Carnaval À dharamsala
Category: Global
Themes: Resistances
Correspondance, sur place, d’Himalove
CARNAVAL À DHARAMSALA
C’est un rituel, reproduit quatre fois par jour.
À l’entrée de MacLeodganj, une petite station climatique, bâtie par les Anglais, sur les contreforts de l’Himalaya, quelque centaine de tibétains se réunissent et brandissent leur drapeau national, criant leur haine des chinois.
Leur public est un parterre de journalistes ravis, venus des quatre coins du Monde, qui relaient à l’infini les images et les sons d’un spectacle haut en couleurs.
Des moines, des nonnes, dont la bonne santé tranche avec les sâdhus hagards qui hantent les rues étroites de MacLeo, constituent les « gardes rouges » de cette étrange insurrection.
Entre deux manifestations, on croise souvent les prélats au restaurant devant de plantureux repas qui feraient honte au yogi ascétique, Milarépa.
La révolte tibétaine, en Inde, est un tigre bien nourri tenu en laisse…
Les autres, laïcs, font partie de la caste des commerçants, enrichis par le tourisme, qui se sentent à l’étroit en Inde, dans un pays où ils ne peuvent en droit acheter des terres ; leurs enfants sont des étudiants qui aspirent à vivre à l’étranger ; et sont membres des cinq organisations non gouvernementales, subventionnées par le Congrès américain.
À cela s’ajoutent des réfugiés déboussolés, pauvres et corvéables à merci.
On reconnaît leur origine par leurs vêtements défraîchis, achetés sur les marchés aux puces à Delhi ou à Lhassa.
Les tibétains n’ont pas de statut de réfugié ici mais seulement celui « d’invité » ; les secondes générations, nées sur le sol indien, n’ont aucun droit et n’ont comme documents que ceux délivrés par le gouvernement fantoche de Dharamsala.
Seuls les riches tibétains, pour la plupart liés aux princes de l’église, peuvent s’acheter des passeports indiens, népalais, chinois ou ceux de l’ONU.
Les autres, confinés dans leurs taudis, restent toutes leur vie des sans papiers et partagent le sort des millions d’Indiens dont la citoyenneté et la survie sont problématiques.
Le soir venu, les réfugiés en colère, armés de bougie, confluent vers la résidence de « l’Océan de sagesse », le XIVe dalaï-lama, Tenzin GYATSO.
Les plus enragés et les plus désespérés d’entre eux crient à l’intention du « vieux singe en exil » (cette expression vous ferait couper en quatre par la foule à Dharamsala): « Dalaï-Lama retournes immédiatement au Tibet ! » ; mais le dieu vivant, dans son palace doré, n’est pas Yasser ARAFAT, ni Nelson MANDELA et encore moins le mahatma GANDHI.
Selon les mauvaises langues, la famille du XIVe dalaï-lama aurait été choisie, avant-guerre, par l’Intelligence bureau britannique, afin d’éviter que le chef temporel et spirituel de la théocratie tibétaine (1) ne soit prochinois comme le XIIIe du nom…
Pour l’impérialisme, le Shangri-la devait rester « une marche de l’empire », censé protéger les colonies britanniques du sous-continent d’une éventuelle épidémie nationaliste et communiste, venue d’Asie.
Pendant la Seconde guerre mondiale, le Tibet resta neutre et abrita outre les résidents de la Couronne britannique des représentants nazis comme l’alpiniste autrichien, évadé d’un camp d’internement de Dhera Dun, Heindrich HARRER (2).
À l’indépendance de l’Inde, « cette neutralité » ne résista pas au reflux de l’impérialisme et à la Guerre froide, le Tibet après la Corée était soufflé par la révolution chinoise.
Le camarade (3) Tenzin GYATSO a raison lorsqu’il dit « qu’il est peut-être le dernier dalaï-lama »…
Car les monastères, au Tibet, détruits par les Gardes rouges, lors de la Révolution culturelle, sont depuis reconstruits à l’identique; et sont gouvernés par des tulkus (4), nommés directement par le parti communiste tibétain.
Aujourd’hui, la troisième génération tibétaine, née en exil, remet en cause l’infaillibilité de Tenzin GYATSO, sa politique de collaboration avec l’occupant et son manque de solidarité avec les plus pauvres.
