Traduction française du texte « Betrayal – a critical analysis of rape culture in anarchist subcultures«

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texte (via Le trou du lapin) :

Trahison

Une analyse critique de la Culture du Viol dans les sous-cultures anarchistes

Note à l’attention des personnes qui nous lisent:

On a en marre des notes. Ça nous fait chier de devoir présenter des justifications et des excuses pour nos mots avant même qu’on les ait prononcé. Ça nous fait chier que les discussions sur le viol et les agressions sexuelles soient devenus aussi spécialisées. On se sent embarrassées et insultées qu’on ait besoin d’indiquer en permanence qu’on ne parle pas au nom de toustes les survivant-es, comme si c’était quelque chose qui était même possible. Bien sûr on apprécie un trigger warning bien placé. C’est la chose à faire. Mais quand des tentatives fanatiques d’éviter de se trigger les unes-les autres  servent d’outils pour rejeter et cantonner les discussions sur la violence interpersonnelle aux marges, pour placer le problème dans une petite boite qui est uniquement sortie pour les occasions spéciales quand l’illusion de la « sûreté » peut être garantie, et bien… là ça commence à bien nous faire chier. Si on parle de nos oppressions uniquement quand on se sent « safe », on restera toujours dans le silence. Si on ne peut pas apprendre à travailler à travers le fait d’être trigger entre copaines et camarades, on sera pas prêt-es en leur absence. Tout cette conversation est imprégnée d’une atmosphère de nervosité, et on défère au conseil de spécialistes en partie par peur de dire les mauvaises choses. Mais tout ce dont on parle c’est de nos propres expériences, un sujet sur lequel c’est nous qui avons l’expertise. Donc on désire ardemment voir venir le jour où on aura pas besoin de se couvrir de notes, avertissements, ou toute autre bannière de ce style.

Mais en même temps on reconnaît qu’on en est pas encore là. Ces sujets sont tellement chargé, et le soutien disponible si limité, que nos mots détiennent un potentiel énorme à faire du mal. Donc en attendant on doit faire attention à quand on parle, pour ne pas devenir les alliées involontaires des forces auxquelles on veut s’opposer. Avec ça en tête, on offre quelques clarifications avant de commencer…

Certain-es des auteurs de ce texte sont des survivant-es, d’autres réfléchissent sur leur propre rôle en tant que personnes qui ont été abusives par le passé, mais nous partageons tous-tes un engagement dans la lutte contre la culture du viol. Quand on dit « nous », on ne fait pas référence aux « survivant-es », ou même aux auteur-ices du texte, mais à toutes les personnes qui sont d’accord avec les déclarations que l’on fait, et plus largement toutes les personnes qui se voient comme faisant partie de cette lutte. Il y a sûrement des survivant-es dont les expériences vont apparemment contredire les arguments faits ici. Mais bien sûr les exemples cités à travers le texte ne sont pas faits pour être exhaustifs ou globaux. Nous ne voyons pas nos propres expériences comme meilleurs exemples des expériences de toustes les survivant-es, ou même de la plupart des survivant-es. Par contre elles procurent des exemples de comment la Culture du Viol s’est matérialisée dans nos vies, au point qu’il nous semble important de les partager.

On pourrait, à juste titre, nous critiquer de notre focalisation forte sur le milieu anarchiste, auquel il est évident que la plupart des survivant-es ne s’identifient pas. Mais nous ne voyons pas beaucoup d’utilité à essayer de nous étendre au-delà de nos propres expériences afin de devenir plus « pertinent-es ». Nous espérons également qu’une analyse du pouvoir et de la lutte peuvent offrir un cadre d’analyse utile pour déconstruire le fonctionnement de la Culture du Viol, et qu’elle pourrait procurer des notions à des personnes qui ne sont pas familières avec la sous-culture anarchiste. Nous pensons que les dynamiques décrites ici peuvent trouver échos dans d’autres milieux également.

Notre cher lectorat aura remarqué que nous avons choisi un langage genré neutre1 à travers le document. Bien sûr la majorité des personnes survivantes sont des femmes ou des personnes qui ne rentrent pas dans les normes patriarcales d’identité de genre tandis que la majorité des perpétrateurs2 sont des hommes cis-genrés. La neutralité de notre langage occulte non seulement la nature systémique de ceci mais aussi la manière avec laquelle la violence interpersonnelle a été, de manière constante, un outil d’invasion coloniale, d’occupation impériale et de maintien de la suprématie blanche. Il occulte la manière avec laquelle la lutte contre la violence interpersonnelle a été historiquement récupérée par des féministes blanches de classe-moyenne, laissant les femmes racisées, les femmes pauvres, les personnes queers et trans avec accès à moins de soutien et de ressources. Notre intention n’est pas de dépolitiser la nature de la violence interpersonnelle avec un langage genré neutre (quand on parle des questions de genre, on est certainement pas neutres !). Mais, ayant dit cela, nous souhaitons aussi reconnaître que des personnes de toutes les identités et de tous les parcours de vie peuvent être à la fois survivant-es et perpétrateur-ices, voire les deux en même temps. Nous ne voulions pas que celleux dont les expériences ne rentrent pas parfaitement dans les binarités oppressives se trouvent encore plus marginalisé-es ici.

Enfin nous offrons quelques définitions, non pas pour imposer comment les mots doivent être utilisés, mais pour que notre utilisation de ces derniers soit comprise ici.

Culture du Viol – Une culture qui cherche à excuser, tolérer, normaliser et encourager la violence interpersonnelle.

Violence Interpersonnelle – Un terme fourre-tout utilisé généralement pour décrire différentes formes de violence qui sont infligées sur une base interpersonnelle, mais qui prennent racines dans de vastes systèmes de pouvoir. Le viol, l’agression sexuelle, le harcèlement sexuel, ainsi que l’abus sexuel, physique et émotionnel au sein de relations sont tous des exemples de violence interpersonnelle.

Survivant-e – Une personne qui a vécue ou vit de la violence interpersonnelle, définit par lea survivant-e ellui-même.

Perpétrateur-ice – Une personne qui a infligé de la violence interpersonnelle sur une ou plusieurs personnes, définis par lea ou les survivant-es elleux-mêmes.

Autonomie de Survivant-e – Le fondement théorique sur lequel la plupart du travail de soutien radical est basé. L’autonomie des survivant-es est le l’idée qu’un-e survivant-e devrait se voir fournit le pouvoir et l’autonomie de décider par ellui-même comment gérer sont propre trauma, et le rôle des soutiens est d’encourager et d’empouvoirer cette autonomie. Ceci se tient en contraste des autres approches qui ne voient pas lea survivant-e comme ayant la meilleure compréhension de ses propres besoins ou qui ne reconnaîssent pas que les survivant-es ont des besoins qui sont tous uniques et vraiment différents mais cherchent à la place à imposer la bonne manière de soigner la personne.

