Désobéissance pédagogique.

Derrière la lettre d’Alain Refalo, enseignant à Colomiers en Haute Garonne, monte une armée de désobéissants : parents d’élèves, lycéens et enseignants comme Bastien Cazals, réprimandé mardi. Reportage à Marseille.

Alain Refalo, professeur des écoles à Jules ferry, a fait savoir à son inspecteur qu’il n’appliquerait pas les nouveaux programmes dans sa classe. S’il s’oppose en refusant d’obéir aux réformes, il est au moins sur deux points en accord avec son ministre : Tous deux sont lassés « de la culture syndicale » ou « de la culture de la grève » selon Xavier Darcos et « d’un mode d’action démodé » comme le disait le ministre de l’éducation en novembre tandis qu’Alain Refalo estime que les grèves ont montré « les limites de leur mode d’action. » Il a écrit le 6 novembre à son inspecteur pour lui expliquer les raisons de sa désobéissance pédagogique. Colère contre les suppressions de postes alors que des heures supplémentaires sont proposées, programmes qui constituent « une régression sans précédent », stages de remise à niveau qui sont « scandaleux et démagogiques », tout y passe et notamment « cette instruction civique aux relents passéistes »

Sa lettre fait écho à la colère d ‘enseignants qui cherchaient une voie nouvelle à leur refus du démantèlement de l’éducation nationale. Si Alain Refalo s’engage dans cette « résistance et même en désobéissance » ce n’est plus en cessant le travail mais en proposant de travailler autrement tout de suite, refusant l’école que propose l’éducation nationale. Il reprend Nicolas Sarkosy qui affirmait comme un enfant qui a envie d’être démenti que « Désormais quand il y avait une grève en France, on ne la sent plus. »
Dans l’Hérault, une inter-syndicale compte envoyer une lettre collective le 17 décembre dans le même sens : refus de la suppression des Rased, les Réseaux d’Aide Spécialisée aux Elèves en Difficulté, mais aussi résistance contre la menace évidente sur le droit de grève quand on demande à un enseignant de se déclarer en grève 48 heures à l’avance. 3000 postes de Rased doivent être supprimés.

A Marseille c’est une manifestation aux flambeaux qui a réuni jeudi 4 décembre quelques milliers de parents et quelques professeurs. Partis de l’école Leverrier, des parents remontés ont envoyé un mail qui a circulé assez vite devant les suppressions de postes qui affectent la scolarité des enfants. L ‘annonce de la suppression de la Maternelle a jeté une autre partie des parents dans la rue. Ils refusent son remplacement au profit de jardins d’enfants privés.Cette école du centre-ville est « une école engagée », me dit hilare Liliane Khouri, rédactrice. Une expression a fleuri là bas : « On peut pas pousser les murs ! » comme un graffiti d’enfant adressée à la mairie qui ne réalise aucune nouvelle construction. Mère d’un enfant et l’élevant seule, elle s’inquiète de la disparition de la garderie post scolaire.

Venues du 14 ème arrondissement de Marseille, ces deux mères de famille, délégués des parents d’élèves sortent pour leur première manifestation de leur vie. Audrey Barroti avoue du bout des lèvres avoir voté Sarkosy, déçue par le duel avec Royal. Mère de cinq enfants qu’elle élève seule, elle occupera son école. Henriette Durand, mère de quatre enfants, ne voit pas comment elle pourrait accepter les réformes Darcos, qui appauvrissent le programme scolaire. Toutes deux viennent des quartiers Nord et croient à l’ascenseur social. Audrey estime que les enseignants spécialisés sont indispensables.

