J’avais envie de m’en foutre toute ma vie, d’Israël et de la Palestine

Ce n’est plus possible.

 

Ce ne sont pas les massacres et viols du 7 octobre 2023 qui rendent impossible cette indifférence. Mais les discours de la gauche française qui n’ont jamais condamné ces attaques. Pire, les ont justifiées et même qualifiées d’actes de résistance.   Histoire de ma gauche Je sais pas comment c’était chez les anars, à la Ligue Communiste Révolutionnaire, ou au PS. Moi j’étais aux Jeunesses Communistes. Mes parents étaient au Parti. Chez moi il n’y avait aucune remise en cause de la ligne du parti. Dit comme ça, ça fait con et sectaire, mais c’était le cas.  Je ne sais pas depuis quand le soutien au peuple palestinien a fait partie des questions centrales aux JC. En tout cas on était solidaires et pour la paix. On ne parlait pas vraiment d’antisionisme. On n’avait rien contre les juifs. Mais on allait quand même recruter dans les cités sur l’injustice faite aux Palestiniens.  Les juifs communistes ont-ils importé au Parti leur antisionisme d’avant-guerre ou bien le PC a-t-il absorbé celui de Staline après 1945 ? Toujours est-il que dans les faits, on importait tranquillement le conflit ici pour recruter dans les banlieues, sur des bases finalement tout aussi racistes que la tactique LFI d’aujourd’hui. Les arabes seraient naturellement solidaires de la Palestine ?  Si du même coup on pouvait continuer à taper sur Israël d’une manière ou d’une autre, ça serait tout bénéf.  Le procédé est tellement éprouvé qu’il se dévoile de lui-même. Pourquoi on n’est jamais allé faire du porte-à-porte dans les quartiers pavillonnaires pour parler de la Tchétchénie ? Pourquoi les dictatures chinoise et vietnamienne ont toujours leur place à la fête de l’Huma ? Et pourquoi on n’est toujours pas foutu de s’opposer à Poutine, qui n’a rien de communiste ? Quand on parle de campisme, c’est de ça dont il s’agit.  Si t’es internationaliste et que tu veux t’unir avec tes camarades du monde entier, il reste beaucoup de monde.

Avec les jeunesses communistes de ma ville, à la fin des années 80, on allait recruter dans les cités sur le thème de la Palestine. Y. cherchait à créer l’indignation. Un jour en bas de la cité, elle sort à un mec : – Et le sort de la Palestine, c’est juste ? Le gars répond – De toute façon les Juifs … Moi je comprends pas – Qu’est-ce que t’as contre les juifs ? Lui – T’es juive ? Moi – Oui et alors ? Y. a changé de sujet pour rattraper le gars, pas pour me soutenir. On n’a jamais reparlé de cet incident.

Il faut reconnaitre qu’il n’y a jamais eu au PCF de déclarations intempestives et de sorties antisémites des dirigeant·es comme à LFI.  On parlait solidarité. On ne disait jamais rien contre les juifs. Et pour cause, de nombreux juifs étaient d’ardents militants. Et puis Dieudonné n’était pas encore passé par là.  Sur les sionistes, c’était une autre histoire. Aujourd’hui on sait par quel subterfuge grossier Staline a introduit ce vocable en remplacement de celui de Juif. Mais à l’époque, le sionisme, on pouvait toujours dire que c’était pas les gens, c’était l’idéologie, l’annexion, les territoires occupés. Aujourd’hui ce qui a changé c’est… rien. L’antisionisme est ancré à gauche comme jamais, alors que chacun·e en a une définition différente et parfois farfelue. Être antisioniste, c’est être :

  • contre la création de l’État d’Israël (avant 1948) ?
  • contre l’idée d’emménager en Israël ?
  • contre l’occupation des territoires palestiniens ?
  • contre l’occupation des territoires palestiniens et pour l’arrêt de la colonisation ?
  • contre l’existence de l’État d’Israël ?
  • contre les Juifs  ?
  • C’est quoi la vôtre ?