Apologue – Une personne qui, à travers des actions ou des inactions, cherche à maintenir le pouvoir de lea ou les perpétrateur-ice(s) et/ou le manque de pouvoir d’un-e survivant-e(s), renforçant ainsi la Culture du Viol.

Processus de responsabilisation(accountability process dans le texte original) – un processus à travers lequel un-e perpétrateur-ice essaye de se rendre responsable et d’assumer face aux personnes qu’ellui a blessé, et engage un processus d’auto-réflexion avec pour but ultime de faire des changements à long-terme sur son comportement.

Il semblerait qu’à travers le milieu anarchiste, à chaque tournant, on trouve une communauté en train d’être ravagée par le viol, l’agression sexuelle et l’abus. Ces cycles ne sont ni nouveaux ni exclusifs aux anarchistes. Au premier abord il semble surprenant que nos communautés se trouvent au moins aussi vulnérables que toutes les autres. Après tout est ce qu’on ne commence pas notre réflexion politique avec une opposition à la domination, sans laquelle la violence interpersonnelle ne pourrait pas exister ? Et pourtant, la chose qui unit toutes ces communautés ensemble, une praxis ou analyse politique commune partagée, est souvent le point faible des réponses anarchistes à la violence interpersonnelle. Malgré le fait de former une communauté qui a une nature explicitement politique, les anarchistes dépolitisent souvent la violence interpersonnelle et la divorcent de ses racines systémiques. Par exemple, le besoin de bonnes pratiques de consentement peut souvent être confondus avec la croyance dans le fait qu’informer les gens à propos du consentement va transformer nos communautés, comme si le viol était la conséquence de l’ignorance et de la mauvaise information, plutôt que de structures de pouvoir profondément ancrées. Les stratégies que les anarchistes ont adoptés, telles que les processus de responsabilisation, vont souvent échouer à adresser la violence interpersonnelle présente chez nous.

L’échec apparent des processus de responsabilisation à transformer nos communautés est généralement vu hors du contexte environnant de cet échec, sans examiner les forces sociales plus larges qui y ont contribué. Cette omission est un résultat du processus de responsabilisation et aussi un préalable à ce dernier. Le processus de responsabilisation rétrécit notre focus ; il va à la fois nous confronter à de vastes systèmes de pouvoir tout en nous confortant dans l’idée que gérer des instances individuelles va les déconstruire. On parle de patriarcat, colonialisme, hétérosexisme, mais on ne gère qu’un-e perpétrateur-ice unique. Dans nos conversations lambda, on s’accorde sur le fait que « le pouvoir ne cède à rien sans la menace de la force », pourtant nos tentatives de responsabiliser les gens prennent généralement la forme de la persuasion morale, s’appuyant sur des notions libérales bourgeoises de choix. Comme si nos choix étaient autre chose qu’une réaction calculée aux conditions matérielles dans lesquelles nous nous trouvons. Bien sûr un-e perpétrateur-ice choisit de s’engager ou non dans un processus de responsabilisation, mais qu’est-ce qui rend ce choix possible ? Quelles conditions ont alimentées ces sentiments d’être dans son bon droit par rapport à une autre personne ? C’est ces conditions qui, lorsqu’elles sont vues sur le terrain de la lutte, doivent être reconnues pour ce qu’elles sont : le territoire ennemi. C’est à partir de cette réalisation que nous tentons de lancer notre assaut.

Insister que la violence interpersonnelle est perpétuée par plus que seulement les perpétrateur-ices ne vise pas à écarter la question de leur responsabilité. Au contraire, c’est une reconnaissance des facteurs nombreux qui permettent à ces personnes d’échapper à leur responsabilité. Tout comme le jeune friqué nécessite un système social vaste et complexe pour masquer les conséquences négatives de son style de vie destructeur, un-e perpétrateur-ice qui refuse la responsabilisation est souvent mis dans une position de confort par un réseau de relations similaire. De tels réseaux ne sont pas uniquement composés de celleux qui vont défendre explicitement lea perpétrateur-ice, mais de toustes celleux qui vont s’assurer que la balance des pouvoirs demeure penchée en leur faveur. Ce à quoi ceci ressemble va varier. Réduire au silence, réprimer, faire de la récupération, parfois une combinaison de plusieurs de ces méthodes sont utilisées contre les survivant.es et leur lutte. Le facteur définissant sera toujours ce qui va reproduire la culture du viol le plus efficacement.

RÉDUIRE LA LUTTE AU SILENCE

« à la fin ce ne seront pas des mots de nos ennemis dont nous nous souviendrons, mais du silence de nos amis. »

L’expression de réduction au silence3 a été popularisée dans nos communautés mais avec une définition très limitée. Dire qu’un-e survivant-e ment, évoquer ses expériences sexuelles, déviances et styles vestimentaires afin de rejeter la faute sur ellui, ou d’insinuer plus généralement qu’« ellui l’a bien cherché » sont tous des comportements que la plupart des anarchistes réprouveraient, bien qu’elleux prennent rarement la peine de les confronter directement. Cette hypocrisie indique un problème plus grand, révélé lorsque l’on observe nos conceptions de ce qu’est une « réduction au silence ». Les exemples au dessus ne s’appliquent qu’aux survivant-es qui ont dénoncé leurs aggresseur-euses, ou qui ont parlés de manière ouverte de leurs expériences. Mais bien sûr beaucoup de survivant-es n’arrivent même pas à ce stade.

