l’Etat semble vider celle-ci de son imagination et de sa contagion, aussi fatalement que les émeutiers se retrouvent désoeuvrés et désorientés une fois les centres villes mis à sac.

Si l’on exclue toute relation avec l’Etat, tout dialogue, toute revendication, toute attente, alors le but de l’action directe change – c’est ce changement et ses acteurs qui sont l’objet fondamental de la rencontre actuelle des anonymes et qui la suscite. C’est elle dont il faut rendre compte, qu’il faut publier le plus ad hominem, le plus systématiquement possible ; car c’est le moyen de rompre avec les parodies de dialogue social, et de coordonner l’insatisfaction générale qui ne supporte plus ni partis, ni hiérarchies, ni leaders ou présidents. Penser et détourner le monde selon nous, dans le même mouvement nous confronte aux médiations dominantes et nous rapproche de nos alliés.

Mais le dialogue et la confiance ne sont pas possibles si les gens se sentent méprisés, en particulier lorsqu’ils se sentent pris en otage. Et les actes de révolte évoqués ici y participent ; c’est pourquoi ils devraient toujours être envisagés aussi du point de vue de la rencontre, de l’autre et d’un possible commun, encore inédit. C’est dire que la parole doit être libérée, partagée, confrontée et élaborée – tant en termes de désir, que de peur.

Ce mouvement de recherche du dialogue public – qui concerne tout le monde – a cet autre intérêt, quand il est tenu pour primordial, qu’il précède souterrainement et prolonge collectivement le refus des émeutiers de transiger avec l’Etat, la marchandise et l’Information. Il faut encore considérer cette attention aux idées arrêtées de vous et moi, sur le monde et la vie, comme un travail préliminaire sur le contenu et la forme de la communication dans le parti du monde.

Vu les forces en présence, notre atomisation, notre distraction, la profondeur et la richesse de l’enjeu, il sera toujours assez tôt pour se battre physiquement. Mais ce délai relatif ne doit pas faire sous estimer la réelle ouverture du conflit que sont notre parti pris de la négation de l’ordre des choses et nos interrogations conséquentes. Et rien n’exclu que ce conflit de basse intensité ne se rende capable, en temps utile, d’un usage subversif des medias existants (télévisions et radios notamment. Et pourquoi pas de l’institution monétaire ? – Sur ce point particulier voir Work Out.)

La guérilla culturelle ainsi esquissée est l’affirmation d’une approche de la totalité, une incitation et une convocation à l’assemblée générale du genre humain. La totalité est le terrain de jeu de la subjectivité. La théorie, c’est la vie quand tout est possible. Le vivant vérifie pratiquement ses propres hypothèses.