Les masses tibétaines réfugiées en Inde, qui vivent dans les bidonvilles à Delhi ou éparpillées dans l’Himachal Pradesh, loin des crédits alloués par les États-Unis, ne sont, en effet, pas conviées à « l’insurrection bourgeoise » de MacLeod.
Le gouvernement chinois a félicité, du reste, le docteur Manmohan SINGH pour la manière dont la police indienne a su maîtriser la révolte (5).
Les régions du nord-est de l’Inde là où se trouve le grand monastère de Rumtek, où vivent une forte communauté tibétaine, sont également absentes de cette agitation ; sans doute, les rivalités* entre le dalaï-lama et les autres chefs religieux, à propos de la succession du Karmapa, ne sont-elles pas étrangère à cette désaffection…
*Ces rivalités entre les conseillers personnels du dalaï-lama comme Situ Rimpoche d’un côté et Sharma Rimpoche, de l’autre, au Sikkim, sont entretenues par les services secrets indiens, qui soupçonnent l’entourage du DL d’être infiltré par les chinois.
Pour un initié des arcanes de l’église tibétaine : « Le mouvement de MacLeod, autour de Tenzin GYATSO, et le soutien international des gouvernements étrangers qu’il reçoit permettent au XIVe dalaï-lama de raffermir son pouvoir au sein de la secte Gelupa et son ascendant sur les autres sectes bouddhistes ; et d’effacer les nombreux scandales qui entachent la réputation de sa famille ».
Près de la résidence cardinale, des dizaines de moines ou laïques se relaient pour un jeûne symbolique, à la mémoire des tibétains, assassinés par l’armée chinoise.
Les cadavres des martyrs, avec leurs blessures béantes, sont exposés sans pudeur sur des affiches collées sur les murs de MacLeod.
Les touristes occidentaux n’ont d’yeux que pour elles et oublient les nombreux lépreux qui tendent leurs moignons le long de l’allée qui mène à la résidence du Grand féodal.
Seul un mendiant, noir de crasse, rampant sur le sol, avec un portable à la main, attire les éclairs des photographes.
Ces rassemblements quotidiens, la bonne santé des moines, les contrastes saisissants avec la misère locale, l’enrégimentement des enfants, la complicité bienveillante de la police, la présence d’une presse qui répercute sur le net et les télévisions le moindre pet de « la révolte » finissent à la longue par écoeurer l’honnête homme.
Les coolies cachemiris à qui sont dévolus, à MacLeodganj, les besognes de portage, sur le chowk, rigolent à la vue de cette insurrection d’opérette…
À une centaine de kilomètres de là, l’insurrection au Jammu et Cachemire, occupée par l’armée indienne, a fait, depuis 1989, plus de 80 000 morts, des milliers de blessés, torturés et de disparus.
Mais là l’armée et la police indiennes interdisent aux journalistes toute comparaison.
Pourtant il existe un trait commun entre les insurrections au Tibet et celle au Cachemire : toutes deux ont été, au début, financées et fomentées par la CIA.
En 1947, ce sont des guerriers pachtounes, commandés par des officiers de l’OSS, qui ont envahi le royaume du maharadja hindou et déclenché la première guerre entre le Pakistan et l’Union indienne.
Idem lors de l’insurrection débutée en 1989, dans la partie indienne du Cachemire, les militants étaient payés et entraînés par les services secrets pakistanais, ISI et la CIA.
En 1950, lors de la guerre de Corée, le général MacArthur pensait ouvrir un second front au Tibet contre la Chine communiste.
Cette intention, clairement formulée de l’état-major US de la zone sud-est asiatique, a précipité l’invasion et la « libération » du Tibet par l’armée chinoise.
La guerre de basse intensité entre l’APL et la résistance tibétaine, parrainée par les Américains, pendant la guerre froide, est, sans doute, à l’origine du conflit frontalier, meurtrier, entre l’Inde de NEHRU et la république populaire de Chine, en octobre 1962.
Il a fallu attendre les accords entre NIXON et MAO, en 1972, pour que la guérilla des Khampas cesse de faire le coup de feu contre l’APL.
(Les Khampas montaient leurs opérations militaires avec l’aide des conseillers américains, depuis le royaume du Mustang, au Népal ; et de nombreux tibétains étaient entraînés au parachutisme, dans le ciel californien, pour des missions de sabotage derrière les lignes chinoises.)