Moi je pense que ça représente un débat entre Juif.ves avant 1948. C’est aussi le choix personnel de celleux qui n’ont pas souhaité  aller s’y installer. Je suis aussi contre l’occupation des territoires palestiniens et pour l’arrêt de la colonisation israélienne. De même, je suis pour la création d’un État Palestinien à côté de celui d’Israël. Mais par définition, on n’est plus dans le sujet du sionisme ou de l’antisionisme. J’entends encore ceux qui soutenaient Dieudonné aux cris de « mais c’est de l’antisionisme! » Non. Aujourd’hui, dire « Palestine vaincra de la mer au Jourdain » c’est antisémite. Appeler à la destruction de l’État d’Israël est un appel aux meurtres de masse. Depuis un an il y a un retournement complet dans la majorité des discours pro-palestiniens. On est passé de la solidarité et de la revendication d’un Etat à la négation du droit des Juif·ves à disposer d’un Etat et au slogan Palestine vaincra. Et la gauche ne recadre pas. A la base, je m’intéressais plutôt à l’antisémitisme. En France et dans le monde. Au départ par intérêt familial on va dire. J’aurais pu m’instruire sur l’histoire des Juif.ves ou du judaïsme. Mais j’ai choisi un truc qui me touchait aussi et qui menaçait jusqu’à mes filles et après elles.

Une expérience comme les autres

Je l’ai évidemment, comme toute personne concernée, toujours décelé dans le moindre sous-entendu. J’ai appris dans la cour que celleux qui ne partageaient pas, c’était des juif.ves Plus tard, qu’ils contrôlaient les médias. Puis qu’on était solidaires entre nous et que bon, on se faisait pas trop de souci pour moi, je m’en sortirais toujours. Alors la confusion antisémitisme / antisionisme, je l’ai vue de près. Je n’ai jamais brandi mon identité juive, mais les proches, par la force des choses il fallait bien qu’ils l’apprennent. Et je ne vous raconte pas ceux qui vont tout de suite le répéter à leur mère pour savoir si c’est ok de faire entrer une juive dans la famille. Ou la belle-mère qui oublie que je suis là et qui sort « mon père, j’ai jamais su qui c’était mais vu mon nez, à tous les coups c’était un Juif. » Je ne vous parle pas des grimaces. Ces copines italiennes parlaient de leur grands-mères qui les gavaient aux repas du dimanche. J’ai dit « moi aussi ma grand-mère, pareil ! » Ah bon ? Elle était quoi ta grand-mère ? Euh bah, juive polonaise… La grimace. Je ne vous parle pas des collègues banquier.ières. Je précise le contexte, parce qu’on gère de la thunasse à gogo, et on fait des courbettes à tou·tes les client·es richissimes, c’est notre boulot. Mais quand il y a des juif•ves dans le lot, d’abord on les débusque. J’ai été témoin de plusieurs call out de ce type. Parce que les juif.ves, comme ça se voit pas, faut les débusquer. Tu sais jamais, un jour au bout de la chaine, ça pourrait marcher, la foule pourrait s’énerver, et quelqu’un pourrait passer à l’acte. Bref. D’abord on les débusque. Ensuite on leur trouve des particularités : très très riches. Comme les autres client.es ? Non, chez eux chaque centime compte avec le geste de la main griffue qui se referme. Le deuxième call out c’était ma cheffe qui m’avait confié en baissant la voix que Anita était juive. Ah. Ok. Merci pour l’info. Ou ma collègue allemande qui s’était esclaffée « Jean-Jacques Goldman est juif ? Ah ah ah ! » Ou mon autre collègue qui me confie que sa « mère est pire qu’un juif » (encore les griffes).  Voilà pour l’expérience d’une juive sous-marine. On en entend des saloperies. Y a pas de gauche ou de droite, y a des antisémites partout. (autres expériences *)

On les reconnait les complotistes

Depuis que les Juif•ves ont les mêmes droits que les autres, et qu’on ne peut plus trop les massacrer dans les coins, le complotisme antisémite a explosé. Comme on peut pas les reconnaître, on les fantasme en grands manipulateurs. C’est une vision du monde tronquée dont le but est de désigner des boucs émissaires faciles et qui a aussi pour fonction de dévoyer la lutte sociale. Aux Debunkers, on les suit depuis de nombreuses années. Ces idées sont revenues en force pendant l’épidémie de Covid avec des accusations d’empoisonnement et ont fédéré gauche et extrême-droite dans une grande confusion unitaire contre le pass sanitaire.

Alors on fait quoi ?

