Pour essayer de discuter de « rupture » :

Il me semble que quelquefois, les gens agissent (pensent, écrivent) en réaction à une opinion, parce que cette dernière n’explique pas tout – alors on décide qu’en fait, elle n’explique rien et on prend son contraire. On découvre ou décide que le pouvoir n’est pas (A) « un système général de domination exercé par un élément ou un groupe sur un autre », non, car (B) « la pouvoir vient d’en bas : les dominé-e-s bâtissent avec les dominants leurs propres aliénations. Et sans la servitude volontaire des dominé-e-s, le tyran n’a plus aucun pouvoir ». Ah oui, et la police, l’armée, la prison, les frontières, etc … c’est pour les chiens ?

Non, le pouvoir, la domination, c’est l’un ET l’autre, à moins de ne considérer qu’une masse indifférenciée est soumise à ce pouvoir et de ne se considérer que comme un élément de cette masse. C’est plus l’un ou plus l’autre suivant les personnes, suivant la classe sociale (en gros, je pense : plus ‘B’ si on ‘monte’ dans le statut social et plus ‘A’ à l’inverse), l’origine culturelle ou géographique (rôle et violence de la police et de l’armée dans les Amériques), et suivant qu’on est plus proche d’une position de dominant que de dominé, etc.

Le rapport… – D’après le texte « rupture », la relation serait soit en termes de rapport soit en terme de lien.
« le rapport est de l’ordre du pouvoir : domination, violence, séduction, manipulation, soumission [etc.] ». le lien « se ramène aux sentiments et affects : amour amitié, affection, plaisir d’être ensemble… ». Il y a à peu près 6 milliards de personnes dans le monde et beaucoup de langues et de cultures différentes (heureusement !). ‘Je’ peux avoir des liens avec 100, 200 personnes… Que deviennent mes relations avec les autres ? déterminées nécessairement par des rapports (de domination) ? Le respect peut aussi être une relation de curiosité, d’expectative, d’attente, d’égal à égal, nécessaire si on ne veut pas vivre dans un monde de tribus. On ne peut pas être ‘attentif’ à tout le monde. A l’inverse, on peut chercher à connaître ‘l’autre’, mais ça ne marche pas toujours ; comme on dit, les atomes que l’on développe avec ces autres ne sont pas toujours crochus, même avec la meilleure volonté du monde… Cela n’empêche pas de présenter une forme de ‘respect’, à défaut de sympathie qui n’est pas garantie. Donc de la parano d’une part et de l’angélisme de l’autre…

L’auteur du texte ‘rupture’ parle de (s’élève contre le) dualisme ; il en est la première victime ! par les définitions mentionnées plus haut, mais aussi par cette séparation entre ‘raison’ et ‘nature’. D’ailleurs, la raison est-elle vraiment dominante aujourd’hui, quand nous sommes ‘gouvernés’ par des escrocs, des menteurs, même des imbéciles, des « idiots intelligents » qui accaparent le pouvoir ?

Sécession : je crois qu’il y a longtemps que nos syndicats et nos partis ont renoncé à attendre ou à préparer la Révolution… c’est peut être dommage, d’ailleurs, ça les aurait rendus plus combatifs…
Enfin, même si on est d’accord pour la sécession, faut-il pour cela rejeter TOUS les contre pouvoirs ? Soit, ne pas essayer de devenir calife à la place du calife, mais les syndicats et d’autres mouvements ont eu leur utilité (s’interroger sur leur récupération et leur institutionnalisation) ; ils l’ont encore jusqu’à un certain point. Est-il nécessaire que les contre pouvoirs soient aussi des formes du pouvoir ? Il faut peut -être faire que les contre pouvoirs soient aussi des anti pouvoirs.

Et puis l’utopie irréalisable, ce n’est pas seulement imaginer le grand soir et le lendemain matin qui chante, c’est aussi affirmer que du passé nous devons/pouvons faire table rase et recommencer à zéro en faisant semblant que la raison, l’analyse et la recherche scientifique peuvent être effacés d’un coup de gomme, même si on ne les aime pas. D’accord, on a fait les cons depuis 2500 ans. Et maintenant, on recommence à partir des présocratiques ? de Darius ?

Et si je dis : d’accord, on déserte, on se casse, on refuse les rapports, on en reste aux liens… mais ça, c’est un privilège d’habitant de pays riche, tant ‘qu’ils’ nous laissent faire : le système peut bien s’accommoder d’un pourcentage de non travailleurs, de RMIstes, de déserteurs, de hippies, de zonards temporaires. Et que fait-on avec les autres écrasés avec qui nous ne pouvons avoir de liens, que des rapports lointains et que peuvent-ils faire, eux, avec cette philosophie ou cette pratique ? Le paysan sans terre bolivien va dire : ça va, je me casse, je déserte, je refuse cette société de merde. Que va dire le grand propriétaire qui occupe des milliers d’hectares en ayant besoin de très peu de main d’oeuvre : très bien casse toi, bon débarras, reste sur ta montagne à crever la dalle. Même chose pour le palestinien coincé dans son dédale de territoire, en attendant d’être exproprié ou canardé, ou le paysan émigré à Mumbai, qui n’est même pas reconnu comme main d’oeuvre ? Faut il les blâmer s’ils construisent un MST, contre pouvoir puissant, plein de gens qui ne se connaissent que par des rapports, car seul leur nombre fait leur force ? Refuser systématiquement TOUS les contre pouvoirs (même Spartakus), cela pourrait aussi bien nous conduire à l’esclavage ‘ou à l’univers du film « Brésil »).

Maintenant qu’une bonne partie de la population mondiale est en train de devenir une population de ‘superflus’ (littéralement) (et j’en fais partie), on ne changera pas assez si on ne fait que déserter avec quelques autres en théorisant la relégation comme positive (la pierre qui tombe qui décide qu’elle choisit de tomber).

Je ne propose pas une solution, je ne sais pas, comme les autres ; je sais seulement que les léninistes ont une stratégie, mais elle ne marche pas ; les libertaires ont raison, mais ils manquent de stratégie efficace …

Je tiens cependant à citer un américain (Fredric Jameson) : « le fait est que plus puissante est la vision d’un système ou d’une logique toujours plus totalisant – le Foucault du livre des prisons est l’exemple le plus évident – plus est fort le sentiment d’impuissance de leur lecteur. Si le théoricien gagne donc en construisant une machine toujours plus fermée et terrifiante, par la même il perd, puisque le potentiel critique de son oeuvre est ainsi neutralisé, et les impulsions de négation et de révolte, sans parler de la transformation sociale, sont de plus en plus perçues comme vaines et triviales face au modèle lui-même. ». L’idée est intéressante : plus on complexifie et on démontre que la puissance et la capacité de récupération du systèmes sont inéluctables, plus cela a tendance à nous conduire à l’immobilisme (on parle de la critique du « bougisme » ; mais l’inverse peut exister). On peut relier ça aux idées des économistes et politiciens bourgeois (/sociaux-démocrates) d’aujourd’hui qui nous affirment que contre la ‘mondialisation’ (la domination du capital financier), on ne peut rien faire…
Il faudrait faire une théorie des théories et peut-être on pourrait voir que certaines théories sont, avec les meilleures intentions du monde, paralysantes.

Et il faut toujours se méfier des tendances ; les tendances sont toujours destinées à être rompues. (En 1788, celui qui aurait prédit ou théorisé les évènements de 1793 aurait été considéré comme irresponsable ou irréaliste). Et il faut toujours se méfier et croire que ce qui est dans l’air du temps (ou à la mode) est une vérité immuable.

Borogove