Extraordinaire montage d’archives, ce film culte de Chris MARKER retrace les événements politiques et sociaux qui ont marqué les années 60 et 70.

De CHE GUEVARA à Rudi DUTSCHKE, de LENINE à MAO, de Charonne à la rue de Gay-Lussac, de Cuba à Santiago, « Le fond de l’air est rouge » retrace la montée puis la retombée des utopies révolutionnaires dans les années 60 et 70.

En trois heures et en deux parties : « Les mains fragiles » et « Les mains coupées », Chris MARKER propose une lecture de l’histoire à travers un enchaînement d’images dont le sens peu à peu se dévoile. Des images fortes, sanglantes, ironiques, bouleversantes, drôles. Et instructives.

Dans le ciel au-dessus de la jungle vietnamienne, un pilote de skyraider américian s’enthousiasme de l’efficacité du napalm : « Regardez comme ça flambe ! »…

Cristallisé par la guerre du Vietnam, un souffle de contestation se propage d’un continent à l’autre. Les trames de la petite et de la grande histoire se superposent.

A San Francisco, lors d’un meeting des Panthères Noires, l’assistance brandit le Petit livre rouge.

En Bolivie, CHE GUEVARA est assassiné après avoir allumé le premier « foyer » de guérilla. Mario MONJE, chef du PC bolivien, gesticule, persuadé que le « Che » a eu tort de croire que « la guérilla mène à la révolution ».

A Prague, une vieille dame invente un nouveau slogan : « Plus jamais d’amitié avec l’URSS ! ».

Au Japon, une mère de famille crie sa douleur face au dirigeant de la firme Chisso, qui empoisonne au mercure les pêcheurs de Minamata.

Au Chili, Salvador ALLENDE fait rire les ouvriers d’une usine en leur expliquant qu’ils sont coincés entre capitalisme et socialisme « comme des sandwiches »..

Ces images, Chris MARKER les a récupérées dans les poubelles des salles de montage, sur des bandes d’actualité, dans d’autres films. Elles priment sur le texte afin, dit-il, « de rendre au spectateur (…) son commentaire, c’est-à-dire son pouvoir ». Mises bout à bout avec un art consommé, elles ne se veulent certainement pas objectives.

Le montage est en lui-même un commentaire. Exemple : le premier tank soviétique qui entre dans Prague libérée en mai 45 précède à l’écran ceux de mai 68. Suivent des images de la foule qui interpelle un tankiste, lui demandant ce qu’il fait là. Quelqu’un dit « camarades ! », et l’on voit s’intercaler le mot « Frères ! » en grosses lettres cyrilliques : c’est un plan du Cuirassé Potemkine qui rappelle le début du film (où MARKER mélange le massacre imaginaire sur l’escalier d’Odessa à des scènes de manifestations bien réelles). En ce printemps praguois, la solidarité des « frères » soviétiques s’exprime par une répression féroce. »Une génération trouve son 1917″ : »Les ouvriers prendront des mains fragiles des étudiants le drapeau de la lutte », proclame une banderole de 1968.

Chris MARKER montre comment ces étudiants mettent le doigt dans l’engrenage du « cycle action-répression-mobilisation ». Comment, avec pour détonateur commun la guerre du Vietnam, « une génération trouve son 1917 ». Comment les nouvelles revendications donnent naissance à de nouvelles formes de lutte.

Il analyse les échecs, les outrances, les égarements, les répressions, les reculades, les revirements. Ceux du PC français, par exemple, « le plus lent à se déstaliniser (mais) le plus rapide à se déléniniser ».

Toujours grâce aux images. En revenant sur celles d’octobre 1967, il a l’impression très nette de s’être fait avoir : ces jeunes gens clament leur « joie de franchir une frontière que personne ne (leur) disputait plus ».

Les forces de l’ordre ont opéré un recul stratégique, pour mieux couper leur élan, après. « Je me demande, dit Chris MARKER, si un certain nombre de nos victoires des années 60 n’étaient pas exactement du même ordre ».

A travers un collage kaléïdoscopique exceptionnel d’images d’actualités, de bandes vidéo indépendantes, de film 8mm et d’un certain nombre de fragments de long-métrages, « Le fond de l’air est rouge » rend compte du rôle des mouvements révolutionnaires et des partis communistes en Europe occidentale et en Amérique latine sur une période de dix ans.

Il présente les divers aspects des luttes idéologiques « du Vietnam à la mort du CHE, de mai 1968, du printemps de Prague au Programme Commun, et du Chili à -à quoi au fait? » écrivait Chris MARKER, des « luttes qui ont profondément transformé les données politiques de notre temps ». « Ce film, ajoutait-il, ne prétend qu’à mettre en évidence quelques étapes de cette transformation ».

« La troisième Guerre mondiale est commencée depuis dix ans », disait Chris MARKER en 1971 à l’occasion de la présentation de son film devenu depuis une oeuvre culte du cinéma documentaire et une référence incontournable en matière de films d’archives et d’essai d’auteur.