Depuis le début de l’année, des grèves, des manifestations et des révoltes ont éclaté contre la vie chère dans 37 pays du tiers-monde et dits “émergents” : émeutes de la faim en Mauritanie et en Indonésie, manifestations contre le prix du pain et pillages de boulangeries en Egypte, violents affrontements comme au Cameroun et en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Sénégal, manifestations au Mexique ou encore émeutes en Haïti où la population est contrainte de se nourrir de galettes de boue. Au Pakistan, des enfants sont même assassinés par leurs familles car elles ne peuvent plus les nourrir !

Le dénominateur commun de toutes ces expressions de la misère la plus terrible, c’est la flambée des prix qui frappe à de divers degrés les populations pauvres et ouvrières. Le prix du maïs a quadruplé depuis l’été 2007, le prix du blé a doublé depuis le début 2008 et les denrées alimentaires ont globalement augmenté de 60 % en deux ans dans les pays pauvres. En Thaïlande, pays exportateur, le prix du riz a doublé en un mois. Les effets dévastateurs de la hausse de 30 à 50 % des prix alimentaires au niveau mondial frappent les populations des pays “riches” aussi bien que celle des pays pauvres. Ainsi, aux Etats-Unis, première puissance économique de la planète, 28 millions d’Américains ne pourraient pas survivre sans les programmes de distribution de nourriture des municipalités et des Etats fédéraux.

D’ores et déjà, 100 000 personnes meurent de faim chaque jour, un enfant de moins de 10 ans meurt toutes les 5 secondes, 842 millions de gens souffrent de malnutrition chronique aggravée, les réduisant à l’état d’invalides. Et dès à présent, pour deux des six milliards d’êtres humains de la planète (c’est-à-dire un tiers de l’humanité) le prix des denrées alimentaires les place en situation de survie quotidienne. Pourtant, selon Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU, l’agriculture mondiale serait en mesure de nourrir 12 milliards d’individus.

Les experts de la bourgeoisie - FMI, FAO, ONU, G8, etc. - sont formels et annoncent que ce “tsunami alimentaire” (comme le dit le Commissaire européen au développement et à l’action humanitaire) est une crise grave et qu’il n’est pas “conjoncturel” mais “structurel”. La situation ne peut donc que s’aggraver (1). Les experts prévoient que, d’ici 2010, le maïs aura encore augmenté de 20 %, le soja et le colza de 26 %, le blé de 11 %, le manioc de 33 %. A l’horizon 2020, ce sera encore pire : plus 41 % pour le maïs, plus 76 % pour le soja et le colza, plus 30 % pour le blé et 135 % pour le manioc.

Aussi, la bourgeoisie s’attend avec “lucidité” à une multiplication de conflits sociaux et de révoltes de la faim dans des zones toujours plus larges, craignant même l’apparition de conflits militaires pour l’appropriation de denrées alimentaires et de terres cultivables. Devant la gravité de cette perspective, l’ONU s’est réunie fin avril pour “élaborer une stratégie commune en soutien aux pays en développement confrontés à la crise alimentaire mondiale”. En fait de “stratégie”, il s’agissait essentiellement de parer au plus pressé et de recueillir 500 millions de fonds supplémentaires d’urgence auprès des pays développés qui ne lâchent que 3 milliards de dollars pour le Programme alimentaire mondial (PAM) tandis que leurs Etats auront déboursé 1000 milliards de dollars pour soutenir les banques en faillite à la suite de la crise immobilière de l’été 2007.

“Les causes communément admises sur les augmentations des prix alimentaires”

Les médias et les spécialistes de tous bords fournissent de multiples explications à cette inflation galopante des prix de la nourriture ; on voudrait nous faire croire que certaines prévalent sur d’autres, alors qu’en réalité les unes et les autres se cumulent et se conjuguent entre elles, exprimant l’enfer des effets et des contradictions du monde capitaliste.

L’augmentation vertigineuse du prix du pétrole qui augmente le coût des transports et des frais de machines agricoles est une des raisons mises en première ligne par les médias. Celle-ci est certes bien réelle mais c’est loin d’être la seule.