Donc qu’est-ce qui les réduit au silence? Est-ce que c’est les autres membres du groupe affinitaire, qui maintiennent une fausse séparation entre les luttes contre l’État et les luttes contre les autres systèmes de pouvoir (surtout ceux dont elleux bénéficient) ? Est-ce que c’est les colocs qui ne parlent jamais des dynamiques foireuses par peur de « trigger » quelqu’un, comme si offrir son soutien pouvait être plus « triggerant » qu’une isolation totale ? Est-ce que c’est les autres personnes venues voir le concert qui voient la lutte comme mesquine, trop personnelle, ou juste du « drama », comme si un-e survivant-e qui lutte contre son oppression est juste une personne qui aime faire du drama ? Est-ce que c’est les autres membres du collectif qui regrettent de ne pas être dans le bon état d’esprit pour offrir un soutien mais qui sont dans le bon état d’esprit pour continuer à traîner avec l’agresseur-euse ? Est ce que c’est la connaissance qui dit ne pas pouvoir confronter la personne abusive parce qu’ellui n’est pas saon pote, ou bien la connaissance qui dit la même chose parce que c’est un-e pote ? Est-ce que c’est les personnes qui organisent l’événement et qui disent ne rien savoir tout en faisant tout ce qui est en leur pouvoir pour ne pas avoir à savoir ? Est-ce que c’est lea membre du groupe de musique qui dit être capable de voir des problèmes des deux côtés de l’affaire, ou qui refuse de prendre parti tout court, en faisant comme si on n’était pas au milieu d’une putain de guerre ? On a vu des apologues du viol mettre l’Autonomie des Survivant-es sans dessus dessous, déclarant n’avoir jamais reçu d’instructions explicites de la part de survivant-es, et qu’ainsi il était évident qu’elleux n’avaient pas d’autres choix que de continuer leur amitié avec l’agresseur-euse ! Peut-être que ce n’est pas le silence des survivant-es mais de toustes celleux autour qui est vraiment révélateur. Avec personne pour dire le contraire, un-e survivant.e ne peut que partir du principe qu’ellui subira le même traitement que toustes les autres survivant-es avant ellui.

Si on agrandit notre définition de « réduire au silence » pour qu’elle implique tout ce qui fonctionne à maintenir ce silence, alors on ne fait plus juste référence à quelques remarques insensibles et dégoûtantes. À la place on implique la totalité de notre culture dans la question.

Alors qu’en est-il de la responsabilisation ? L’abus, l’agression, un manque total de responsabilité ; tous sont une routine dans le monde tel qu’on le connaît. Mais la normalité est maintenue plus efficacement à travers l’apathie des masses qu’à travers la brutalité de leurs maîtres. Bien que la violence offre une fondation sur laquelle la Culture du Viol peut se reproduire, elle pose également certains risques ; elle peut créer des expériences partagées et des liens de solidarité, des délimitations de conflits rendues plus explicites et claires, des personnes plus promptes à se défendre. Le processus de normalisation cherche à endiguer ces risques en rendant la violence invisible. Les apologues explicites, les couillons qui disent « salope » comme si c’était une mauvaise chose et qui pensent que l’agresseur-euse est la victime, ne font pas autant pour normaliser que leurs complices plus subtiles, celleux qui maintiennent un silence total sur le sujet. Ces apologues plus sophistiqués partagent leur temps et espace avec lea perpétrateur-ice ; elleux marchent à ses côtés dans des manifs et dansent avec ellui à des soirées, sans jamais parler de la violence interpersonnelle. Quand elleux sont forcés de parler du sujet, iels soupirent et disent « c’est compliqué… ». Iels peuvent même affirmer être dégoûtés par la violence, mais elleux sont surtout tristes que tu aies foutus en l’air leur événement pour confronter le problème directement. Iels se lamentent « si seulement j’avais su ! », tout en gardant, intentionnellement, leur tête enfouie dans le sable.

DÉCHAÎNER LA RÉPRESSION

Ce complot du silence ne cherche pas seulement à mettre fin à la lutte d’un-e survivant-e avant même qu’elle n’ait commencée, mais aussi à procurer le contexte nécessaire de ce qu’il arrivera aux quelques survivant-es qui refusent d’être muselé-es. Qu’un-e survivant-e parle ouvertement de ses expériences dans un tel climat ne peut être vu que comme un acte de résistance, et comme pour tout acte de résistance, la répression est un résultat probable. Cette répression est plus nuancée que les tonfas d’officiers de police ou les pistolets de soldats, bien que ces derniers aient également été déployés contre des survivant-es. Ici les forces répressives ont plus de chance d’être mentalement et émotionnellement dévastatrices. Les agents d’une telle répression ne nous apparaissent pas à travers les uniformes et badges habituels, mais en tant que nos supposés camarades et ancien-nes potes. Beaucoup d’entre nous avons l’habitude de voir seulement la police dans ce rôle répressif4, et bien sûr elle a aussi son rôle à jouer dans la reproduction de la Culture du Viol. Mais dans nos propres communautés radicales, le rôle de l’État dans cette reproduction semble sous-estimée. Après tout, il y a peu d’utilité pour l’État de dépenser des ressources quand tant d’anarchistes auto-proclamés sont prêt-es à faire le boulot gratuitement.

Celleux qui doutent de la brutalité de cet appareil répressif interne n’ont généralement pas été les cibles de celle-ci. Les « communautés » vers lesquelles des gens se tournent si souvent avec l’attente d’un soutien sont plus souvent mobilisées contre les survivant-es et au service de leurs perpétrateur-ices dans une contre-attaque époustouflante. Il est difficile d’illustrer proprement ce que beaucoup de survivant-es ont dus endurer aux mains de leurs supposés camarades anarchistes. Appeler ça une « campagne de diffamation » est un euphémisme. Bien sûr parler de généralités ne permettra jamais d’englober toutes les complexités de l’expérience d’une personne, mais il y a beaucoup de schémas que l’on peut identifier à l’intérieur du milieu anarchiste, et chacun d’entre eux reproduit fidèlement des schémas de la culture environnante.

Un exemple frappant est la diffamation contre lea survivant-e. Aucun aspect de sa vie n’est épargné de surveillance et d’examen, à la recherche de n’importe quel détail pouvant être utilisé contre iel. Ces détails, authentiques ou fabriqués si besoin est, sont souvent utilisés afin d’invalider ses expériences de violence et afin de valoriser lea perpétrateur-ice. Peu de gens seront assez maladroits pour accuser frontalement un-e survivant-e de mentir, bien qu’il y ait plus d’anarchistes autoproclamés prêts à faire cela que nous ne voulions l’admettre. À la place, la plupart utiliseront un ensemble de petites variations afin de dire la même chose. Peut-être qu’un-e survivant-e n’a procuré aucun indice d’abus pendant qu’iel l’endurait, peut-être qu’iel a consentit à quelques activités sexuelles mais pas toutes, peut-être qu’iel avait besoin de temps pour traiter son trauma et ne l’a révélé que graduellement, peut-être qu’iel a ses propres problèmes avec le pouvoir et les limites personnelles. On peut parler encore longtemps, mais bien sûr ce qui est important ce ne sont pas les détails eux-mêmes, mais comment ils peuvent être déformés, pris hors de contexte, ou utilisés pour réduire la crédibilité de survivant-es. Des histoires passées, addictions, mécanismes de survie5, dettes, insécurités ou même l’identité politique d’un-e survivant-e : tout ça c’est de bonne guerre6. Lorsque cette stratégie est victorieuse les survivant-es sont diabolisé-es et leurs agresseur-euses représentés comme les victimes de mensonges et de manipulations. Mais même si cet objectif apparent de discrédit d’un-e survivant-e aux yeux de la communauté échoue, le processus en lui-même peut tout de même être efficace à pousser des survivant.es hors de cette communauté. Savoir, en passant à travers un espace anarchiste, que toutes les personnes dans cet espace ont déjà discuté de ta vie personnelle crée une barrière incroyable, peu importe les conclusions que ces personnes ont tirées. Des survivant-es peuvent se sentir obligé-e d’anticiper cette dynamique en adressant directement leurs critiques. Souvent ceci joue le jeu des demandes de « preuves » ou de détails d’une agression ou d’un abus. L’aspect re-traumatisant de tout ça est une autre attaque à l’encontre de lea survivant-e, et va souvent nourrir plutôt que calmer le conflit.

