Lettre ouverte à l’orga des UEEH
Catégorie : Global
Thèmes : AntiracismeantisémitismeUeeh
Lieux : Partout
article tiré du blog: valleedeslarmes.noblogs.org
Chère team d’orga des UEEH,
Je n’étais pas aux Universités d’Eté Euroméditéranéennes des Homosexualités (UEEH) cette année. Ni celle d’avant. La première et la dernière expérience que j’ai aux UEEH date de 2017. Cette année-là, le conflit qui a marqué les esprits opposait les transmatérialistes aux queers. Tout le monde s’est positionné autour de débats houleux (mais nécessaires). On est repartis plus au clair avec les arguments et les enjeux du débat. C’était difficile, mais ça avait du bon quelque part. Enfin, c’est mon avis.
Un conflit en occulte souvent un autre… Et un des conflits qui n’a pas fait de bruit ce même été concernait Israël. Certains d’entre vous se souviendront peut-être de cette criée*. Un soir, un message anonyme s’est adressé à la seule personne israélienne de l’assemblée : il fallait qu’elle parte, car les UEEH était un événement anticolonialiste. Point. La criée s’est poursuivie non sans un certain malaise. Et une fois ce rituel terminé, une quinzaine de personnes qui connaissaient la compa visée sont allées la rassurer : elle n’avait pas à partir. On en est resté là. Cette situation n’était pas un simple conflit, mais bien une attaque antisémite. Il n’y eu cependant aucune opposition audible à ce message. Pas de scandale. Pas de dénonciation. Nous étions sûrement quelques uns à nous en être rendu compte. Mais nous n’avons rien dit. Et la vie a repris comme si rien ne s’était passé.
Ça m’a marqué.
Ça fait 7 ans que je rumine cet épisode en me demandant pourquoi on s’est tus. Pourquoi personne n’a nommé ce qui se passait. Non pas que j’aime me complaire dans l’autoflagellation en ruminant des épisodes honteux de mon existence… Mais cet épisode touchait à une question plus large que mon sentiment de culpabilité ; Pourquoi collectivement se taisait-on devant une situation d’agression antisémite ? En 7 ans, j’ai pensé à deux réponses.
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Ma première réponse est que très peu de gens ont identifié ce message comme antisémite. On l’a compris comme une position anticolonialiste. On n’a pas pris ça pour une agression raciste, mais pour un conflit politique. Comme s’il était normal de tenir un individu pour responsable de la politique de l’État dont il porte la nationalité ! A-t-on déjà tenu un américain quelconque pour responsable de l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan ? A-t-on déjà tenu un français lambda pour responsable de l’assassinat d’indépendantistes kanaks ? Non, parce que ça n’aurait aucun fucking sens ! A moins d’essentialiser toute une population. A moins de considérer que tout État représente fidèlement toutes les personnes qu’il domine. Mais si on exclut ces angles racistes et nationalistes, aucun Israélien lambda ne peut être tenu pour responsable de la politique coloniale de son pays. J’aimerais que cette évidence soit partagée dans nos milieux, mais elle ne l’est pas. On préférera considérer Israël comme un État à part, les israéliens dans leur ensemble comme des colons et les sionistes comme des fascistes. C’est ce schéma d’analyse qui primait en 2017 et qui prime encore aujourd’hui, et qui fait qu’un message antisémite ne sera pas identifié comme tel. Qu’on préférera y voir un argument anticolonialiste légitime. Ou on préférera ne pas se poser trop de question.
