L’avènement d’une société plus ouvertement discriminatoire
Sempre tirare dritto* : tirez toujours au but et vous serez vos propres cibles

Ce n’est pas nécessairement concerté, mais pour beaucoup les hommes, parce qu’ils se ressemblent, repèrent les mêmes cibles . L’Etat et les sujets évoluent de conserve, c’est l’idéologie. La différence y est sévèrement ou réprimée ou stigmatisée. Ils font mal au même moment. Ils ont la même cible simultanément.
C’est de la discrimination.
Cette société ne saurait assumer seule le choix odieux qu’à tous elle impose. Lorsque Yasmina Reza relève en privé cette confidence de Nicolas Sarkozy « nous en sommes à un tel niveau d’exigence que ceux qui ne peuvent pas suivre il faut les jeter », la collusion entre la dictature de l’économie et la dictature du spectacle plus évidente que jamais (Yasmina Reza est la dramaturge française la plus jouée de part le monde) ne promet rien d’autre évidemment, que d’inciter ces rares obstinés occupés à contrarier le mouvement de la machine monstrueuse, à se supprimer d’eux-mêmes. Ou les innocents.

E., 14 ans, suicidé au lycée Pasteur (Besançon), G. 18 ans élève du lycée Palissy (Agen) suicidé également, ont été les premiers « invités ». Ceux-là, sans nul doute, n’étaient pas candidats à discipliner leur haine. Comme on le voit ils n’ont pas, selon les vœux et la formule du président, « pu » suivre.
Chaque jour des adolescents se suicident à cause de la multiplication et de la convergence d’agissements discriminatoires et particulièrement parce qu’on continue à les enfermer, coupables d’aimer. Cet adolescent qui a trouvé la mort en sautant par la fenêtre de son lycée eut ces derniers mots: “le monde est trop moche”.

Oseront-ils porter un jugement sur les aveux d’un jeune suicidé ?
Ils n’en sont pas à une inconvenance près. Et c’est en quoi précisément ces gestes de dépits et ces mots terribles ne sont pas les derniers.
Le verrouillage se fait en tous lieux : écoles, médecins, science, administrations, spectacle, famille, entourage. Encadrement et verrouillage de plus en plus draconiens et coercitifs. A fortiori et tout le monde en fait peu ou prou l’expérience la maladie guette. Le cercle est vicieux parce que les pouvoirs publics apportent pour toutes réponses un renforcement du dispositif de verrouillage. C’est le totalitarisme.
S’il n’y a plus de moyens de le communiquer et d’en faire une critique efficace, le totalitarisme est d’autant plus fort. S’il n’y a plus de moyens d’être compris parce que les sujets sont définitivement changés, c’est la mort Pasolinienne.

Voilà ce qu’a subi E. Quatorze ans, en fugue, elle a été abusée par des jeunes sensiblement plus âgés. Personne à qui parler, ce dispositif verrouillé de toutes parts impliquait qu‘on l‘enferma. Pendant sa période de convalescence pas un livre qui ne lui convienne parce que les efforts de diffusions sont consentis à des livres qui ne lui évoquent rien et parce que le verrouillage implique des professionnels qu’ils soutiennent l’idéologie à laquelle partout elle s’est cognée.
Durant sa fugue son téléphone était sur écoute. La police intervenait pour lui signifier qu’elle est partout suivie et pour apeurer ses rares véritables soutiens. Ce faisant ils ont accru sa volonté d’en finir avec ses jours. Sa puissance de vie ne demandait qu’à être sollicitée mais ni l’école, ni la famille, ni l’entourage, ni la société de l’économie ne le font. Au contraire ils briment. En la circonstance la Police ne se sera pas contentée de brimer, elle aura précipité la pulsion de mort.
“Jeter” ce n’est pas abandonner, c’est harceler, sournoisement.
C’est un « principe de précaution » : s’assurer de couper le sujet perdu de ses possibilités et le conduire à agir contre lui-même. Le suicide est la méthode choisie pour des sujets perdus. Ou à perdre.
Elle disait me devoir la vie alors que je n’ai jamais fait que l’encourager à la supporter. D’autres sauvent des vies sans le savoir lui ai-je dit. Il suffit d’aller mieux pour ne pas s’en apercevoir.
Mais quelle vie ?
Cela j’ai préféré lui taire. Tu as tout de même dit de belles choses se justifiait-elle. Il y a quarante ans de grands hommes évoquaient le jouir sans entraves et exaltaient la vraie vie. Tout cela elle le porte. Son visage lorsqu’il est radieux en témoigne. Mais elle souffre. Nous voulons que le masque des douleurs se consume dans son sourire.