Cette entente cordiale des États-Unis et de la Chine communiste, en 1972, donnait naissance à « la voie du milieu » préconisé d’abord par le roi du Népal, BIRENDRA BIKRAM SHAH DEV, puis reprise par le dalaï-lama.
En fait, cette voie du milieu s’inspire des Cinq principes de politique étrangère, Pansheel, développés par Chou en-Lai et le pandit NEHRU, en 1954.
Les militants de la voie du milieu demandaient l’instauration d’une zone pacifique, dénucléarisée, dans les Himalayas ; et exigaient que les peuples ne soient plus l’enjeu des conflits entre grandes puissances.
Aujourd’hui, on est loin du compte : les Himalayas de part et d’autre des frontières sont, peut-être, l’espace politique le plus militarisé et où les grandes puissances comme en Afghanistan ou au Pakistan sont les plus présentes.
Lors de « la Détente », le combat idéologique se déplaçait sur le terrain culturel et religieux. Les monastères détruits par la révolution culturelle en Chine étaient reconstruits du côté indien et occupés par les réfugiés tibétains.
Face à l’athéisme du régime chinois, on y privilégiait l’enseignement du bouddhisme pour combattre la tentation communiste.
La tradition guerrière des Khampas était toutefois discrètement perpétuée ; l’armée indienne accueillait et accueille toujours, dans ses forces spéciales, chargées de la garde des frontières, 8 000 mercenaires tibétains.
Ces derniers sont engagés, lors de l’Opération Blue Star, au mois de juin 1984, contre le Temple d’Or, tenu par les insurgés sikhs, à Amristar.
Basés à Chakrata, dans l’Uttaranchal, ces commandos tibétains sont visités et bénis, chaque année, par le prix Nobel de la paix…
La Chine a toujours demandé à l’Inde la fermeture de ces centres de recrutement où l’on engage les tibétains comme mercenaires. En vain.
Aujourd’hui, avec l’arrivée des maoïstes, au pouvoir, au Népal, et la prise de contrôle des monastères tibétains par la Chine, les Américains semblent vouloir réveiller le nationalisme guerrier des Khampas.
Au moment où un traité stratégique, sur la question nucléaire, se conclut difficilement avec le gouvernement indien, une insurrection réussie au Tibet pourrait faire basculer définitivement l’Inde du côté de la grande alliance (6).
Une dépêche de l’AFP, du 19 mars 2008, reproduite par le journal « The Hindustan Times », annonce que des cavaliers tibétains, dans la pure tradition Khampas, ont razzié, l’arme au poing, un bâtiment officiel chinois, dans une région isolée du Gansu.
La porte-parole des États-Unis, Nancy PELOSI déclare, à propos de l’insurrection, le vendredi 21 mars, à Dharamsala :
« It’s our karma to help Tibet. »
Après l’Afghanistan, l’Irak, le gouvernement BUSH vient de ré-ouvrir une blessure de la Guerre froide.
HIMALOVE
1. Pour connaître la nature exacte du régime politique d’avant l’invasion chinoise, lire « The Myth of Thibet » de Michael PARENTIS.
2. Heindrich HARRER est l’auteur du livre célèbre « Sept ans au Tibet ».
3. Je l’appelle « camarade » parce qu’il se dit lui-même, avec humour, « à moitié communiste ».
4. Les Tulkus sont les réincarnations de grand lama, choisies par l’autorité politique et spirituelle du pays.
5. La police indienne, en collaboration étroite avec le DL, ont tout fait pour éviter une marche monstre des réfugiés tibétains vers la frontière chinoise.
6. L’intérêt stratégique du Tibet pour les Maîtres du Monde est le contrôle de l’eau ; tous les grands fleuves d’Asie, Gange, Brahmapoutre, Mékong, Iradawi, y prennent leur source.
Il est plaisant de lire un article de ce type ne faisant l’apologie d’aucun parti et qui semble s’être renseigné du sujet dont il parle.
Les médias à défaut de parler des “faits” et de chercher à comprendre et discerner ce qui se passe “réellement” bref à faire un vrai travail de journalisme, se borne à proposer une vision étriqué et faussé de ce qui se passe dans ce pays.
Tout cela pour les joies de journal télévisé, la route de katmandou ne semble plus être ce qu’elle était, ni la voie du milieu qui sera bientôt en fibre optique.