Alors que les tensions grandissent, elles commencent à déborder dans d’autres arènes. Des partis précédemment sans rapports qui ne connaissent peut-être même pas lea survivant-e ou lea perpétrateur-ice se retrouvent dans le chahut et le travail militant est perturbé. Bien sûr, à ce niveau-là la normalisation a été brisée et l’appareil répressif n’a plus rien à gagner à se retenir. Des anarchistes qui dans d’autres circonstances détestent les politiques libérales se tournent ainsi vers cette idéologie comme renfort. « Ces divisions nous blessent », iels pleurent. Bien sûr lea perpétrateur-ice ou ses actions ne sont pas blâmées pour de telles divisions ; non ça sera plutôt lea survivant-e qui insiste que le trauma qu’iel a vécu ne peut pas être laissé sans réponse, qui sera fustigé-e. Iel est blâmé-e pour avoir polarisé la communauté et avoir affaibli « la lutte ». L’importance de ce dernier point ne peut pas être exagéré. Le comportement indifférent et les moues précédentes de la communauté, qui sous-entendaient que « la lutte » excluait les survivant.es et leurs besoins, sont à présent clarifiés et révèlent qu’en fait ces luttes sont diamétralement opposées. Pour être tout à fait clair, les anarchistes qui sentent que leur lutte est affaiblie/minée par un-e survivant-e sont en réalité engagé dans une lutte contre les survivant-es, ce sont les défenses actives de la Culture du Viol. Elleux vont souvent comparer la lutte de lea survivant-e à une « chasse aux sorcières » quand elleux ont plus en communs avec les bourreaux qu’avec les personnes qu’on amène au bûcher.

Comme mentionné plus tôt, lorsqu’un-e survivant-e est réduit-e au silence, et ses expériences normalisées dans la culture du viol, la répression deviendra redondante. À partir de cela on voit qu’un manque de répression directe, lorsqu’elle est associée à un manque de soutien aux survivant-es et un manque de responsabilisation envers les perpétrateur-ices, n’est pas une indication d’une absence de Culture du Viol, mais de son opposé ; cela révèle que la Culture du Viol est fermement enracinée, comme une occupation qui a été si fermement placée qu’elle rends inutiles les tanks et les soldats.

 

SI TU PEUX PAS LES VAINCRE

Comme évoqué auparavant, ces mesures répressives peuvent effectivement briser les rangs des apologues du viol, même les plus modérés, affaiblissant ainsi le front commun levé contre lea survivant-e. En même temps, des mesures répressives sont jugées au moins nécessaires quand le processus habituel de normalisation est brisé. Ceci pointe en direction d’une des plus grandes contradictions à l’intérieur de la Culture du Viol : la violence sur laquelle elle s’appuie afin de se reproduire révèle et expose également sa vraie nature à tous-tes. Cette contradiction est résolue par des forces de récupération à l’intérieur des communautés radicales qui cherchent à instrumentaliser le soutien aux survivant-es afin de le rediriger contre ces dernièr-es. Beaucoup affirmeront soutenir un-e survivant-e tout en réduisant son autonomie. Ceci est généralement accomplis en limitant l’étendue des réponses possibles de lea survivant-e afin d’en exclure toute chose qui pourrait potentiellement déranger la paix sociale. Ces faux partisans travaillent dur à présenter l’image d’une communauté solidaire, et empêchent ainsi par là même le moindre engagement critique avec le principe de communauté. Leurs outils sont le langage et le cadre organisationnel forgés par des survivant-es et leurs soutiens, appropriés afin de servir la privation d’autonomie et déformés afin d’usurper la lutte des survivant-es.

À la base, la création de termes et nouvelles grilles de lecture à utiliser était nécessaire, étant donné que le langage permettant aux survivant-es de parler de leurs expériences n’existait même pas. Malheureusement, les mots sont facilement récupérés et on peut ainsi voir les contraintes inévitables à trop s’appuyer sur eux. À une époque, les milieux radicaux soutenaient l’utilisation du terme « perpétrateur-ice » afin d’éviter le stigma de termes plus sévères. Le cadre de la justice restauratrice, autrefois omniprésent, mettait une emphase sur la capacité d’une personne à changer. « Violeur » et « abuseur » ne soulignaient pas bien cette notion, et beaucoup avaient le sentiment que ces termes gardaient les violeurs et abuseurs verouillés dans ces rôles, tout comme faire référence aux survivant-es comme étant des « victimes » les gardaient potentiellement bloqué-es dans un moment de soumission plutôt que de souligner leur force et persévérance. Bien sûr nous sommes à présent face à une nouvelle vague d’activistes anti-violence, qui lamentent la nature stigmatisante du terme perpétrateur-ice, et qui sont à présent en faveur du terme encore plus édulcoré de « personne qui fait du mal ». Peut-être qu’il est temps de se rendre compte que si la capacité à changer des perpétrateur-ices n’est pas reconnue de manière plus générale c’est le résultat de leurs propres actions plutôt que des mots que nous utilisons pour les décrire. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faut pas choisir nos mots stratégiquement ou que nous ne devrions pas les utiliser avec une intention forte, mais seulement que notre obsession apparente pour le langage a des inconvénients sérieux. Au mieux, elle nous laisse piégé-es dans une boucle sans fin à chercher les bons mots à dire plutôt que de parler directement de nos lacunes les plus significatives. Au pire, elle préserve les dynamiques de pouvoir de la Culture du Viol en attribuant la faute aux survivant-es et à leurs soutiens plutôt qu’aux perpétrateur-ices et leurs apologues.

