Anarchisme et religion
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Anarchisme et religion
Avertissement
Ce texte est une traduction du chapitre « Anarchism and Religion », publié en 2017 dans l’ouvrage collectif coordonné par Nathan Jun : Brill’s Companion to Anarchism and Philosophy, Boston, Brill.
Le panorama qu’il propose donne accès à une importante littérature ainsi qu’à de nombreux exemples anglo-saxons sur le sujet. Marqué par plus de cent ans de laïcité et par une sécularisation historique particulière, le lectorat francophone trouvera de nouvelles perspectives pour penser les rapports entre anarchisme et religion.
D’autre part, si son ancrage anglo-saxon fait la richesse de cette étude, il pourrait aussi expliquer certains de ses angles morts. Pour contrer cela, les auteurs ont cherché à étendre leur analyse en dehors de leur propre sphère culturelle. Nous espérons que cet effort pourra se prolonger en ouvrant de nouveaux espaces dans le débat francophone.
L’équipe de traduction
Introduction
Ces dernières années, une grande variété d’analyses ont éclos à l’intersection de l’anarchisme et des sciences de la religion (1). L’anarchisme a été pris plus au sérieux par celles et ceux qui étudient et qui pratiquent la religion, la religion de son côté a été prise plus au sérieux par celles et ceux qui étudient et qui pratiquent l’anarchisme. S’il arrive que cette rencontre suscite des tensions et qu’elle soit révélatrice d’inconciliables différences, ces explorations se sont le plus souvent révélées fructueuses, en inaugurant et en examinant de nouvelles directions pour la pensée et la pratique.
Ce dialogue recouvre un éventail de discussions assez variées : il arrive que les anarchistes reviennent sur leur appréciation de la religion ; parfois, des chercheurs religieux formulent une théologie en dialogue avec des énoncés anarchistes ; on se concentre quelquefois sur la manière qu’ont certains anarchistes d’aborder la religion ; dans certains cas, des comparaisons générales sont établies entre l’anarchisme et la religion ; d’autres fois ce sont les textes religieux qui sont interprétés dans le sens d’une politique anarchiste ; et ainsi de suite. En d’autres termes, la rencontre entre anarchisme et religion peut se focaliser sur différents aspects de l’un ou de l’autre, et impliquer des approches, des méthodologies et des tonalités d’enquête très variées. Cette variété est à l’image des différents centres d’intérêt communs à l’anarchisme et à la religion, mais également des différentes approches ontologiques, épistémologiques et méthodologiques.
Cette brochure propose une esquisse de certaines des manières qu’ont l’anarchisme et la religion de se croiser et d’influencer leurs imaginaires réciproques. L’objectif n’est pas de présenter systématiquement l’intégralité des travaux de recherche portant sur ce domaine, quoiqu’un effort ait été fait pour inclure un large panel de ressources, de manière à dresser une cartographie précise des différents types de recherche sur ce sujet. Comme c’est souvent le cas pour les typologies, il peut arriver que les divisions et catégories proposées soient assez arbitraires. Il ne s’agit donc pas de les interpréter d’une manière trop rigide, mais plutôt d’une manière heuristique, comme la tentative de dresser un inventaire de ce domaine.
Le texte est structuré en quatre parties : la première examine certains différends classiques opposant l’anarchisme à la religion et à ses institutions; la deuxième analyse les travaux de recherche portant sur des interprétations anarchistes des personnages et des textes fondateurs de la religion ; la troisième aborde l’intérêt croissant que suscite une « théologie » anarchiste, distincte de l’exégèse scripturale; et la quatrième signale la diversité des études historiques consacrées à des penseurs, des communautés et des mouvements spécifiques se reconnaissant à la fois dans l’anarchisme et dans la religion.
Le christianisme se révélera assez rapidement être la religion dominante dans ce champ de la recherche. On pourrait expliquer cela, assez traditionnellement, par le fait que la pensée et la pratique anarchistes ont émergé dans des sociétés où dominaient le christianisme et ses institutions. Pourtant, bien que le principal interlocuteur religieux de ce texte soit le christianisme, d’autres traditions sont mentionnées lorsque cela s’avère possible et pertinent, et dans bien des cas, ce qui s’applique à l’intersection de l’anarchisme et du christianisme vaut d’une manière comparable pour les autres traditions.
