Les rassemblements comme ceux du Larzac ont l’immense mérite d’entretenir la flamme du désordre. A cet égard, le Larzac 2003 a constitué une particulière réussite, même si l’on peut douter qu’il s’ensuive immanquablement une “rentrée sociale” agitée, comme disent les médiatiques. Le fait que quelques profs ou intermittents du spectacle étaient présents est très secondaire, par rapport à l’enjeu d’ensemble.

S’il fallait songer à rapprocher ces grands rassemblements de quelque autre évènement historique, c’est aux assemblées paroissiales de 1788, qui ont permis la rédaction des Cahiers de Doléance, que l’on penserait. Mais des assemblées ouvertes à l’échelle du monde…
Cette réflexion n’est pas innocente : Le degré de radicalité qui s’affiche dans ces contre-sommets est à l’égal de ce qui se voulait dans la période pré-révolutionnaire, où personne n’imaginait la fin de la monarchie absolue. (“Les hommes sont las quelque temps avant de s’apercevoir qu’ils le sont.”)

Ainsi, rien de bien subversif ne peut ressortir dans l’immédiat du contenu apparent de ces rassemblements de masse : la radicalité est ailleurs, et d’abord dans le fait que des centaines de milliers de personnes savent déja ce dont elles ne veulent pas.
La question lancinante, impatiente, (et posée souvent à l’envers ) de la traduction politique de tels rassemblements finira par se résoudre : non par quelque deus ex machina qui verrait surgir une formation politique d’un genre nouveau ; ou qui verrait quelque alliance monstrueuse entre débris de la gauche classique et de “l’extrême-gauche” ; mais simplement par la nécessaire accélération de la pensée, déja à l’oeuvre pour qui sait entendre.

Disons-le d’une autre façon : c’est parce qu’une certaine vision du monde n’a pas suffisamment pénétré les consciences que le “mouvement social” n’en finit pas de débattre faussement. Et il n’en finit pas de débattre parce qu’il ne parvient pas à surmonter les contradictions nées de ses deux présupposés : “un autre monde est possible”, “le monde n’est pas une marchandise”…Conclusion : l’autre monde possible ne peut que se fonder sur la liquidation de l’échange marchand. Mais voilà bien une idée trop neuve, de la même façon que l’idée de république ne venait même pas à l’esprit des manants du 18ème siècle.

Et tous les beaux esprits de la contestation moderne, les Susan George, les Bernard Cassen, les José Bové, ne parviendront jamais à nous expliquer comment on pourrait extirper le mal qui est dans la logique de la marchandise, sans la supprimer en même temps ! Dans cette affaire, l’OMC n’est qu’une cible commode, et transitoire.

Il nous faut encore un peu de temps, à toutes et à tous. Le vaste parti qui veut l’abolition pure et dure de la marchandise est déja présent dans le monde, avec un avantage par rapport à tous les autres : il n’a ni nom, ni chef, ni drapeau. Certes, aucune lutte historique n’est assortie d’une garantie de bonne fin ; mais nous avons de beaux commencements.

“Nous viendrons par tous les chemins”
(Louise Michel)

K. Von Clausewitz