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Et les autres ? Ceux qui avaient vu là un message antisémite, pourquoi nous sommes-nous tus ? Nous avions certainement peur des conséquences qu’impliquerait notre réaction. En tout cas, moi, j’avais peur. Parce que je connaissais aux UEEH une vingtaine de personnes, dont des amis qui n’auraient certainement pas été d’accord avec moi. Parce que les UEEH peuvent être le lieu d’exploration de mille libertés et solidarités, de mille rencontres magnifiques, mais qu’elles restaient un milieu assez hostile. Un lieu où tout ce que tu disais pouvait être interprété, déformé, répété pour te nuire. Dans une sorte d’intransigeance militante qui avait depuis longtemps vrillé dans le purisme. Ce n’est pas propre aux UEEH, on retrouve ça dans pas mal de milieux radicaux. Mais à un rassemblement de queers féministes antiracistes à tendance autogestionnaire, on multiplie les occasions de se call-out gratuitement les unes les autres. Ce message antisémite à la criée en est un bon exemple ! Je veux dire, comment la nationalité de la compa a-t-elle été rendue publique ? Quelqu’un de choqué par sa présence l’aura sans doute dit à quelqu’un, qui l’aura dit à quelqu’un, jusqu’à ce que ça tombe dans des oreilles assez malveillantes pour entreprendre une dénonciation publique. Certainement que ces gens se croyaient en cohérence avec l’esprit UEEH. Comme si la présence d’une personne israélienne menaçait la pseudo-quiétude de l’événement… Pourquoi n’avons-nous rien dit ? Pour ne pas nous retrouver mis à l’amende dans la prochaine criée. Pour ne pas avoir à expliquer, à des personnes qui ne veulent clairement pas l’entendre, en quoi il était question d’antisémitisme. Pour ne pas avoir à faire face à un interrogatoire de bonne radicalité militante opposant lutte anti-colonialiste et lutte contre l’antisémitisme. Et pour mille raisons encore, on s’est tus. Combien étions-nous à identifier le caractère antisémite de cette agression ? Nous ne le saurons jamais. Mais nous serons tous persuadés d’avoir été le seul. Parce que personne ne l’a dit publiquement.
Les choses ont-elles changé depuis 2017 ? A-t-on pris au sérieux les agressions antisémites aux UEEH ? Rien ne l’indique. En 2019, un énorme travail de définition et de prise en charge du racisme à été mené. Presque deux ans de réflexion en commission pour sortir des outils et une brochure sur le privilège blanc. Un vrai sujet important, qui aurait mérité de mentionner au moins une fois l’antisémitisme. Mais, pas une seule fois le terme n’apparaît dans la brochure. Les juifs subissent-ils le racisme ? On n’en sait rien. Ce n’est pas le sujet visiblement. La meilleure façon de ne pas se saisir des problèmes d’antisémitisme, c’est encore de ne pas le considérer comme un racisme à part entière.
Dans vos échanges avec les JJR, on lit qu’aux UEEH ces dernières années des personnes juives auraient été exclues d’espaces en non-mixité racisé.es. Mais, peut-on vraiment s’en étonner ? Pas vraiment, non.
Vous, la team d’orga des UEEH 2024, avez récemment été call-out pour antisémitisme. Ceux qui vous ont call-out ont fait ça bien : ils ont fourni 24 pages de mails pour preuve. Il faut dire qu’on a très rarement autant de matière pour se positionner. Cette fois, on peut facilement se faire un avis seul. Je ne suis pas dans le secret de l’orga et ne sais rien d’autre que ce qui a été publié en ligne ici, ici et ici.
Selon le collectif Juifs et Juives Révolutionnaires vous avez à plusieurs reprises, exigé d’eux une position moins ambiguë concernant Israël. Ça commence assez mal. Parce que cette exigence ne s’applique clairement pas aux autres intervenants invités. Et cette exigence, qu’ils se positionnent en tant que collectif juif antiraciste sur la situation en Israël/Palestine, a déjà quelque chose de borderline. Mais passons. Ce qu’il y a d’autrement embêtant, c’est que vous leur demandez de clarifier leur position, alors qu’elle est on-ne-peut-plus claire. Pas du tout ambivalente : JJR est opposé à la politique de colonisation de la Cisjordanie, en appelle au démantèlement de toutes les colonies, revendique le cessez-le feu depuis les premières frappes à Gaza en octobre dernier, exige la fin du blocus de la bande de Gaza, la libération des prisonniers palestiniens, l’arrêt des massacres. Ils considèrent que Netanyahu mène une politique fasciste et nationaliste, et que son gouvernement est d’extrême droite. Ça n’a rien d’ambivalent. C’est même limpide. Ça ne vous suffit visiblement pas. Vous leur demandez de se positionner en des termes qui ne leur conviennent pas : sont-ils anti-sionistes et anti-impérialistes ? Ils vous répondent clairement. Non, ils ne revendiquent pas ces termes, parce qu’il existe, parmi les mouvements qui les revendiquent, des énormes tendances antisémites auxquelles ils ne veulent pas être affiliés. Mais ça ne vous convainc visiblement pas. Vous leur demandez s’ils s’opposent à l’existence d’Israël. Ils vous font remarquer qu’on ne pose jamais cette question à d’autre personne qu’à des juif.ves… Après quoi vous estimez qu’il y a incompatibilité entre elleux et vous. Vous mettez un terme à votre collaboration de façon unilatérale. Sans préavis. Mais sans jamais mentionner cette raison pour motiver votre refus. Vous dites que vous n’êtes pas capables de répondre aux demandes des JJR… et que vous n’êtes pas d’accord avec certaines de leurs exigences. Mais vous omettez tout différend concernant Israël/Palestine. Comme si votre refus n’avait rien à voir avec votre anticolonialisme.