Aujourd’hui je ne peux plus rester en retrait.  Si je veux entrer dans les discussions pour lutter contre l’antisémitisme, je devrai parler d’Israël, du sionisme, et des antisionistes. J’ai toujours voulu refuser l’assignation faite aux Juif·ves à  se désolidariser d’Israël, tout comme j’ai toujours trouvé lamentable d’exiger des Musulman•es de France et d’ailleurs qu’ielles déclament « not in my name » quand il y avait des attaques de terroristes islamistes. Je n’ai jamais vraiment voulu m’approcher du sujet, parce que ça m’a toujours semblé compliqué et lointain.

Difficile de faire entendre sa voix

Mais aujourd’hui il y a urgence à clarifier les termes, définir les mots, faire ressortir le sens derrière les éléments de langage des un·es et des autres. C’est un préalable à la reprise de la discussion. Le monde était antisémite avant le 7 octobre, il n’y a aucun doute là-dessus. En revanche j’ai vu la rage exploser en France, après. En France. Le débat s’est polarisé avec des attiseur.euses de haine professionnel.les à gauche, et à droite avec les islamophobes qui poussent des cris d’orfraie devant chaque manifestation pro-palestinienne, justifiant les actions liberticides et racistes du gouvernement et de la police.  J’ai vu les Juives se faire exclure des manifestations féministes. J’ai entendu Judith Butler dire « on vous croit mais on veut des preuves ». We need documentation my ass. A noter que le PCF, fidèle à lui-même, ne s’est pas déshonoré. Les communistes d’Internet, c’est autre chose. Cette population vieillissante n’a rien à envier aux soutiens inconditionnels de LFI.  Tous·tes ensemble ielles partagent gaiement sur les réseaux sociaux des slogans et des caricatures antisémites sans aucun recul. Un naufrage.

Pourquoi tu parles de Rothschild ? Bah parce que Macron a bossé là-bas ! Oui 6 mois, mais à part ça ? Bah ça symbolise le capitalisme ! Ah bon.

Pendant les premiers mois après le 7 octobre, on a constaté le fossé, le campisme, les discours diamétralement opposés. On a essayé de marcher sur une ligne de crête et de faire entendre notre voix singulière. Pas en appelant à la raison, mais en affirmant nos valeurs. On était peu, on se sentait inaudibles, mais malgré tout on s’est trouvé·es.** Restons ensemble.

Nous vivrons, et nous reprendrons notre place à gauche et dans les mouvements féministes

Israël vivra. La Palestine vivra. Nous vivrons. Les juif.ves, et particulièrement les femmes juives. On reprendra notre place à gauche et dans les mouvements féministes, mais on a besoin de votre aide pour tracer des lignes rouges. On a besoin de sécurité. Il faut faire taire la haine des juif.ves. Il faut écouter la parole des concerné·es, comme dans toute lutte antiraciste.

***

Note 1 : à celles et ceux qui se tripotent devant les errements de la gauche, vous valez pas mieux. Au moins à gauche il y a un idéal de solidarité et de progrès social. Ça vaudra toujours mieux que vos valeurs individualistes et capitalistes de merde.

Note 2 : Ça me fait penser à un collègue fustigeant hier les profs de gauche qui font lire des textes sur le dérèglement à leurs enfants. Le dérèglement de quoi, climatique ? De tout ! Le dérèglement de tout ! C’est de la faute de ces profs de gauche si après les jeunes pensent n’importe quoi. Ah. Je pensais que c’était les parents qui leur transmettaient des trucs du genre valeurs, tout ça. En fait nan. Les apolitiques c’est comme ça. Iels transmettent pas de valeurs. Iels n’ont pas besoin, car tout va de soi : leur place dans la société (iels l’ont méritée), leur salaire à 5 chiffres (normal), leur charité (lol), leur sobriété écologique (mdr) et leurs grandes déclarations humanistes, mais stop à la dictature de la gauche qui remet en cause notre modèle, hein. Moi j’appelle ça du foutage de gueule, mais lui il se sent vraiment menacé par un prof de gauche… Le fossé n’est pas toujours là où on le croit, et je ne suis pas sûre de vouloir construire un pont ici.

 

* Podcasts

  • Qui a peur des Juifves ? Antisémitisme, la tentation perpétuelle, Illana Weizman
  • Être juif en France après le 7 octobre, Juliette Livartowski

** le RAAR, les Debunkers de Hoax d’extrême-droite, les Guerrières de la paix, Standing Together, JJR, JMR, Mouvement Golem, et tout·es celleux qui nous lisent et à qui nous apportons un peu d’air.