Cette inversion bizarre, où le refus d’un-e perpétrateur-ice de se responsabiliser est vu au moins partiellement comme le résultat de fautes dans la réponse de lea survivant-e, est un schéma récurrent employé par les forces d’instrumentalisation de la Culture du Viol. Il y a des zines et des brochures qui listent des stratégies en direction de la responsabilisation tout en cherchant à éviter de provoquer une attitude défensive chez lea perpétrateur-ice, mais cette approche pourrait être mieux comprise comme des stratégies en direction de la responsabilisation qui cherchent à ménager et accommoder l’attitude défensive d’un-e perpétrateur-ice. La seule chose qu’une telle approche permet d’éviter c’est de reconnaître que dans ces situations se mettre sur la défensive n’est pas quelque chose qui est imposé sur une personne par les autres, mais plutôt une réponse réactionnaire qui doit être comprise et qui nécessite un travail sur soi pour qu’une réelle responsabilisation soit possible. Beaucoup utiliseront le terme de défensif/sur la défensive sans même se demander, « en défense de quoi ? ».

Bien sûr beaucoup de survivant-es qui anticipent cette attitude défensive et l’appareil répressif qu’elle déclenche ont fait bon usage de telles stratégies sur le court terme afin d’initier un dialogue, ou bien pour faire des demandes concernant leur sûreté immédiate et sans but aucun de se transformer en perpétrateur-ices à leur tour. Nous n’avons aucun désir de questionner les choix faits par les survivant-es ou de décourager la dissémination de stratégies potentiellement utiles (car, bien sûr, l’utilité de n’importe quelle stratégie ne peut être décidée que par les survivant-es iels-mêmes). Notre soucis c’est lorsque le fait de faciliter la posture défensive ou des stratégies sous-entendues par celle-ci devient un outil pour les faux soutiens/supporters qui leur permet de limiter les choix possibles à la portée des survivant-es, ou de critiquer les choix qu’elleux désapprouvent une fois qu’un-e survivant-e les a fait. Les discussions sur comment dénoncer un-e perpétrateur-ice sont rarement centrées autour des besoins de lea survivant-e. « Éviter qu’ellui se mette sur la défensive » crée un prétexte permettant de se centrer autour des besoins de lea perpétrateur-ice. Une fois que lea perpétrateur-ice a été dénoncé-e, un cadre similaire est utilisé pour affaiblir le soutien à un-e survivant-e. Les faux partisans nous assurent constamment qu’elleux ne sont pas en colère que lea perpétrateur-ice ait été dénoncé.e, le problème c’est juste la manière avec laquelle la dénonciation a été faite. Le fait qu’un-e survivant-e parle de manière ouverte de ses expériences est pris comme plus violent et controversé que la violence des expériences elles-mêmes, qui demandent apparemment moins de conversation en comparaison. Comment la réponse publique d’un-e survivant-e pourrait refléter ses besoins ne semble pas venir à l’esprit des faux-soutiens étant donnés qu’elleux sont trop préoccupés par leur besoin de préserver une paix sociale artificielle. Une nouvelle fois nous voyons des tendances libérales pointer le bout de leur nez, en effet l’insistance des faux-partisans à dénoncer la résistance des survivant-es ainsi que le fait qu’elleux affirment détester la Culture du Viol tout en fragilisant tout combat contre celle-ci rappelle les libéraux qui affirment être d’accord avec les griefs de manifestant-es tout en condamnant toute action que ces dernièr-es pourraient entreprendre pour adresser ces griefs. Lea libéral-e se plaint que l’intensité et la férocité sabotent la lutte, mais bien sûr l’anarchiste sait que le vrai problème c’est qu’on n’est pas allés assez loin.

Comme mentionné précédemment, tout ceci fait partie d’un schéma plus large de maintien des dynamiques de pouvoir dont la Culture du Viol dépends. Il y a d’innombrables autres exemples. Le processus de responsabilisation peut lui-même être une épée à double tranchant. Les communautés radicales séparent souvent le processus de responsabilisation du cadre plus large de Justice Restauratrice dont il provient, en l’offrant comme seule réponse à la violence intime tout en évitant simultanément d’autres tentatives d’anticiper la violence avant qu’elle ne se produise. Ce faux soutien place les besoins de lea survivant-e en seconde place par rapport à la question de comment gérer un-e perpétrateur-ice, priorisant une fois encore les besoins de lea perpétrateur-ice tout en maintenant le schéma de la domination. Le peu de soutien offert aux survivant-es va souvent répliquer cette même dynamique. Un des modèles de soutien les plus communément utilisés, celui qui consiste à faire des demandes à lea perpétrateur-ice7, laisse une nouvelle fois toute l’agence8 entre les mains de cellui-ci, surtout quand il n’y a pas de plan de secours au cas où lea perpétrateur-ice refuse. Des survivant-es qui sont devenus émotionnellement investi-es dans de tels modèles comme voie vers la guérison finissent souvent dévasté-es lorsque les demandes n’aboutissent à rien, ou pire, lorsqu’elles incitent une nouvelle opposition de la part de lea perpétrateur-ice et des forces répressives. Dans le milieu anarchiste, où il est largement reconnus que les demandes sont essentiellement inutiles sans l’appui et la menace de la force, le fait que ces modèles demeurent est très révélateur.

Ajouté à leur rôle dans un contexte plus large, les mécanismes internes du processus de responsabilisation lui-même ont le potentiel d’être détournés et utilisés contre un-e survivant-e. Le concept d’Autonomie de Survivant-e, qui autrefois formait la fondation théorique du processus de responsabilisation, est souvent mis de côté, transformant le processus en une forme libérale inoffensive de résolution de conflit. En l’absence d’une analyse claire des dynamiques de pouvoir en jeu pour aiguiller le processus, le pouvoir par défaut de lea perpétrateur-ice est évidemment maintenu. Le but est encore la réhabilitation de lea perpétrateur-ice, et plus probablement le maintien de sa participation dans la communauté, mais les faux soutiens qui ont détournés le processus de responsabilisation peuvent maintenant le faire aux dépends de lea survivant-e, définissant de manière égoïste la « réhabilitation » des perpétrateur-ices de la manière qui les arrange. Dans les cas les plus extrêmes, le processus de responsabilisation sera initié à l’encontre des désirs explicites des survivant-es, comme tentative de légitimer lea perpétrateur-ice aux yeux des gens. La prétention d’en faire « une question de communauté »9 permet aux faux soutiens de non seulement saisir le contrôle hors des mains de lea survivant-e, mais aussi de représenter les survivant-es qui refusent de coopérer avec leur propre perte d’autonomie comme entravant la responsabilisation. C’est de là que vient la farce ridiculement commune des faux soutiens qui informent un-e survivant-e que, en vrai, saon perpétrateur-ice a « fait un vrai travail sur ellui-même ».