Comme si vous n’aviez jamais versé dans le propos antisémite.
Demander à un groupe antiraciste juif s’il est contre l’existence même d’Israël je dois vous dire, que ce n’est pas vaguement antisémite… On est dans le dur de l’antisémitisme : l’éradication physique ou symbolique des juifs. Ça ne vous semble apparemment pas évident, alors j’aimerais vous donner quelques billes. Que signifie votre question ? S’opposer à l’existence-même d’Israël est-ce une vraie revendication politique ? Si oui, comment voyez-vous ça concrètement ? Je veux dire, à part en optant pour la déportation de 7 millions de juifs ? Parce que concrètement c’est de ça dont on parle, non ? S’opposer à l’existence d’Israël en dissertant sur l’anticolonialisme, c’est facile. Mais si on vous parle de le faire, êtes-vous encore si convaincu ? Qui va le faire ? Vous ? Êtes-vous vraiment prêts à mettre en pratique cette idée ? A opérer une déportation de masse sous couvert d’anticolonialisme ?
Vous ne demandez pas : considérez-vous l’État d’Israël comme un État colonial ? Ou bien dénoncez-vous l’Apartheid en place dans la société israélienne ? Ça peut se défendre sans soucis. Non, vous défendez purement et simplement la fin d’un foyer juif en Palestine. Et certains d’entre vous considèrent apparemment que cette position est le socle nécessaire à une collaboration avec les UEEH.
Maintenant demandez-vous, s’il vous plaît, combien de militants antiracistes en lutte contre l’antisémitisme pourraient vous répondre : oui, je suis contre l’existence de l’État d’Israël ? Combien ne verraient pas là une prise de position antisémite qui incite à une violente déportation de masse ? Et en quoi auraient-ils vraiment tort ?
À vous lire, vous semblez n’avoir aucune idée des représentations antisémites contemporaines. Les discours d’extrême droite ne sont pas les seuls à porter des projets antisémites d’éradication des juifs. Des positions antisionistes servent régulièrement des projets effroyablement similaires. Or vous semblez totalement ignorer cet état de fait. Et votre ignorance se nourrit malheureusement elle-même, puisque vous préférez annuler la venue de personnes formées sur le sujet plutôt que de vous confronter à la critique de vos positions.
Personne n’exige de vous d’être hyperformés sur tous les systèmes d’oppressions. Personne n’exige de vous d’être exempts de biais racistes. Ce qui est attendu de vous, vous le dites vous-même dans votre brochure antiraciste, c’est :
« Si une personne qui subit une forme de racisme que tu ne vis pas, souligne un comportement oppressant chez toi, fais-lui confiance. Même si tu ne comprends pas tout de suite. Même si la façon dont elle l’a dit t’a paru inappropriée. De par son vécu, elle est plus compétente que toi dans ce domaine, exactement comme c’est le cas pour toi si t’es gouine et que tu parles d’homophobie avec un·e hétér*.
