A propos de l’exclusion de camarades juif·ves et trans des UEEH

Chaque année ont lieu d’abord à Marseille puis aux environs de Toulouse, les UEEH (pour Universités d’Eté Euro-méditerranéennes des Homosexualités), rendez-vous incontournable des queers désireux·ses de s’organiser en autogestion à un niveau international. Les UEEH durent deux semaines chaque été et permettent aux personnes qui y participent de se rencontrer, de participer à des ateliers pour gagner en connaissance/compétence sur de nombreux sujets politiques. C’est aussi historiquement un espace de débats et d’engueulades, un espace où les grands sujets de l’année sont abordés. Un espace où se nouent des projets, des luttes, des solidarités, des intimités, des amitiés et des amours, un espace précieux pour de nombreuses personnes queer trop souvent en proie aux discriminations les plus veneres.

Oui mais voilà, depuis un moment, chaque année des problématiques autour du racisme émergent et peinent à se conclure de manière satisfaisante. L’an dernier, par exemple, des participant·es avaient gueulé contre la négrophobie de certain·es participant·es arabes, ce qui avait créé beaucoup d’effroi dans le logiciel binaire d’une lecture réductionniste du racisme (on est concerné·e et pas raciste ou on est blanc·he et raciste).

Cette année, le problème a commencé plusieurs mois avant le début des UEEH (qui démarrera, le 09 août 2024), et les organisateur·ices tentent depuis de l’étouffer. Ainsi, les UEEH ont décidé de l’exclusion de deux camarades trans et juif·ves de Toulouse, deux camarades qui s’organisent dans la lutte antiraciste depuis près de quinze ans et ont apporté à leurs différents collectifs/associations féministes / queers énormément sur les questions de lutte antiraciste et antifasciste.

Ces deux camarades, par ailleurs membres de Juives et Juifs révolutionnaires, avaient été initialement contacté par des membres des UEEH qui s’occupent de programmer des ateliers en amont de l’édition (il est possible de proposer des ateliers de façon autogérée aussi pendant l’édition). La montée de l’antisémitisme dans le monde, le fait que de nombreuses personnes juives aient rapporté avoir vécu des formes de discriminations et d’exclusion aux UEEH, les avaient décidé à proposer des ateliers sur cette question. Oui mais voilà, dès que le nom « JJR » a été prononcé, iels ont montré de la défiance envers nos camarades, immédiatement jaugé·es, suspecté·es. Il s’en est suivi trois mois de dialogue, d’échange d’arguments, de réunions zoom, de mails. Nous avons vu nos camarades tout donner pour défendre leurs opinions avec pédagogie, précaution, dans une recherche permanente de concessions, alors même que l’antisémitisme explosait de toute part et qu’elleux-mêmes le vivaient de manière forte dans leur vie personnelle (sous formes d’agressions verbales, de rejets, d’exclusions). A l’issue de tout ce travail, un accord apaisé et enthousiaste avait été trouvé, nos camarades ayant proposé trois ateliers aux UEEH : 1) l’affaire Dreyfus et ses conséquences dans le monde ; 2) l’antisémitisme soviétique, 3) le négationnisme à gauche dans les années 70. Nos camarades n’avaient nullement l’intention de participer à des débats sur Israël/ Palestine. Iels savaient que d’autres collectifs et individus avec lesquels iels étaient en fort désaccord politique seraient présent·es, iels savaient qu’il y aurait des personnes antisémites présentes aux UEEH, mais n’ont jamais exigé l’exclusion de qui que ce soit, simplement des garanties sur leur sécurité. Finalement, malgré cet accord avec la Commission Educ Pop et une organisation trouvée, lorsqu’elle a été présentée à d’autres membres de l’orga des UEEH (ne faisant pas partie de cette commission), plusieurs se sont opposé·es vivement à la venue de nos camarades, arguant que « JJR divisait la gauche ». (On parle d’un groupe en non-mixité juive dont les articles doivent être lus par 200 personnes à tout péter, c’est leur prêter beaucoup de pouvoir ! et depuis quand dénoncer l’antisémitisme y compris celui présent dans des groupes de gauche divise la gauche ? à ce moment-là gardons nos violeurs, nos dieudonnistes et nos islamophobes pour ne pas « se diviser »). Nos camarades ont appris la nouvelle sur une conversation signal, les auteurs de la nouvelle quittant immédiatement le groupe, marquant ainsi l’impossibilité de toute discussion.

Quelles est la conséquence d’une telle exclusion, sur deux personnes trans et racisées, luttant dans nos milieux depuis si longtemps ? La première est une conséquence majeure sur leur santé mentale, mais aussi un risque matériel d’isolement d’une communauté à laquelle iels appartiennent et dont iels ont besoin. Bien sûr, on voit d’ici les critiques poindre, qui vont dire que les Juif·ves se victimisent et font du « ouin-ouin ». On voit bien là une idéologie à deux vitesses : si on se pose la question en ce moment dans nos milieux « est-ce bien d’exclure des personnes agresseuses sexuelles de nos communautés queer car c’est souvent cher payé pour elles et ça produit des conséquences pires que la justice patriarcale », on devrait pouvoir concevoir que virer deux personnes concernées par l’antisémitisme, appartenant à la gauche radicale, à cause de leurs positions fermes contre l’antisémitisme, soit un problème majeur. Mais ici… point de compassion, point d’empathie, comme trop souvent cette dernière année à l’égard des personnes juives. Depuis, JJR national a tenté de comprendre les arguments des organisateurs des UEEH, mais force est de constater qu’il n’y en a pas, à part une diabolisation de ce collectif qui lutte contre l’antisémitisme d’où qu’il vienne depuis plus de 10 ans. On fait comme si ses membres défendaient le génocide palestinien, ce qui ne résiste pas à l’examen des faits et des nombreux articles qu’iels ont produit, appelant à la fin des massacres et au cessez-le-feu dès les débuts des conflits au Moyen-Orient et régulièrement par la suite.

Nous, collectif juif toulousain antifasciste, apportons tous nos soutiens à ces deux camarades, ainsi qu’à toutes les personnes juives et queers qui ont été exclues, rejetées, diabolisées cette année. Nous appelons les organisateur·ices des UEEH à l’introspection et à la mise au travail sur leur antisémitisme ainsi qu’à la réparation morale et matérielle envers nos camarades. Nous invitons par ailleurs l’ensemble des participant·es actuel·les ou passé·es des UEEH à faire acte de protestation, en boycottant cette édition ou en demandant des comptes. Aucune des personnes juives de notre organisation ou des JJR ne pouvant désormais venir aux UEEH au vu de ces faits gravissimes, nous craignons la création d’un narratif unique et à charge duquel nous ne pourrions pas nous défendre, d’où le choix d’écrire ce texte public.

Nous avons anonymisé·es tous les échanges écrits et les CR de réunion qui ont eu lieu (en PDF). Nous rappelons que la divulgation des identités de nos camarades, pour qu’elle que raison que ce soit, est proscrite pour des raisons évidentes de sécurité. Merci d’adresser vos questions sur :

lutte-antisemitisme-toulouse@riseup.net

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