LA SITUATION AU 3 JUIN 2021 SUR LA PROCEDURE JUDICIAIRE

Avant-propos

Dans ce document, nous analysons la situation actuelle de la procédure à l’encontre de Vincenzo Vecchi en partant du verdict de la Cour d’Angers en novembre 2020, de celui de la Cour de cassation en janvier 2021 jusqu’au transfert du dossier à la Cour européenne de justice pour avis. 

Nous ne reprendrons pas l’intégralité de l’affaire juridique concernant les mandats d’arrêt européen (MAE) concernant Vincenzo Vecchi qui ont été très documentés dans les textes du Comité de soutien à Vincenzo Vecchi.

Mais, rappelons tout de même que Vincenzo Vecchi reste encore sous une possible inculpation avec une durée de la peine de 12,5 années ce qui n’est pas rien… 20 ans après les manifestations de Gênes en 2001.

I-La Cour de justice européenne

Le dossier de l’affaire Vincenzo Vecchi après transmission de la Cour de cassation a été enregistré en avril 2021 à la Cour de justice européenne sous le numéro C168/21.

La Cour de justice européenne traitera cette affaire dans une procédure ordinaire contrairement à la demande de la Cour de cassation de Paris qui demandait que cette demande d’avis soit faite en accélérée… 

A partir de la date d’enregistrement nos avocats ont 60 jours pour remettre le mémoire hors délai complémentaire COVID, ce qui fait que le dépôt du mémoire de nos avocats aura lieu vers la fin juin 2021.

Ce mémoire sera présenté par des avocats français et italien : Maître Mathonnet, notre avocat à la Cour de cassation et Maître Barletta, avocat italien qui a exercé par le passé des fonctions à la Cour de justice européenne (CJUE).

Suite au dépôt du mémoire nos avocats demanderont une audience qui leur permettra de présenter leur défense et de répondre aux questions de membres de la CJUE en présence de l’avocat général de la CJUE.

Puis, après les traductions dans les différentes langues officielles de l’UE, la Cour de justice européenne siégera et donnera un avis qui sera ensuite transmis à la Cour de cassation à Paris…

Les délais seront donc longs…

II-Une position tranchée du Tribunal d’Angers et, une Cour de cassation timorée… 

Le mandat d’arrêt européen du 6 juin 2016 concernant le jugement de Gènes en 2009 confirmé, pour l’essentiel, par le jugement de la cour de cassation de Rome en 2012, est basé sur les délits de « dévastation et pillage » et de « concours moral ».

Ces accusations – qui ne figurent pas dans les 32 catégories de délits du MAE qui occasionnent un renvoi automatique de la personne incriminée – donnent lieu de par la loi-cadre du MAE à un examen sous le registre dit de la double incrimination (il faut que les délits jugés par le pays d’émission soient sanctionnables dans le pays d’exécution).

Le tribunal d’Angers en novembre 2020, va examiner au regard du code pénal français les sept délits indissociables contenus dans « dévastation et pillage » qui donne lieu selon la procédure italienne (article 419 du code pénal) à une inculpation de 10 ans d’emprisonnement.

Cet examen ne permet pas d’établir la double incrimination, le tribunal va donc refuser l’exécution du MAE pour « dévastation et pillage ».

Dans son argumentaire le tribunal d’Angers montre par ailleurs que, l’éventuelle dissociation des délits est dans les faits infaisable et, qu’il est dès lors impossible d’établir une proportionnalité des peines pour les différents délits.   

Cet argumentaire va être repris par la Cour de cassation qui légitime la « rationalité » de la démarche du tribunal d’Angers sur la double incrimination tout en rejetant les arguments du procureur d’Angers qui cherchait à requalifier « dévastation et pillage » en « vols organisés ou avec armes », ce qui permettait de re-classifier les délits évoqués dans une des 32 catégories hors double incrimination du MAE.

Cette Cour de cassation rejette donc le délit de «dévastation et pillage » et la notion de « concours moral » (« en droit français n’est pas responsable pénalement celui qui se borne à encourager la commission d’une infraction, hors de tout acte positif »)

L’avocat général de la cour de cassation admet « la non proportionnalité de la peine » et conforte la décision de la cour d’Angers.

En cela, on voit que les arguments juridiques défendus par le Comité de soutien et nos avocats depuis maintenant près de 23 mois nous donnent raison sur les fondements de cette affaire.

En clair, d’un point de vue juridique la défense de Vincenzo a raison et ce mandat d’arrêt européen n’est pas valable.

Toutefois, le verdict de la Cour de cassation en janvier 2021, alors qu’elle avait tous les éléments et était parfaitement en mesure de statuer, va (vis-à-vis du jugement d’Angers) marquer un recul et introduire une saisine de la Cour de justice européenne à titre préjudiciel sur la base de trois questions posées à la Cour de justice européenne.