L’hiver est une saison difficile. Les hurlements et les gémissements viennent de ce que tout se ligue contre nature et vient en surcroît des variations naturelles des saisons se casser la face sur ce gâchis conçu par les hommes. J’entendais la voix mélancolique de Guy Debord “nous traversons un paysage dévasté par la guerre qu’une société se livre contre elle-même, contre ses propres possibilités. L’enlaidissement de tout était sans doute le prix inévitable du conflit. C’est parce que l’ennemi a poussé si loin ses erreurs que nous avons commencé à gagner.”
De telles déprimes ne passent pas vraiment. Au mieux dépassées, il reste toujours l’empreinte de ces moments de grisailles dont on ne perçoit plus l’issue qu’à grand peine, à l’instant même où nous commençons de “changer”.
Rien n’indique que ces “changements”, collectivement, profitent à tirer parti des erreurs de nos ennemis.
Ils sont de plus en plus nombreux à ne véritablement songer qu’à eux-mêmes. En cela la proclamation officielle de la fin du monde conduit chacun au sauve qui peut. Ils sont de plus en plus rares à conserver la volonté d’instruire le procès du vieux monde par delà ses ruines. Il y a quarante ans les mêmes voix qui exaltaient la vraie vie prévenaient de l’imminence des problèmes du climat. Il y avait une cohérence de vie à laquelle leurs ennemis opposèrent une logique de mort. Cette logique auquel le silence dans lequel ils ont tenu ces hommes depuis quarante ans, a conduit la planète à l’extrême limite du tolérable, alors que disposant de tous les moyens ils étaient les seuls à pouvoir influer. Si concertation il y a eu de leur part, et l’on peut légitimement ne pas en douter, c’était d’attendre le moment propice de proclamer à leur tour, bien officiellement cette fois, l’imminence de la fin du monde. Depuis lors ils déploient leurs sombres projets sans oppositions. Ils dégradent les conditions de vies, ils vouent au silence leurs contempteurs et après avoir ruiné tout espoir, ils s’offrent pour être le seuls en mesure d’agir. Si la balance ne rétablit pas l’équilibre, si les sujets ne s’entendent pas à la rétablir, s’ils continuent à fourbir les armes de leurs véritables ennemis, alors chacun ne songeant qu’à lui-même la catastrophe paraît inéluctable.
Car il s’agit bien de cela lorsque pour ces citoyens héroïques le tri sélectif des déchets tient lieu de communauté d’action.

Les professionnels de l’internet et les industries culturelles sur les “droits et libertés des français”, encouragés à la libre entreprise donnent la mesure de ce qu’elle est : un pouvoir exorbitant de puissance privé dont la nature totalitaire est à ce jour plus durement éprouvée dans l’enfer du centre concentrationnaire africain. Patience nous y venons. La simplification de l’orthographe qui est d’usage sur les voies virtuelles pourrait en présager plus que la légèreté avec laquelle la “faim” devient la “fin”. Tout le génie consiste à ne pas se vouloir prophète, là où la simplification extrême supplée si avantageusement aux doutes nourris d’autant moins volontiers que les besoins élémentaires ou prétendument tels ne sont pas satisfaits. Encore un sérieux camouflet aux âmes naïves qui crurent trouver, en s’employant à voter plus qu’on ne l’avait fait ces dernières décennies, un moyen de restaurer quelques privilèges qu’ils voyaient décroître. Nouvelle farce des pédagogues à la citoyenneté, comme on le fait avec des enfants turbulents, s’ils obéissent et se rangent à l’autorité, la promesse d’une image qui invariablement s’échoue entre les mains studieuses des “fils de …”.
Ces accords portent sur la mise en place d’un système de riposte graduée à l’encontre des « téléchargeurs » avec fermeture de leur accès à internet. A quoi bon attendre que le Parlement ne se prononce, les élèves et leurs maîtres, au moins tacitement, n’en sont plus à considérer les élus que pour le bénéfice et non pour le principe. Au royaume du vol les expédients obscurcissent un paysage mal en point et comme ces enfants sont devenus turbulents qui reproduisent le seul exemple qu’on leur ai jamais montré.
Celui qui, dit-on, vient d’en haut, sur des ruines, en effet, il n’y a plus de points de vues d’assez de hauteurs pour envisager l’ampleur du désastre.
Un pays où les sujets payent pour être surveillés.
Si le nom de démocratie suffit à évoquer un tel pays, à quoi les droits de l’homme dans leur nouvelle manière formulent et le droit d’être sous surveillance systématique et de s’acquitter d’un prix pour se faire.
Le tyran tient en haute estime de tels sujets. C’est là tout le mépris qu’un certain concevait jadis pour les veaux. Ils ont tant aimé leurs généraux ! Aujourd’hui la manière plus subtile possède le sentiment d’existence de chacun.
Il est d’autant plus loisible de moquer la relation équivoque d’une soubrette (Bruni) et du tyran, que c’est là le seul échappatoire qui reste aux envieux. Sur la seule foi d’un visage aux proportions inquiétantes.
La démocratie offre un visage semblable. La démocratie on l’aime et on l’acquitte.
On devrait être plus attentif à l’usage des homophonies approximatives.