Sous la pluie inhabituelle de la capitale phocéenne, Céline Lombardo s’oppose « fermement à la suppression de la maternelle », une classe qu’elle considère comme « un premier apprentissage.” Contrairement à l’opinion de Xavier Darcos, un fin connaisseur de la petite enfance, qui voient les enseignants de ces classes comme disposés armés d’un Bac +5 « faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches”. Venant de Château-Gombert elle témoigne que les parents sont venus de tout Marseille. La pluie et l’obscurité auraient du refouler plus d’un marseillais mais ils marchent d’un pas alerte sur les voies du tramway comme Philippe, professeur de Lettres-Histoire en lycée, professionnel, venu par le bouche à oreille, et qui est encore bien seul dans son établissement à s’opposer à la réforme des lycées, « Je vois des enfants à recadrer et nous avons besoin d’enseignants différents pour les cours de soutien. » Odile Pagano est très décidé et occupera avec les élèves le lycée Artaud dans le 13 ème arrondissement. Cette enseignante de Lettres encartée à Sud Education explique que c’est « L’affaire de Montgrand » qui a mis le feu aux poudres. En effet mercredi les forces de l’ordre ont dégagé l’entrée de ce lycée qui jouxte la préfecture. Cette verrue en plein centre de Marseille ne pouvait être toléré. A tout malheur, bonheur est bon, car les jeunes violentés dont les parents ont accouru indignés par les méthodes de la police, ont provoqué une réaction en chaîne. Durant le CPE à Marseille, la même technique d’écrasement rapide avait donné d’assez bons résultats, mais alors les français croyaient à Saint Nicolas.

Vendredi midi devant l’inspection académique de la ville, ce sont une centaine de jeunes venus du Lycée voisin Victor Hugo qui s’associent au dépôt de 124 lettres de désobéissance d’enseignants. L’une d’elles, Christine Jousset, militante Sud s’indigne : « On veut se regarder dans la glace ! » et refuse d’appliquer les programmes 2008. La maternelle c’est important. Françoise Harl de l’école des Chabanons Les Bergers parle « d ‘une intuition sociale chez les parents ; quinze parents sont venus à la veillée, mais aussi beaucoup de poussettes des quartiers Nord. Ils comprennent le sens social de cette dégradation. »

Parmi les lycéens, Kevin en terminale STG parle de « décennie de la régression » et son collège Licman évoque une professeure d’économie absente pendant un mois et demi : « Au début c’était chouette mais après on rigolait plus avec le bac qui arrive. » Mathieu et Henri sont dans une classe de redoublants. « Depuis que nous sommes sept en espagnol, nous avons fait des progrès » Mathieu contredit sans le savoir le ministre qui veut augmenter les effectifs des classes : « J’ai fait de vrais progrès a l’oral » sous la pancarte « Bienvenue au lycée Darcos » où bientôt des lycéens jouent en imitant un professeur de sport-math aux prises avec sa double fonction, l’avenir d’une éducation dont « les nouveaux programmes constituent une régression sans précédent » selon Alain Refalo, qui comme il le dit lui-même est adepte de la non-violence. Il pose la question à chacun : « Est-ce que je vais collaborer au démantèlement du service public ? » Avec Jean Marie Muller il a cosigné « Vers une culture de la non-violence », ce qui augure de nouvelles batailles semblables à celles des Faucheurs Volontaires , même s’il se défend d’une désobéissance civile mais bien pédagogique.
Outre les 124 de Marseille, 35 enseignants de Vendée ont signé des lettres de désobéissance. Alain Refalo attend serein le soulèvement des consciences.

Les jours passent et les lettres venues de toute la France fusent vers les inspecteurs d’Académie qui dans le Val d’Oise émettent des doutes sur la montagne de réformes qui s’abat sur l’école un directeur d’école à Colmar qui ne supporte plus l’hypocrisie des discours officiels ou une psychologue scolaire qui dénonce « cette retenue » stigmatisant « les cancres » en les retenant le soir pour un soutien scolaire alors qu’on supprime les postes de Rased et maintenant un Appel des enseignants en résistance s’efforce de fédérer tous les actes de désobéissance opposés « à la déconstruction du système scolaire. » Mardi 9 décembre, Bastien Cazals , directeur de l’école maternelle Louise Michel (est-ce un signe ?) de Saint Jean de Védas subissait les foudres d’Athéna en recevant comme fruit de sa désobéissance, 5 jours de retrait de salaire pour n’avoir pas mis en ouevre l’aide personnalisée.
Le ministre va avoir du pain sur la planche dans les jours qui viennent, si même les enseignants désobéissent.

Christophe Goby.