Ces questions concernent : 

  • La condition de double incrimination peut-elle être satisfaite dans une situation où les actes qualifiés de « dévastation et pillage » dans l’État d’émission peuvent être rapprochés dans l’état d’exécution des accusations de  « vol avec dégradation, destruction, mais sans atteinte à la paix publique » ?
  • L’État d’exécution peut-il refuser d’exécuter un MAE lorsqu’une infraction unique comporte différents agissements , dont seule une partie constitue une infraction pénale dans l’État d’exécution ? Convient-il de considérer que ces différents agissements sont divisibles ou pas ?
  • La Charte des droits fondamentaux (article 49) impose-t-elle le refus d’exécuter un MAE lorsque ce dernier comporte pour une infraction unique, une peine unique, alors que certains faits ne constituent pas une infraction pour l’État d’exécution ? et, comment mesurer la proportionnalité de la peine ?

III- Les grandes caractéristiques du Mandat d’arrêt européen (MAE) et la Cour de justice européenne

Le MAE repose sur trois piliers au statut différent qui doivent contribuer à la formation d’une politique juridique européenne

Le Mandat d’Arrêt européen MAE résulte d’une décision cadre du Conseil de l’UE du 13 juin 2002 (2002 /584 /JAI). C’est une procédure judiciaire transfrontalière simplifiée de remise aux fins de l’exercice de poursuite pénale, ou de l’exécution d’une peine, ou d’une mesure de sûreté privative de libertés.

Un mandat émis par une autorité judiciaire d’un pays de l’union européenne est valable sur l’ensemble du territoire de l’UE.

Le mécanisme du MAE repose sur une reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, une confiance mutuelle et une coopération loyale au sein des pays de l’UE.

« Cette procédure judiciaire prend appui sur le fait que l’Union s’est donnée pour mission de mettre en place un espace de liberté, de sécurité et de justice, en respectant les droits fondamentaux, acceptant ainsi les obligations positives qu’elle se doit d’honorer (…) et que pour être efficace le principe de reconnaissance mutuelle doit reposer sur une confiance mutuelle, qui ne peut être  obtenue que si le respect des droits fondamentaux des suspects et des accusés ainsi que le respect des droits procéduraux dans les poursuites pénales sont garantis dans l’ensemble de l’Union. » (Loi cadre 2002)

Le mécanisme du mandat d’arrêt européen fonctionne depuis le 1er janvier 2004 et se substitue aux procédures d’extradition. Pour ce faire, une révision constitutionnelle en France du 25/03/03 permet l’application du MAE et supprime le principe fondamental selon lequel la France se réserve le droit de refuser l’extradition pour infractions politiques au sein de l’UE.  

  • Dans ce cadre, pour 32 catégories d’infractions (dont terrorisme, participation à organisation criminelle, traite des êtres humains, exploitation sexuelle des enfants et pédopornographie, trafic de drogues, corruption, fausse monnaie etc…) il n’y a pas à vérifier si l’acte en cause constitue une infraction pénale dans les pays concernés par le MAE. [Manuel concernant l’émission et l’exécution du MAE du 28/09/2017]
  • Double incrimination établie sur la base du droit pénal comparé :

    Pour les autres infractions, l’acte en cause doit constituer une infraction dans le pays d’exécution à la date de l’infraction (principe de la double incrimination).

    « Le pays d’exécution doit vérifier que les éléments factuels à la base de l’infraction, tels que reflétés dans le jugement prononcé par l’autorité compétente de l’État d’émission, sont également en tant que tels, dans l’hypothèse où ils se seraient produits sur le territoire du pays d’exécution, passibles d’une sanction pénale sur ce territoire ».

  • La charte des droits fondamentaux de l’UE :

    Par ailleurs, la décision juridique ne peut être en conflit avec les normes relatives aux Droits de l’Homme, tels que définis par la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE, charte qui est devenue contraignante pour les États de l’UE depuis le traité de Lisbonne de 2007.

    A cet égard on notera que la confiance mutuelle entre états ne peut être obtenue que si le respect des droits fondamentaux des suspects et des accusés, ainsi que le respect des droits procéduraux dans les poursuites pénales, sont garantis dans l’ensemble de l’union.

Les trois piliers du MAE ne fonctionnent pas en articulation homogène.

Si la procédure judiciaire transfrontalière est très clairement détaillée (infractions prises en compte, détails et conditions de respect des procédures de renvoi automatique…), il n’en va pas de même ni pour la confiance, reconnaissance mutuelle, coopération loyale ; ni pour la prise en compte du volet essentiel que représentent les droits fondamentaux qui ne peuvent se limiter à la proportionnalité de la peine.