“7 jours en Lot et Garonne” est un de ces journaux de province que dans ces grands efforts de décentralisations l’Etat a mis entre les mains des conseils généraux. “A quand une grève contre les grèves ?” titrait-il.
Ce journal de confidentialité « localise » donne dans l’endormissement de foules déjà suspectes de faire de l’apathie, de la complaisance et de l’accommodement les traits qu’en général les historiens sérieux du futur attribueront à ces générations, qui d’entre toutes époques, auront contribué le plus par leur lâcheté à la misère de la vie et à son choix tragique : l’enfermement ou l’externalisation cloisonnée. Si l’on déplore trop peu de morts sous la mitraille il y en a bien davantage par les coupes franches budgétaires, plus qu’aucun siècle n’en a si franchement et volontairement conçu. La question de savoir en quoi un droit, les grèves, doit être supprimé, un droit qui jusqu’alors n’a pas été d’une efficacité décisive, indique assez qu’en ne laissant à la souffrance aucun échappatoire il est admis, dans le plus grand secret où ces actions se conçoivent, qu’il doit y avoir assez de malades et de suicidés qui selon les voeux formulés en privé par Nicolas Sarkozy doivent être “jetés”.
Il en est ainsi, évidemment, chaque fois que des droits “favorables” aux oppressés, droits dérisoires, leurs sont enlevés. Or il en est pléthore. Ce à quoi ce distingué plumitif d’un journal ouvertement affilié à l’UMP locale a cru bon, parfait crétin, de rappeler que la décision des urnes, irrévocable, ne devait pas souffrir qu’on conteste les lois. Que voilà de beaux démocrates ! Cet argument enfantin rappelle assez la fable de l’écolier voleur de billes qui entend gagner, sans la jouer, la partie parce qu’il a précisément plus de billes que ses victimes. La loi civile immuable déclare qu’il y a deux sortes de tyrans. Edward Sexby pour tout rappel à d’élémentaires fondements de dire “tyrannus sine titulo et tyrannus exercitio. L’un est appelé tyran parce qu’il n’a point de droit de gouverner, l’autre à cause qu’il gouverne tyranniquement.” De rajouter “et nous verrons si le Protecteur ne peut pas, avec grande justice, réclamer ces deux titres afin de se les attribuer”.

Un de mes anciens amis, cinéaste, de trop de fatigues décédé depuis lors, qui en rien n’en rétrocédait à une presse qu’il tenait pour ce qu’elle est, dit à un semblable plumitif “J’ai un scoop pour vous. Pétain est mort.” Personne ne s’étonne ne vous y voir de ce côté.

Les mots paraissent de peu de poids. Face à une réalité sordide, les mots du mal ont nécessairement plus de sens que les mots du bien.
Chacun s’en remet donc à l’hypothèse qui accrédite les mots du mal. Cela a beaucoup à voir avec la surenchère du cynisme et de la cruauté. La prudence paraît ridicule. Les circonstances atténuantes n’ont plus court.
Chacun examine l’autre dans l’optique de sa propre menace car il est entendu, et c’est bien le travail ultime qu’ont accompli les fascistes, qu’il n’en faut sauver aucun. Aucun homme j’entends.
Voilà en quoi ils obtiennent de chacun une existence en régime de sous-animalité.
On y répond le plus souvent à des stimuli et à des habitudes qui tiennent de la mécanique robotique et d’une conformité comportementale qui a de moins à moins à voir avec “le vivre mieux à tous” et qui s’assujettit sans cesse au néo-fascisme.
Aucun animal de la même espèce ne mène avec son semblable un combat jusqu’à la mort. L’homme seul ne bénéficie pas de cette protection.
Des bêtes de somme toujours plus disposées dans le raffinement de l’argutie à le demeurer ?
Ils ne veulent rien entendre qui les en détourne.

De mauvais pressentiments se réalisent et les meilleurs très rarement. L’intelligence sensible et l’inconscient empirique font par conséquent immerger plus de mauvais pressentiments que de bons. Les premiers se vérifient plus que les seconds et la spirale du négatif s’amorce ainsi.
Jusqu’où ? Jusqu’à quand ?

Duclos disait de je ne sais quel bas coquin qui avait fait fortune : “On lui crache au visage, on le lui essuye avec le pied et il remercie.” (Caractères et anecdotes, Nicolas de Chamfort)

(* Sempre tirare dritto : une de ces devises que les fascistes italiens inscrivaient sur les murs. A rapprocher de « droit au but ! ». A Marseille justement. Dans L’émission “faites entrer l’accusé”, l’affaire dites Chouraqui ou de la guerre des cliniques de la ville de Marseille.
Christophe Hondelatte au policier Richard Zerdoumi : (parlant de Chouraqui) “est-ce la seule piste que vous ayez ?”
R.Zerdoumi parle de ses informateurs. “on nous a parlé de scandales politico-financier, de grand banditisme. Or nos informateurs ne cherchaient pas là. ça ne vient pas de chez nous du tout”.
On ne saurait être plus clair. L’aveu est en matière de justice la preuve absolue.)

Publié le 27 décembre 2007 par Regis Duffour

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