Ce qui compte, à ce moment, ce n’est pas de sauver ta face en clamant ton « innocence », mais de prendre la responsabilité de tes actes et de respecter le ressenti de l’autre. Avoir fait ou dit quelque chose de raciste ne fait pas de toi un monstre, mais il faut assumer ce qu’on fait au lieu de se justifier et de tout ramener à soi. Parfois des excuses sincères suffisent. Parfois il y a besoin d’une distance et d’une séparation des espaces. Parfois un processus de médiation est demandé. Chaque situation est particulière et demande une réaction appropriée, il n’y a pas de mode d’emploi, et la personne que t’as blessée n’a pas l’obligation de t’expliquer ce que tu dois faire pour réparer. C’est à toi de te remettre en question, prendre du recul sur ton égo et tenter des pistes, quitte à te tromper et à demander de l’aide. Dans tout ça, se victimiser ou s’auto-flageller concentre toute l’attention sur son propre égo et évite donc de prendre la responsabilité de ses actes. »
Ce n’était pas vraiment la démarche adoptée par votre « Nous vous avons dit non à plusieurs reprises, nous vous remercions par avance de respecter notre non qui est ferme et définitif. ». C’est même le genre démarche que vous semblez refuser, quand les JJR vous demandent quelques garanties que leur parole sera soutenue par l’orga. (Ce sont des demandes qui mériteraient d’être nuancés, mais vous ne le faites pas dans votre brochure, alors pourquoi attendre de JJR une autre position ?)
Mon premier espoir, en écrivant cette lettre, c’est que celleux qui parmi vous ont trouvé votre réaction problématique mais n’ont rien dit se disent qu’il n’y avait aucune raison de se taire. Qu’il n’y a aucune raison de sombrer dans un purisme rance sur la question de la Palestine, pas plus que sur une autre. Qu’il n’y a aucune raison de laisser quelques allumés porter des positions intenables au nom de toute l’orga. Que les postures pseudo-radicales ne sont pas immunisée contre les positions oppressives. Et que si quelqu’un se lance dans leur critique, il y a des chances qu’il soit entendu.
Votre réaction, privée autant que publique, n’a pas été à la hauteur. Vous avez décidé de justifier votre refus en occultant complètement la question d’Israël/Palestine. Sûrement saviez-vous que c’était un sujet glissant sur lequel il ne vaut mieux pas trop s’aventurer. Vous avez sorti de leur contexte des vieux échanges avec JJR, et les avez tournés à votre avantage. Ça manque de sincérité et de transparence cette façon de faire. Vous auriez certainement pu réagir autrement… Et éviter de : 1- faire un procès en radicalité anti-colonial à des militants antiracistes, 2- leur demander en creux de ne pas venir parler d’antisémitisme cette année (en ajoutant que d’autres le feraient). Il y avait mille meilleures façons de réagir, qui ne vous amenaient pas à vous enliser dans la victimisation et le déni d’un racisme crasse.
Cette lettre, je l’écris en n’ayant pas lu l’ensemble de vos échanges avec les JJR, mais seulement ceux qui ont été rendus publics. Sur certains positions, je me base sur les résumés que les militants de JJR font de vos échanges. Peut-être ces résumés sont-ils orientés. Mais sans garantie, j’ai pris le parti de les croire. Comme on croit a priori quelqu’un qui a subit une agression raciste sans remettre en question sa version. Si j’ai mal compris certaines situations, j’en suis d’ores et déjà désolé.
Cette lettre, je l’écris pour vous dire que vous avez merdé dans les grandes largeurs. Et que j’espère que vous ferez mieux la prochaine fois. Je ne suis pas le premier ni le dernier à vous tenir rigueur de vos actes. Par le passé, vous avez déjà relevé tellement de défis, de conflits, de tensions (non sans y laisser des plumes). Vous accomplissez chaque année un travail monstrueux pour organiser un événement phénoménal. Vous critiquer publiquement ne signifie pas que l’on souhaite que tout cela cesse. J’espère que vous n’en douterez pas.
En vous souhaitant bon courage pour l’organisation de la prochaine session,
Tal
*criée = Annonces publiques faites anonymement. Chacun peut poster un message dans une boîte, et on se rassemble chaque soir pour les écouter. Des déclarations d’amour aux coups de gueule, en passant par des annonces d’ateliers, la criée est le lieux de beaucoup types de messages différents. On les écoute généralement sans réagir. Contrairement à une assemblée, une criée ne permet pas de se concerter ou de s’organiser.
NB: les blogs des deux groupes politiques concernés par ce texte sont https://www.ueeh.net/fr/accueil/ et https://blogs.mediapart.fr/juives-et-juifs-revolutionnaires/blog/billets_blog
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