(1). Cela comprend notamment les ouvrages collectifs suivants : Christoyannopoulos (Alexandre) (éd.), Religious Anarchism: New Perspectives, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars, 2009 ; Christoyannopoulos (Alexandre) et Adams (Matthew S.), Essays in Anarchism and Religion, Stockholm, Stockholm University Press, 2017, vol. 1.
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Livre-enquête. Anarchie et religion
Émission du 07.04.2018 en direct et en public depuis le Studio 99 à Genève.
A l’occasion de la parution en 2018 aux éditions: Les Ateliers de Créations Libertaires à Lyon.
Entretien avec Alexandre CHRISTOYANNOPOULOS, co-auteur en compagnie de Lara APPS du livre-enquête: » Anarchie et Religion ».
Entretien opéré via Framatalk.
(45 minutes)
https://audioblog.arteradio.com/blog/98384/podcast/124186/livre-enquete-anarchie-et-religion
Alors: anarchie, a ou an du grec sans, archie l’arche, Anarchie: sans arche.
religion et en particulier le monothéisme matérialisé par les trois livres, le premier livre: bible ou ancien testament ou bible hébraïque ou tanakh, le deuxième livre nouveau testament ou christianisme ou judéo-christianisme ,le troisième livre le coran arabo-musulman.
Ces trois livres et les conséquences ou la traduction dans la pratique en est la soumission à l’arche ,par exemple: islam traduction: soumission.
Soumission! au créateur, à dieu et à ceux qu’il aurait élu pour le représenter sur terre bien sûr, le père ou chef de famille, le roi, le général, le patron ……et ne pas respecter cet ordre, cette soumission à l’ordre établi par le créateur, ne pas se soumettre à la hiérarchie, hiér-archie: hiéro : sacré ,archie: arche, hiérarchie: l’arche sacré, est donc un crime à l’adresse du créateur!
L’Anarchisme et sa traduction politique le communisme Libertaire est incompatible avec la religion.
La religion est le grand ennemi de l’émancipation et de la liberté. La priorité est de la combattre jusqu’à sa disparition et certainement pas de rechercher des compromis ou une « concorde » avec ce cancer de l’humanité.
NI DIEU, NI MAITRE!!!
NI FOI, NI LOI!!!
NI FAMILLE,NI PRATRIE!!!
[L’ANARCHISME] EST-CE UNE RELIGION ?
Sous ce titre, je veux exposer quelques idées qui surprendront un peu les copains anarchistes étant donné qu’ils se disent anti-religieux ; je traiterai donc trois problèmes souvent discutés.
1° L’idéal. — Quand un bonhomme quelconque devient anarchiste, il est d’abord séduit par le côté noble de l’idée — comme dirait Lamblet, l’anti-voleur — et il s’enflamme, il est tout feu et flammes pour ce qu’il appelle la Vérité, la Justice, etc. résumée dans son idéal ; il parle avec quelle ferveur de la société future, cette société de rêve ou les hommes marcheront ensemble, la main dans la main, à la conquête du bonheur et souhaite ardemment la Révolution, la Sainte et grande RRévolution qui libérera l’Humanité.
L’anarchiste est donc un religieux (je ne dis pas tous, mais la majorité est ainsi — absorbé dans un rêve idéal, il s’occupe de la société future et non de celle actuelle, il évoque la vie heureuse qu’il vivra dans celle-là, les bons mets qu’il y mangera, et les femmes qu’il y aimera, et le pauvre bougre ne s’aperçoit pas qu’il mange du pain et du fromage, qu’il turbine sans trêve tout le jour, qu’il est exposé à toutes les avanies, respect de l’autorité, etc… et qu’il cohabite avec des putains légales ou illégales, avachies, prostituées [1] ; qu’il mène en un mot une existence de mufle.
