Ce texte bref et introductif part d’un constat simple que l’on retrouve dans chaque lutte : nous sommes plus prompts à mépriser ceux qui sont proches de nous plutôt que ceux qu’on pourrait qualifier d’ « ennemis » (politiques).

Certes, c’est principalement du fait qu’en bon démocrate que nous sommes, nous valorisons les délibérations, la confrontation d’idées, le conflit démocratique. Nous refusons la Totalité, l’Unité, au profit de l’union dans la pluralité. Mais nous tombons vite dans des travers de mépris, bien sûr renforcés par le fait que des organisations (syndicales, partisanes…), dont les logiques sont propres à la société capitaliste moderne, viennent pourrir ces mouvements autonomes.

Que ce soient les pacifistes, les réformistes, ou les plus radicaux, nous nous trompons toujours de cible lorsqu’on s’en prend à ceux qui se battent contre les mêmes ennemis. Certes, pas avec les mêmes moyens ; sûrement pas avec les mêmes objectifs. Il est vrai que certains se font miliciens pour conserver la paix sociale et éteindre la révolte… Disons-le clairement, pas de compromis ! S’ils se font miliciens, à eux d’assumer le fait de se ranger avec ceux-là mêmes qu’ils disent combattre.

Nous devons soutenir toute forme d’émancipation, même si elle nous paraît minime ou trop je-ne-sais-quoi. Soutien aux pétitionnaires comme aux émeutiers. L’individu se devrait de faire le « maximum ». Il se doit aussi de respecter les velléités émancipatrices de l’autre, même si elles lui apparaissent futiles.

Bien sûr ce texte n’est pas un appel du « rassemblement à gauche ». Le jeu politicien et ses images simplistes ne nous intéressent pas. La diversité est de toute façon trop grande pour une telle entreprise : l’anarchisme est inconciliable avec la sociale-démocratie ; l’anticapitalisme avec le capitalisme d’Etat qu’est le communisme ; la décroissance conviviale avec le travail salarié…

Entre réformisme et révolution, il y a de vrais contradictions de fond, dont celle de la conception de l’Etat n’est pas la moindre : d’un côté, Etat-Providence qui garantit une solidarité dans une société conflictuelle et agonistique ; de l’autre, un désir d’abolition de l’Etat, appareil bureaucratique détenteur de la violence légale, dans une société solidaire.

Cela ne doit cependant pas nous empêcher de nous allier dans des luttes d’oppositions créatrices. Dépasser les contradictions n’est pas se compromettre. Sans dialogue, il ne peut pas y avoir de compréhension. Et sans compréhension de l’Autre, on s’enferme dans une pensée qui tourne en rond ; sans confronter ses points de vue, on tombe dans une réflexion en abîme. L’entre-soi n’est jamais bon. Et ce qui caractérise un groupe sectaire est justement la rupture radicale avec le reste de la société. C’est pourquoi la lutte, si elle est rupture radicale avec le pouvoir –et donc délinquance-, doit s’ouvrir aux autres et attirer à soi les mécontentements. On peut toujours se retrouver sur certains points et construire ensemble ce qui peut l’être. Elle doit aussi maintenir une position de tolérance envers les personnes. La critique ne justifie pas l’intolérance. Oui, nous savons que leur imaginaire n’est pas « décolonisé », mais qu’importe ! Et nous-mêmes, sommes-nous exempts de critiques ? Ne participons-nous pas au Marché ? Position de respect difficile qui éclate parfois… Tant pis, le tout est de garder à l’esprit que le dialogue est encore ce qu’il y a de mieux, de se remettre à parler sans cesse, c’est-à-dire faire société. Et une société est nécessairement plurielle. [Petit bémol : si la tolérance et le dialogue avec les personnes sont fondamentaux, point de pourparlers avec les institutions !]
Si un jour nous devions chercher la « pureté » révolutionnaire, nous ne trouverions que l’infâme et l’ignoble. Cela ne nous empêche pas de pratiquer la magie du Chaos. Restons seulement vigilants face à nos certitudes et nos envolées destructrices.

Nous devons nous méfier des impératifs catégoriques et faire preuve d’un peu de pragmatisme afin de favoriser une « non-contrainte réciproque » . On ne peut pas imposer la démocratie, ce serait un hiatus. S’en est de même de l’anarchie, ou encore de la décroissance conviviale (il est possible que ce soient des synonymes…).

Certes, l’Empire est partout et empiète sur notre utopie concrète ; les babyloniens empêchent la réalisation de notre existence désirée. Mais nous sommes tous des babyloniens. La seule différence est une différence de degrés de Libération vis-à-vis de la Totalité. Sans avoir à se compromettre, on peut se voir comme des alliés. Parce que l’Utopie veut faire l’union dans la pluralité, et non exclure. Parce qu’on veut l’Autonomie radicale et la liberté, et non une nouvelle Totalité. L’Utopie ne peut pas reposer sur un modèle unique, mais sur une pluralité de modes de vie liés ensemble par le respect, la tolérance, et un nouvel apprentissage de l’hospitalité et de l’échange. Notre seule règle est, et sera, la liberté radicale tant qu’elle ne menace pas l’intégrité et/ou la liberté d’autrui.

Cependant, nous ne sommes pas là pour faire des arrangements : pas de compromis, parce que le compromis, c’est se compromettre. Nous ne voulons pas remettre à plus tard ce pour quoi on se bat, nous ne sommes pas réformistes : ici et maintenant reste le mot d’ordre. Ce monde ne nous plaît pas et il nous appartient de le déconstruire. Mais c’est par la pratique et l’expérience que nous gagnerons les gens à notre cause. En les faisant participer à nos expériences autogestionnaires, à nos luttes, à nos AG. Nous connaissons tous des personnes qui se sont laissés gagner à ces idées pendant et après expérimentation –quand ce n’est pas nous-mêmes. Cela fait longtemps que nous ne rêvons plus du Grand Soir, que nous savons qu’une révolution efficace est une révolution de la vie, et qu’elle doit donc s’inscrire dans les mœurs. Et c’est en multipliant les luttes que nous décoloniserons lentement la vie quotidienne et propagerons le Chaos.

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Arjuna