Dans des cas moins extrêmes, la participation de lea survivant-e sera permise mais uniquement du moment qu’ellui reste à l’intérieur de certains paramètres établis par ses faux-soutiens. Des représailles contre un-e perpétrateur-ice, physique ou autre, sont complètement hors de question. Même des questions de sûreté immédiate, tel que partager un lieu avec un-e perpétrateur-ice, sont soumises à la volonté des faux-soutiens. À nouveau on voit le langage radical retourné contre les survivant-es, alors que leurs demandes pour de l’espace à l’intérieur de leurs communautés sont déformées par des faux-soutiens et comparées au système carcéral (parce que leurs demandes ne font pas de la réhabilitation le but unique, ou parce qu’elles sont une « punition » à l’encontre de lea perpétrateur-ice) ou bien ouvertement désignées comme étant une tentative de « bannir » lea perpétrateur-ice.

Le rôle de lea perpétrateur-ice dans ce processus de responsabilisation déformé10 reproduit également son pouvoir. Dans certains cas ellui a la permission de faire des demandes à lea survivant-e ou en tout cas de placer un critère sur sa propre participation au processus. Les perpétrateur-ices, ou leurs apologues, vont trop souvent répondre aux dénonciations en émettant elleux-mêmes des « dénonciations » défensives. Comme évoqué plus tôt, elleux vont accuser lea survivant-e de tous les méfaits auxquels elleux peuvent penser, ou bien inventer quelque chose lorsqu’il n’y a rien à blâmer. Plutôt que de reconnaître ces tentatives pathétiques de diffamation comme les transgressions manipulatrices qu’elles sont, les faux soutiens vont généralement rejoindre lea perpétrateur-ice dans ces appels absurdes à la « responsabilisation » de lea survivant-e11. Depuis cette nouvelle position de droiture, et avec la complicité des faux soutiens, lea perpétrateur-ice est libre d’altérer la nature même du processus de responsabilisation. Ce qui a commencé comme un call-out légitime devient plutôt une négociation, au fur et à mesure que la coopération de lea perpétrateur-ice finit par dépendre de si lea survivant-e va répondre à ses griefs. Peut-être que certains de ces derniers sont valides, mais bien sûr ce qui est important n’est pas leur validité mais plutôt leur rôle dans la remise en question de la lutte de lea survivant-e. Ellui doit à présent travailler à mériter non seulement que lea perpétrateur-ice se résponsabilise, mais aussi à mériter le soutien qu’ellui reçoit de la communauté. Les survivant-es qui ne veulent ou ne peuvent pas passer à travers les différentes étapes seront écartés. Dans une perversion finale du processus de responsabilisation, lea survivant-e sera cellui qui sera blâmé-e pour l’échec du processus, comme étant la personne qui n’avait pas envie de « résoudre les problèmes ». Arrivé à ce stade le soi-disant cadre de « Justice Restauratrice » a été tellement déformé qu’il a uniquement réussi à « restaurer » les dynamiques de pouvoir de la Culture du Viol qui auraient sinon été compromises par la lutte de lea survivant-e.

MAUVAISES POMMES

Dans les communautés radicales en particulier, les apologues ne vont pas toujours se rallier derrière un-e perpétrateur-ice. Dans certains cas l’aspect contradictoire d’un tel acte serait si évident que même leur propre perception d’elleux-mêmes en tant qu’anarchistes n’y survivrait pas. Une nouvelle fois, l’idéologie libérale arrive à la rescousse. Tout comme des apologues de la violence policière insisteront qu’elle résulte uniquement de « quelques mauvaises pommes » comme excuse pour éviter toute analyse structurelle de la police ou de son rôle dans la société, l’apologue du viol tentera de transformer lea perpétrateur-ice individuel-le en bouc-émissaire, sacrifiant cellui-ci sur l’autel de la Culture du Viol. Ellui pourrait faire référence à son propre dégoût d’un-e perpétrateur-ice, ou se vanter qu’ellui ne lui parle plus, comme si ces choses étaient des preuves d’à quel point ellui est « solidaire». Bien sûr la désapprobation des actions d’un-e perpétrateur-ice n’équivaut pas immédiatement à un soutien à un-e survivant-e. Dans certains cas diaboliser lea perpétrateur-ice ira à l’encontre des désirs de lea survivant-e, tandis que dans d’autres lea perpétrateur-ice et lea survivant-e seront ostracisé-es simultanément, et le dispositif répressif maintiendra les schémas de domination en l’absence de lea perpétrateur-ice12. La simple ostracisation des perpétrateur-ices comme unique réponse a été fortement critiquée ailleurs, mais nous aimerions mettre une emphase sur le fait qu’une telle approche sert à protéger la Culture du Viol en évitant les confrontations directes avec. À travers cette méthode, les apologues peuvent externaliser les aspects négatifs de la Culture du Viol comme étant quelque chose de séparé d’elleux-mêmes. En projetant tout sur un-e perpétrateur-ice solitaire (ou peut-être toustes les perpétrateur-ices) l’apologue peut dévier toute analyse des relations sociales qui produisent les perpétrateur-ices, et surtout leur propre rôle dans tout ça. En mettant l’accent sur quelques mauvaises pommes, elleux détournent l’attention du fait que tout le panier est pourri.

Bien sûr ceci passe à côté de toute la question du soutien à un-e survivant-e, et cherche une résolution (par exemple, se débarrasser de lea perpétrateur-ice) qui n’adresse pas les besoins de lea survivant-e. Ceci est révélateur de la vrai priorité de la Culture du Viol, étant donné que produire quelques bouc-émissaires laissera les structures sociales oppressives intactes, tandis que les survivant-es qui sont capables de lutter avec succès contre ces structures menacent leurs fondations profondes. La Culture du Viol valorise lea perpétrateur-ice au moins autant que n’importe quelle armée impérialiste valorise ses soldats. Elle les sacrifiera joyeusement si nécessaire, car bien sûr c’est la soumission des survivant-es, leur état perpétuel de victime, qui doit être maintenu. Tout comme avec l’Empire, c’est seulement à travers cette soumission que la Culture du Viol peut se reproduire.