Or, dans ces moments de rêve, d’idéalisme, l’anarchiste devient un religieux, il accepte toutes les autorités, toutes les servitudes, il travaille, il produit, n’est plus lui, il est courbé sous le poids d’une idée quelconque et n’est plus anarchiste car le propre de l’anarchiste est de repousser toutes autorités, morale ou physique
2° La Propagande. — L’anarchiste fait en tous temps et en tous lieux, une propagande effrénée, il vit et agit pour son idéal et en retire souvent des désavantages, il agit ainsi contrairement à son intérêt personnel.
Ravachol, Caserio, Emile Henry, Angiolillo, etc… qui sacrifient leur vie et accomplissent des actes de révolte, mais au bénéfice de leur idée — ainsi font les fakirs indous en se précipitant sous le char de Jaggernaut dans le but d’être utiles à leur religion — l’anarchiste est altruiste, il y trouve une certaine satisfaction, c’est entendu, mais il se sacrifie pour une idée, donc il est religieux.
3° L’amour. — L’anarchiste, — école Paraf-Javal ou Libertad, voir lettre dans les derniers numéros de l’anarchie — aime une jeune fille ou femme, et est aimé d’elle, elle voudrait s’unir librement mais ses parents ne veulent pas à cause des qu’en dira-t-on, etc… il doit logiquement s’en aller, plaquer la bonne femme ; or je pose ce dilemme : ou l’individu rejette la femme et détruit son bonheur, se sacrifie ainsi pour une idée et est religieux, ou bien il se marie légalement pour avoir son bonheur et ainsi il fait acte d’abruti en étayant encore la loi et l’autorité, par le seul fait qu’il se marie légalement — théorie Paraf-Javal et Libertad.
Je pense que quelques camarades soulèveront une discussion en me donnant quelques idées sur celles que j’expose, sans parti pris, bien entendu.
C. MASSONIER.
l’anarchie n° 94 jeudi 24 janvier 1907.
[1] Pour nombre d’anarchistes individualistes, le mariage équivalait à la prostitution.
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NOTRE CORRESPONDANCE
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EST-CE UNE RELIGION ?
à G. Massonier.
L’anarchiste, ou l’individu qui s’intitule tel, est celui qui voyant l’etat défectueux de la société travaille à la détruire.
Donc, s’il veut être logique avec ses idées, qu’il croit être l’expression de la vérité, il ne doit accepter aucun pacte, aucune liaison qui puisse l’entraver, lui nuire dans la tâche entreprise.
Je crois pouvoir objecter en ce sens, au troisième point de ton article.
Un anarchiste rencontre une femme qu’il aime et dont il est aimé. Elle ne veut, pour des raisons banales, parents, préjugés, etc., accepter de vivre librement avec lui. Je prétends que s’il se refuse d’accepter la comédie du mariage, il ne détruit pas son bonheur, il ne fait nullement un acte religieux.
Lorsqu’un copain accepte le mariage pour plaire aux préjugés d’une femme, il se peut qu’ayant cédé sous prétexte d’amour, il continue à faire des concessions, il ne fasse plus tel ou tel geste qu’il serait, selon ses idées, utile de faire. Il détruit son bonheur.
Si, au contraire, il fait un geste qui froisse cette qu’il aime il souffrira de la voir souffrir. Alors, tout doucement, sans s’en apercevoir, il délaissera la propagande. Il souffrira, il détruira son bonheur.
J’ai connu des camarades qui ne venaient pas au groupe, aux causeries, parce que « leur femme » n’y venait pas ou ne voulait pas y venir, ne fréquentaient plus les gens qu’ils aimaient, parce que s’étant unis avec une femme d’idée différente, elle n’avait pas même affinité.
Il n’y a pas de religion, ni de sacrifice à suivre autant que possible la règle de conduite qu’on croît la meilleure.
CACHET.
—o—
Le mariage étant « une union libre légale » et l’union libre étant « un mariage illégal », cohabiter légalement ou illégalement, c’est toujours cohabiter, avec cette différence qu’une cohabitation est enregistrée et que l’autre ne l’est pas. Cela est insignifiant, vu les avantages qu’il peut y avoir.