Ainsi :

  • Dans le cas du/des MAE concernant Vincenzo Vecchi, la justice italienne s’est montrée peu loyale vis-à-vis de la justice française : documents du MAE peu renseignés, réponses aux demandes complémentaires de la chambre d’instruction de Rennes lapidaires, émission d’un MAE concernant le procès de Milan qui est un faux puisque la peine était éteinte depuis le 25 mars 2010…
  • En ce qui concerne la prise en compte des droits fondamentaux, le procès de Gênes de 2009 s’est déroulé sans qu’aucun des droits fondamentaux soit pris en compte bien que l’Italie ait signée le traité de Lisbonne en 2007. A cet égard, les inculpations de « dévastation et pillage  » et de « concours moral » qui concernent Vincenzo Vecchi sont illustratives des écarts entre la vision européenne des droits fondamentaux et la conception juridique italienne :
  • La notion de « concours moral » de par son approche collective introduit une atteinte aux libertés individuelles en écart avec la Charte des Droit Fondamentaux de l’UE, mais aussi de fait une absence de présomption d’innocence qui entre en contradiction avec l’Article 48 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE ainsi que l’article 6 § 2 de la CEDH qui intègre explicitement la présomption d’innocence comme principe général de la procédure pénale.
  • L’inculpation pour « dévastation et pillage », et les lourdes peines qui y sont associées, est corrélative à l’utilisation du « concours moral » lors de la manifestation de Gênes en 2001. Cette inculpation ne pouvait être connue ni par les citoyens ni par les citoyens manifestants puisque cette loi n’avait pas été employée, n’était plus en usage, en Italie depuis la période mussolinienne pour des manifestations.
    Là encore, les inculpations contreviennent à l’article 49 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE qui énonce que « nul ne peut être condamné pour une action qui, au moment ou elle a été commise, ne constituait pas une infraction pour le droit national et international » ; ce qui implique que la loi doit être certaine et vérifiable (principe de légalité).
  • En dernier lieu, les peines de prison infligées pour « dévastation et pillage » sont très lourdes (12 ans et 6 mois sur les évènements de Gênes pour Vincenzo Vecchi) et contreviennent à l’article 49 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE (principe de proportionnalité) qui énonce que « l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction » tel qu’il est consacré par les traditions constitutionnelles communes aux États membres et la jurisprudence de la Cour de justice des communautés. En France, par exemple, de telles hauteurs de peines seraient infligées pour un meurtre.

Cette situation liée au MAE émis à l’encontre de Vincenzo Vecchi ne peut certes être considérée comme la normalité des MAE, mais elle montre que les déclarations et directives qui fondent le triptyque de la loi-cadre de 2002 s’inscrivent en tension et peuvent donner lieu à de profonds contournements qui affectent le principe de loyauté et les droits fondamentaux.

On notera, par ailleurs, qu’aucun pays européen n’a fait savoir de façon publique que le procès de Gènes en 2009 contrevenait gravement aux droits fondamentaux des citoyens de l’UE…

IV – Quel avis de La cour de justice européenne ?

Les développements précédents montrent que la demande d’avis de la Cour de cassation s’inscrit en réalité dans un espace juridique européen ambitieux mais peu stable, puisque la conception des politiques européennes en matière judiciaire n’est pas basée sur une harmonisation du droit pénal mais sur la coopération procédurale des systèmes judiciaires des États.

La Cour de justice européenne va bien évidemment prendre en compte les questions posées par la Cour de cassation de Paris dont les fondements sont réels, mais, de notre point de vue, cette Cour ne peut en rester à la problématique de la double incrimination et à celle de la proportionnalité de la peine…

Pour inscrire son avis dans une vision européenne de justice pénale, la Cour de justice européenne doit également prendre en compte :

  • le peu de respect par la justice italienne des règles de loyauté qui sont pourtant au fondement du MAE (pour rappel : grille du MAE non remplie et réponses au tribunal de Rennes incomplètes, émission d’un MAE injustifié sur une peine déjà purgée) ;
  • l’emploi de lois liberticides très éloignées de l’ambition démocratique européenne comme les condamnations au titre de « dévastation et pillage  » et de « concours moral »
  • et en dernier lieu l’absence lors du procès de Gènes (2009) de tout respect des droits fondamentaux de l’UE.

L’avis de la Cour de justice européenne ne doit pas se contenter de répondre aux écarts entre les justices pénales de deux États, ce qui reviendrait à s’inscrire dans une gestion « diplomatique » des politiques pénales des États.

L’avis de la CJUE doit fondamentalement répondre sur les écarts entre la conception italienne de la justice et celle de l’Union européenne.

Cet enjeu est central vis-à-vis de l’avenir d’une organisation de la justice pénale européenne prenant appui sur l’ambition démocratique de l’UE, mais aussi dans le cas présent pour que cesse le marathon judiciaire d’un individu (Vincenzo Vecchi) qui, pour avoir manifesté à Gênes en 2001 peut encore en 2021, avoir une peine de plus de 12 ans de privation de liberté.