FAIRE LA GUERRE À LA CULTURE

Le fonctionnement et la reproduction de la Culture du Viol sont trop complexes pour être totalement expliqués ou documentés. Les caricatures et généralisations grossières que nous avons présenté ici sont trop simples pour recréer fidèlement les dynamiques que nous vivons dans nos vies ordinaires. Bien que nous ayons essayé de les catégoriser et définir à des fins de clarté, d’assigner une forme à ces structures oppressives avec l’espoir de les rendre reconnaissables, en réalité la plupart des individus oscillent entre les différents rôles. Même celleux qui parfois sortent des contraintes sociales afin d’apporter un réel soutien peuvent dans d’autres cas endosser le rôle des bataillons de la Culture du Viol. Même des survivant-es elleux-mêmes peuvent adopter un rôle répressif envers l’un-e l’autre, séduit-es par la possibilité d’être un barreau plus haut sur l’échelle de la hiérarchie sociale plutôt que d’offrir de la solidarité à leurs pairs. Les rôles des gens ne sont pas statiques et les systèmes d’oppression ne sont pas fixes. L’interaction entre les forces de récupération, de répression et de réduction au silence de la Culture du Viol n’est pas un complot. Ces éléments parfois séparés mais tous le temps collaboratifs ne se rencontrent pas pour établir une stratégie ou répartir leurs tâches. Mais évidemment, la collaboration n’est pas nécessairement basée dans de réelles associations mais plutôt sur des intérêts communs. Celleux qui ont des intérêts communs vont arriver à des conclusions similaires ou bien travailler vers des buts similaires sans même avoir à interagir. À travers ceci la Culture du Viol se révèle non pas comme un concept vague, mais comme les conditions matérielles concrètes qui mènent les gens à conclure, consciemment ou non, qu’il est dans leur intérêt de réduire au silence un-e survivant-e, d’être complice dans son assujettissement continu, ou de s’opposer activement à la lutte d’un-e survivant-e.

Le reproche selon lequel les gens « font uniquement les trucs faciles » articule partiellement ce problème, mais l’attribue aussi uniquement à des moments de faiblesse morale chez les individus. Ceci passe à côté de la question plus évidente : pourquoi est-ce que nos communautés radicales sont encore structurées d’une telle manière que soutenir un-e survivant-e n’est pas « le truc facile » ? Qu’est-ce qui rend cela difficile ? Une vision plus matérialiste de nos réponses à la violence interpersonnelle, une réponse qui regarde non pas du côté de l’opinion ou de la décence d’une personne, mais plutôt en direction des conditions matérielles telles que les dépendances sociales (par exemple, avec qui sont-iels proches, avec qui vivent-iels, avec qui militent-iels, quels sont leurs réseaux de soutien, de quoi dépendent-iels et comment est-ce que ces choses peuvent être affectées par le fait de réellement soutenir un-e survivant-e ?) pourraient procurer plus d’indications de comment nos propres intérêts sont contrôlés et formés par une Culture du Viol.

Peut-être que le facteur le plus significatif d’atténuation de ces conditions est le Pouvoir. Le pouvoir qu’un-e survivant-e détient à l’intérieur de la communauté ainsi que le pouvoir correspondant d’un-e perpétrateur-ice sont essentiels à la forme que prendra la réponse d’une communauté.

Quand un-e perpétrateur-ice détient très peu de pouvoir comparé à un-e survivant-e, ou quand lea perpétrateur-ice ne fait même pas partie de la communauté, montrer un tout petit peu de soutien coûte très peu et aide à maintenir une bienveillance de façade qui aide à maintenir la Culture du Viol. Bien sûr, ceci est rarement le cas. Il a souvent été insisté que le soutien à un-e survivant-e ne devait pas être freiné par la position de pouvoir d’un-e perpétrateur-ice à l’intérieur d’une communauté, mais la position de pouvoir elle-même est peu interrogée, tout comme n’importe quelle corrélation entre cette position de pouvoir et la violence interpersonnelle (qui est elle-même une expression brutale de pouvoir). Ne pas réussir à faire le lien entre ces deux choses c’est comme demander qui est venu le premier de l’œuf ou de la poule, tout en insistant que l’œuf et la poule n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Cet angle mort est surtout étrange chez les anarchistes, qui affirment s’opposer à toutes les formes de pouvoir hiérarchique.

Ce qui ressort de tout ça c’est qu’une analyse honnête du fonctionnement de la Culture du Viol doit aussi inclure une analyse des relations de Pouvoir qui gouvernent nos vies. Ceci implique non seulement les hiérarchies, formelles ou autres, qui persistent même dans les espaces anarchistes, mais aussi les systèmes de pouvoir plus larges qui les façonnent, comme le Patriarcat, la Suprématie Blanche, le Colonialisme, le Validisme, etc. Nous devons reconnaître la place qu’occupe la Culture du Viol dans la société capitaliste. C’est à travers ça qu’on peut reconnaître la Culture du Viol comme un mécanisme de contrôle social, qui renforce les systèmes de pouvoir et de domination qui en retour la reproduisent aussi. Il devient alors nécessaire d’endiguer les divisions hiérarchiques qui servent à la fois à faciliter la violence interpersonnelle elle-même, ainsi qu’à modeler les intérêts des personnes qui sont en position d’y répondre. Beaucoup d’anarchistes rejettent fermement le nombrilisme de beaucoup des discours des politiques de l’identité, mais une analyse aiguë des systèmes de pouvoir, les manières avec lesquelles ces systèmes offrent des privilèges à certain-es d’entre nous tout en oppressant d’autres, et la manière avec laquelle notre expérience de ces systèmes de pouvoir influence les manières que l’on a de les combattre, est cruciale à une résistance réelle. Pour attaquer avec succès une Culture du Viol, nous devons frapper les racines de ce Pouvoir.

L’IMAGE DE LA COMMUNAUTÉ

Beaucoup d’activistes anti-violence débutent avec le présupposé fragile de la communauté ; l’idée qu’un-e survivant-e a une base sociale vers laquelle ellui peut se tourner pour du soutien, ou bien un réseau de soutien qui échappe aux influences du Pouvoir dont nous venons de discuter. Ici communauté est un terme définit de manière assez nébuleuse voire même pas du tout. Est-ce que la communauté est un espace géographique, comme le quartier dans lequel on vit ? Est-ce que c’est une identité ou expérience partagée, comme être queer ou noir-e ? Est-ce que c’est les gens avec lesquels on passe du temps, comme la famille, les collègues ou ami-es ? Une communauté peut-être une combinaison de toutes ces choses, mais aucune d’entre elles ne pointe vers une position innée de soutien.

