Ce soir (28/05/08), soulagement à la gendarmerie : le juge vient remettre en liberté le gendarme meurtrier de Joseph Guerdner, 27 ans, marié, trois enfants, membre de la communauté des gens du voyage (à Brignoles).

La scène du drame est malheureusement classique. Le jeune gitan, sous contrôle judiciaire, est interpellé un jour où il vient pointer. Il est soupçonné d’avoir participé à la séquestration d’un chauffeur routier pour les 150 écrans plasma qu’il avait dans son camion. Pendant son interrogatoire, une coupure de courant lui aurait permis de sauter par la fenêtre, puis de courir, menotté. Un cow-boy assermenté, s’offre un ball-trap : il tire sept balles dans le dos du gitan. Légitime défense ? Le gendarme n’a même pas osé l’invoquer, un peu gros. Rassurons-nous, l’article 174 du décret du 20 mai 1903 permet aux gendarmes de « déployer la force armée lorsque des personnes cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ». La législation n’est pas encore aussi permissive pour la police (qui relève de l’Intérieur et pas de la Défense), mais ça va venir, avec les appels à fusion des deux – moyen d’étendre la puissance de la police et l’efficacité répressive. On nous dit qu’il y a des limites : le tir doit être « absolument nécessaire » et « strictement proportionné au danger », selon une décision de la cour de Cassation de 2003 (à l’époque, un gendarme motard avait flingué un voleur de voiture). Et le danger, qui l’évalue ? Le gendarme, évidemment. Dans la présente histoire, le tireur débile invoquera, pour justifier « l’absolue nécessité de faire usage de son arme », la présence d’une école pas loin, et d’un internat catho. C’est bien connu : les enfants jouent la nuit dans les cours d’école, et les gitans en cavale ont pour première idée de les manger. Autre restriction légale au droit de vie et de mort : « L’autorisation d’ouvrir le feu ne saurait être étendue au gendarme qui exécute, en tenue civile, une mission de police judiciaire. » Justement, notre assassin n’avait pas mis son uniforme. « Ce n’est pas un souci, il y a des circulaires de la gendarmerie qui l’autorisaient à tirer », assure son avocat, Me Lionel Escoffier. Y a vraiment des balles qui se perdent… Le juge des libertés a quand même placé le digne représentant de l’Etat de droit sous contrôle judiciaire – sans doute espère-t-il apaiser la colère des gitans. Le procureur s’était un peu emballé en parlant d’ « homicide volontaire », ce qui avait suscité une vive émotion chez les gendarmes, qui parlaient même de faire une manif pour protester ! Mais le père du malheureux gendarme (lui-même ancien de la maison), et l’avocat de la défense (du gendarme) ont préféré annuler, pour pas agacer les juges. Bonne stratégie : il y a eu requalification des poursuites en « coups mortels », et remise en liberté.

Le traitement de cette affaire par les médias-putois est tout aussi édifiant. Le Monde : « Il est accusé d’avoir tué vendredi soir un homme de 27 ans ». Il est pas simplement « accusé de » : il a tué un homme ! Le Figaro demeure un peu plus à droite encore : « soupçonné d’avoir tué un homme qui fuyait durant sa garde à vue ».

Du côté des médecins (les légistes de la police), on ose se demander si la mort serait pas un peu liée à la chute depuis la fenêtre, dont on précise sadiquement qu’elle était située à 4m60… Déni, mépris, impudence, rien ne les arrête. La gendarmerie a donc pour appui, la justice, la presse, les médecins (et sans doute les marchands de balles). Les gitans eux, sont seuls, et ils le savent. Leurs déclarations à la presse sont simples, claires et directes : « Ils l’ont tiré comme un lapin ». Une proche a aussi très justement pointé le fait que Sarkozy ne viendrait jamais leur lâcher un mot de condoléance, alors qu’il aurait couru à l’hôpital si un gendarme s’était foulé un doigt en appuyant sur la gâchette. Les gitans, eux, savent qu’il n’y à rien à attendre de la France. Cette France qui ouvrait en 1914 ses premiers camps de concentration à destination des « nomades », et qui fermait les derniers en 1946. Cette France dont l’efficacité bureaucratique et méthodique dans les rafles impressionnait jusqu’aux nazis eux-mêmes. Depuis 1912 en effet, les nomades devaient se présenter dans les gendarmeries, pour être fichés, ce qui a facilité la tâche 30 ans le plus tard. 1912, 1942, 2008, c’est précisément la même structure administrative qui fiche, parque, expulse, et assassine. Bien mieux que les rhéteurs historiens ou sociologues qui n’osent pas admettre la réalité qu’ils ont sous les yeux, les gitans savent que la police et la justice, c’est en soi le même ennemi, le même assassin, et depuis longtemps. Pas étonnant donc, que dans la nuit de samedi à dimanche, trois véhicules aient été incendiés dans la cour de la gendarmerie. Puis, apprenant la nouvelle de la requalification, ils ont renversé deux autres voitures et brûlé une troisième devant le palais de justice, avant que les gendarmes ne les dispersent à l’aide de gaz lacrymogènes. Sûrs que les bleus avaient encore envie de tirer. D’ailleurs ils n’ont pas chômé : un jeune de 18 ans « connu des services de police », a déjà été arrêté pour avoir cramer ces bagnoles ; et ils l’ont déjà condamné ! 6 mois avec sursis et 200 heures de TIG. Le procureur avait requis trois ans de prison dont la moitié avec sursis… Ils n’ont aucune limite. Avec cette condamnation et la libération du gendarme, la nuit risque d’être chaude (chaleureuse, vivante) et pas seulement grâce aux flammes de la caravane du défunt (coutume des voyageurs).

De leur côté, les chiens, non satisfaits d’avoir descendu un discriminé de plus, trouvent encore le moyen de se plaindre parce que leur collègue (à prononcer avec l’accent puant des gendarmes du sud) a fait quelques heures de gardav’. Le mensuel L’Essor de la gendarmerie (tout un programme !) et l’Union nationale des personnels retraités de la gendarmerie (ils nous feront chier jusqu’au bout !) ont fait part de leur « indignation ». Le syndicat rappelle que le gendarme « appliquait les règles » (de l’usage de l’arme à feu). Après tout, ils ont raison. Sans ironie aucune, c’est bien à eux de s’indigner, plus à nous. Les règles du jeu sont claires : la police et sa justice ont le droit de tout sur nous. On le sait, donc abandonnons aux familles de gendarmes l’indignation, pour enfin commencer à résister, vraiment.

Solidarité contre les porcs.

—————————
Récit de la mort d’Abdelhakim, la semaine dernière à Grasse :