On nous parle aussi de la croissance significative de la demande alimentaire, en particulier pour l’élevage (qui augmente les cultures en plantes fourragères), du fait d’une certaine augmentation du pouvoir d’achat des classes moyennes et de nouvelles habitudes alimentaires dans les pays “émergents” comme l’Inde et la Chine qui expliqueraient la pénurie actuelle sur le marché mondial, et l’augmentation des prix.

La spéculation effrénée sur les produits agricoles est aussi dans le collimateur. Même si Kouchner, toujours prêt à poser devant les caméras pour donner son avis sur n’importe quel sujet, a affirmé qu’il fallait “bannir la spéculation sur les produits alimentaires”, celle-ci va bon train et est loin de ralentir. D’une part, les produits destinés à la consommation humaine font l’objet d’un affairisme boursier débridé : à la Bourse de Chicago, “le volume d’échange des contrats sur le soja, le blé, le maïs, la viande de porc et même le bétail vivant” (le Figaro du 15 avril) a augmenté de 20  % au cours des trois premiers mois de cette année. Chaque jour, ce sont 30 millions de tonnes de soja qui s’échangent dans la seule ville de Chicago. Fait aggravant, les stocks de céréales sont au plus bas depuis trente ans, cela accentuant encore la soif spéculatrice des investisseurs, grosses fortunes et autres hedge funds, toujours plus nombreux à se ruer sur la manne alimentaire, surtout depuis la crise immobilière. D’autre part, le marché en plein développement des biocarburants a également ouvert une spéculation effrénée sur ces produits qu’on espère revendre au prix fort dans l’avenir, poussant ainsi à l’explosion de ce type de culture au détriment des végétaux destinés à la consommation alimentaire et à l’épuisement des terres cultivables.

La culture des biocarburants elle-même est soumise à une critique en règle de nombreux scientifiques. De nombreux pays producteurs de produits de première nécessité ont transformé des pans entiers de l’économie agricole vivrière pour cultiver des biocarburants en masse, sous prétexte de lutter contre l’effet de serre, réduisant de façon drastique les produits de première nécessité et augmentant leur prix de façon dramatique. C’est le cas au Congo Brazzaville qui développe de façon extensive la canne à sucre dans cette optique, tandis que sa population manifeste et crève de faim. Au Brésil, où Lula se vante que tout le monde puisse désormais manger à sa faim alors que 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et peine à se nourrir, le choix agricole est celui de la production vers les biocarburants à outrance.

En outre, la perspective de ce marché “juteux” pousse à des délires contre nature : dans les Montagnes Rocheuses, aux Etats-Unis, où les cultivateurs du pays ont déjà détourné 30 % de leur production de maïs en production d’éthanol, des superficies gigantesques sont consacrées au maïs “énergétique” sur des terres impropres à sa culture, entraînant un gâchis incroyable en termes d’utilisation d’engrais et d’eau pour un résultat bien maigre. Jean Ziegler explique : “Pour faire un plein de 50 litres avec du bioéthanol, il faut brûler 232 kilos de maïs” et, pour produire un kilo de maïs, il faut 1000 litres d’eau. Selon de récentes études, non seulement le rapport “pollution” des biocarburants est négatif (une recherche récente montre qu’ils augmentent la pollution de l’air en déchargeant plus de particules de chaleur que le carburant normal), mais leurs conséquences globales au niveau écologique et économique sont désastreuses pour l’ensemble de l’humanité. Un tel changement de destination des cultures en vue de la production d’énergie au lieu de celle de nourriture est une expression typique de l’aveuglement capitaliste et de sa capacité de destruction. Voilà encore une expression typique de la “rationalité capitaliste”.

Les subventions agricoles et la taxation des produits à l’importation pratiquées par les Etats-Unis et les pays de l’Union Européenne se trouvent aussi au banc des accusés. L’UE dépense par exemple 40 % de son budget, 50 milliards d‘euros, à sa Politique Agricole Commune et impose des “taxes qui peuvent s’élever jusqu’à 430  % sur certains produits agroalimentaires” (d’après le site Web rfi.fr du 21 avril 2008).

La compétition et le protectionnisme dans le domaine agricole ont fait que les agriculteurs les plus productifs des pays industrialisés exportent (souvent grâce aux subventions gouvernementales) une partie importante de leur production vers les pays du tiers-monde, ruinant ainsi la paysannerie locale – augmentant également l’exode vers les villes, et provoquant des vagues internationales de réfugiés et conduisant à l’abandon de terres initialement destinées à l’agriculture.