Ce qui est souvent mentionné comme étant la « communauté anarchiste » est peut-être mieux décrit comme une sous-culture de jeunes13. Sa nature transitive et temporelle la rends mal équipée pour des projets de long-terme de guérison du trauma. De plus la dépendance à et le renforcement de la Culture du Viol par d’autres systèmes de Pouvoir pose un défi particulier aux communautés anarchistes d’Amérique du Nord qui sont pré-dominées par des personnes blanches, de classe moyenne et souvent mâles. Il n’est pas étrange pour de telles communautés d’être tellement compromises par leurs propres positions de privilèges qu’elles finissent bien trop soumises aux systèmes de pouvoir pour risquer la moindre attaque significative contre ces derniers. Dans ces cas-là, la « communauté » anarchiste se révèle non pas comme un espace radical depuis lequel on peut attaquer, mais comme un corps réactionnaire souhaitant écraser de telles attaques. Il est « anarchiste » et une « communauté » de façade seulement.

Beaucoup d’anarchistes ne réalisent même pas l’importance et les interconnexions entre le fait de construire une communauté et d’attaquer des systèmes d’oppression, et celleux d’entre nous qui le font vont rarement faire usage d’une telle réalisation au-delà de notre rhétorique. Et, peut-être plus précisément, nous faisons souvent l’erreur de partir du principe que les cibles de nos « attaques » se trouvent uniquement hors de « Nous ». Ici, le terme d’attaque n’est pas compris comme une approche purement militariste qui s’appuie uniquement sur la destruction de la propriété et des batailles physiques, une position avancée par de nombreux anarchistes. Non l’attaque est plutôt le processus à travers lequel nous reconnaissons les forces qui nous oppriment et nous cherchons à les détruire. La question de la violence, de ce qu’il en coûte de détruire les systèmes de pouvoir, sont largement hors de nos mains. Le capitalisme, avec ses armées régulières et myriades de prisons, a rendu sa position sur la question parfaitement claire. Les camarades parmi nous qui ont inévitablement des a-priori modelés par la suprématie blanche, patriarcat et colonialisme, celleux qui se retrouvent dans la position de l’apologue, peuvent (espérons-le) exercer un ensemble de choix plus large. Elleux peuvent choisir de se joindre à nous. Elleux peuvent choisir, comme nous l’avons fait, d’attaquer les aspects d’elleux-mêmes qui recréent le vieux monde, et de renforcer les attaques contre celleux qui choisissent autrement. Ce choix devrait être ce qui définit l’anarchiste, ce qui nous distingue de nos ennemis, et nous guident vers nos camarades. C’est depuis ce choix que la lutte réelle devient possible.

« Les gens abîmées sont dangereuxes. Iels savent qu’elleux peuvent survivre. »

Notes

1 : (note de traduction) « gender neutral language » dans le texte original, ici traduit en « langage genré neutre ». Le texte est traduit en écriture inclusive, j’alterne entre iels/elleux, iel/ellui, au gré du texte.

2 : (ndt) « perpetrator » dans le texte original. Le terme « perpetrator » peut se traduire en français pas acteur, agresseur ou (plus rarement) perpétrateur, c’est ce dernier terme que j’ai décidé d’employer malgré le fait qu’il ne soit pas vraiment utilisé dans le langage courant parce que la question de l’usage du terme rentre dans les considérations du texte original et que je ne voulais pas affecter cette part du texte en utilisant le terme « agresseur ». Le terme est donc traduit en perpétrateur-ice afin de le genrer au neutre, et sera uniquement genré dans les cas où la phrase appuie sur les questions de genre spécifiquement. Je note quand même que d’autres textes en français touchent à la question de « la personne qui agit » vs « la personne à travers laquelle le patriarcat agit » qui sont sous-entendues dans l’emploi d’un terme ou d’un autre.

3 : (ndt) « silencing » dans le texte original, traduit en « réduction au silence », « réduire au silence », etc. à travers le texte.

4 : Chez la plupart des anarchistes, au moins, la police est un ennemi sans visage. On a pas à les voir border leurs gosses le soir, elleux nous racontent pas des blagues à l’apéro, elleux nous confrontent pas avec la contradiction de leur propre humanité. Ceci n’est pas le cas pour celleux qui sont dénoncés pour abus ou violence à l’intérieur des cercles anarchistes, une réalité que plusieurs perpétrateur-ices usent à leur avantage.

5 : (ndt) « coping mechanisms » dans le texte original, traduit en « mécanismes de survie » ici

6 : Ce même processus est souvent étendus au réseau de soutien de lea survivant-e aussi. En fait, se focaliser principalement sur des soutiens peut parfois permettre à des agents de la répression de continuer à se présenter comme soutien de lea survivant-e, tout en sabotant toute stratégie de soutien honnête et réel. Des attaques aussi finement déguisées, bien que possiblement dévastatrices pour les soutiens, doivent tout de même être comprises principalement comme des attaques à l’encontre de lea survivant.e, bien qu’indirecte. Dans le pire des cas, de telles attaques résultent en un conflit dégénéré entre les complices de la Culture du Viol et un réseau de soutien, laissant une nouvelle fois lea survivant-e écarté-e et privé-e de capacité.

7 : Dans certains cas, des demandes sont faites à la communauté plus large aussi, produisant souvent le même effet.

8 : (ndt) «agency» dans le texte original, traduit en «agence» : la capacité d’un-e individu à agir

9 : Ceci ne veut pas dire que les problèmes de violence intime ne sont pas des problèmes communautaires, mais qu’une vraie communauté va chercher à empouvoiré ses survivant-es et à encourager leur autonomie. Les aspects d’une communauté qui trouvent leurs intérêts en conflits avec ceux des survivant-es sont révélés comme ne faisant pas partie d’une communauté anarchiste du tout, mais d’une garnison ennemi en notre sein.

10 : Bien sûr, une fois détourné ce n’est plus un processus orienté vers la responsabilisation, et peu importe les mots utilisés par les faux soutiens pour le décrire, que ce soit une médiation, une résolution de conflit ou un cercle de guérison, le résultat ne sera pas une responsabilisation.

11 : Pendant ce temps, les forces répressives ne sont pas aussi conciliantes, et vont à la place utiliser des allégations défensives pour attaquer lea survivant-e. Ceci explique peut-être pourquoi tant de survivant-es acceptent le manège des faux soutiens, parce qu’en comparaison elleux ne paraissent pas si mauvais-es.

12 : Cela dit, parfois des survivant-es vont vouloir voir leur perpétrateur-ices ostracisé. Ceci est une réponse à la fois valide et compréhensible et elle devrait être respectée. Il n’y a rien de mutuellement exclusif dans le fait d’analyser les systèmes de pouvoir et le rejet des perpétrateur-ices.

13 : C’est à dire, si nous sommes prêts à la décrire telle qu’elle existe, plutôt que comme nous aimerions qu’elle soit.