En Afrique, par exemple, de nombreux fermiers locaux ont été ruinés par les exportations européennes de poulet ou de bœuf. Le Mexique ne peut plus produire assez de produits de première nécessité pour nourrir sa population. Ce pays doit ainsi dépenser 10 milliards de dollars pour son importation alimentaire.

Les conséquences sur l’environnement de l’effet de serre, les inondations ou la sécheresse, sont aussi invoquées, à juste titre. Le réchauffement de la planète signifie qu’avec un degré Celsius de température supplémentaire, la production de riz, de blé et de maïs chuteront de 10 %. Les récentes vagues de chaleur en Australie ont conduit à de sévères dommages et des baisses significatives dans les productions agricoles. Les premières recherches montrent que l’augmentation des températures menace la capacité de survie de nombreuses espèces animales et végétales ou réduisent la valeur nutritionnelle des plantes. Malgré le fait que de nouvelles terres soient gagnées pour les cultures, celles qui sont utilisables pour l’agriculture le sont à cause de la salinisation, de l’érosion, de la pollution et de l’épuisement des sols, c’est-à-dire sur des terres incultes ou terriblement appauvries..

Plusieurs tendances destructrices inhérentes au mode production capitaliste sont également devenues indéniables :

 ainsi, l’Institut de Recherche International du Riz prévoit que la culture du riz en Asie est menacée par la sur-utilisation d’engrais et leurs dommages exercés sur l’équilibre du sol.
“la production de produits de consommation ‘cash’, impliquant une monoculture à outrance, est devenu la norme ; la demande a doublé, mais aux dépens du tirage de trois fois plus d’eau que nécessaire au moyen de pompes électriques” (Ret Marut, “Crise mondiale alimentaire: des bols de riz vides et de gros rats”, 16 avril 2008, libcom.org) Près de 40 % des produits agricoles sont dépendants de l’irrigation ; 75 % de l’eau potable de la planète sont destinés à l’irrigation pour l’agriculture. La culture d’Alfalfa (luzerne destinée à l’alimentation animale) en Californie, de citrons en Israël, de coton du lac Aral dans l’ex-URSS, de blé en Arabie Saoudite ou au Yémen, c’est-à-dire de produits de culture dans des régions qui ne fournissent pas les conditions naturelles pour leur croissance, signifie un énorme gâchis d’eau pour l’agriculture ;
dans maintes régions du globe, le sol est de plus en plus pollué ou même totalement empoisonné. 10 % du sol chinois est intoxiqué: 120 000 paysans meurent chaque année en Chine du fait du développement de cancers qui sont liés à la pollution du sol. Un des résultats de l’épuisement des sols aux Pays-Bas du fait de l’hyper-productivité fait que la valeur nutritionnelle des produits agricoles est devenue extrêmement basse.

Aussi, un nouveau danger s’accroît – celui de la famine généralisée – que l’humanité aurait pu croire n’être plus qu’un cauchemar du passé. Les effets combinés des sécheresses et des inondations provoquées par le dérèglement climatique et leurs conséquences pour l’agriculture, la destruction continue et la réduction de terres cultivables, la pollution et la pêche à outrance dans les océans conduisent à une raréfaction de la nourriture.

Il ne s’agit pas là de “catastrophes naturelles” ou d’évènements dont on pourrait affirmer que “c’est la faute à pas de chance”, mais bel et bien le résultat des effets pervers et destructeurs de l’économie capitaliste, une économie aux abois dont l’irrationalité gagne tous les terrains et tous les niveaux. Plus ce système perdure en déchaînant sa folie, plus il expose des pans toujours plus gigantesques de l’humanité et de la planète à une destruction irréversible.

A cause de ces effets destructeurs du mode de production capitaliste sur l’agriculture et l’environnement, l’humanité est confrontée à une course contre le temps. Plus le capitalisme exerce ses ravages, plus les fondements mêmes de la survie de l’espèce humaine sont menacés.

Dino-Mulan – Courant Communiste International

1) On est loin du discours lénifiant de la FAO qui “prédisait” en 2000 que, grâce à l’action de l’ONU, les 826 millions de personnes sous-alimentées ne seraient plus que 580 millions dans le monde.