L’individu raisonnable et conscient ne doit rechercher légalement ou illégalement que le développement de son individu.
Se sacrifier, se nuire pour un principe ou une idée, est l’acte d’un fou, d’un religieux.
Auguste BOYER.
l’anarchie n° 95 jeudi 31 janvier 1907
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NOTRE CORRESPONDANCE
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EST-CE UNE RELIGION ?
à C. Massonier.
1° Rêver d’une société meilleure, soupçonner la vie heureuse qu’on y pourrait vivre, n’empêche pas (comme tu le prétends), l’anarchiste de s’occuper de la société actuelle ; mais, au contraire, justement parce qu’on rêve à quelque chose de mieux n’est-on pas obligé de penser à ce que l’on a, ne serait-ce que pour établir une comparaison ? C’est parce que l’anarchiste rêve d’une société meilleure, qu’il s’occupe de combattre la société actuelle, et, en la combattant je crois qu’il s’occupe d’elle. C’est justement aussi dans ces moments de rêve, d’idéalisme, comme tu dis, que l’anarchiste, pensant à la vie heureuse qu’il mènerait dans une société meilleure comparativement à celle de paria qu’il a dans la société actuelle, sent naître en lui la révolte, prend en haine ce qui soutient cette société et, par conséquent, combat l’autorité sous quelque forme elle se manifeste ; il n’est donc pas un religieux, comme tu dis, puisqu’il n’accepte ni autorité, ni servitudes. Il est un rêveur théoriquement, qui, pratiquement, tend à faire devenir son rêve réalité et ceci, de différentes façons, d’après le tempérament propre à chaque individu.
2° Se sacrifier pour une idée peut être un acte religieux et l’acte de certains révolutionnaires-libertaires mais l’anarchiste n’a pas à se sacrifier : il doit faire à la société actuelle le minimum de concessions pour en retirer le maximum d’avantages. Est-il bien sûr que Ravachol, Emile Henry, Caserio, etc., se soient sacrifiés pour l’idée ; je crois plutôt que ces camarades ne voyaient dans l’anarchie que le côté révolutionnaire c’est à dire destructeur et négatif ; leurs tempéraments les portaient plutôt dans cette voie que dans une autre ; c’était, en un mot, leur méthode d’action. Et cela est si vrai qu’Emile Henry disait dans ses déclarations : « Je tente de dire avec le Souvarine de « Germinal » : Tous les raisonnements sur l’avenir sont criminels, parce qu’ils entravent la destruction pure et simple et empêchent la marche de la Révolution. » Et aussi : « Dès qu’une idée est mûre, qu’elle a trouvé sa formule, il faut sans plus tarder en poursuivre la réalisation. J’étais convaincu que l’organisation actuelle était mauvaise, j’ai voulu lutter contre elle afin de hâter sa disparition. » Ces camarades ont été victimes de leur mode d’action, mais ne se sont pas sacrifiés pour l’idée ; ils ne sont donc pas religieux, pas plus que ne l’est aucun anarchiste.
3° Je crois que le dilemme que tu poses est simpliste : Un copain aime une jeune fille et en est aimé ; elle voudrait s’unir librement avec lui, mais ses parents ne veulent pas ; l’anarchiste n’ayant pas le préjugé de famille, je ne vois pas pourquoi ils ont besoin du consentement des parents ; c’est le cas de dire avec Candide : « On s’unit devant Dieu, le maire, les parents ou les copains ! Devant qui divorcera-t-on ? » Mais j’admets un instant que notre sensitive ne veuille pas briser l’autorité familiale et que le copain la « plaque ». Je ne vois pas qu’il se soit sacrifié, car il ne brise pas son bonheur. En effet on aime quelqu’un pour de nombreuses et diverses raisons : pour le physique, les allures, les rapports sexuels, les idées, la conversation, etc. Si ces conditions se rencontrent pour l’homme et la femme, l’union peut leur procurer le bonheur, sinon c’est l’antipathie, les injures et quelquefois les coups. L’homme comme la femme doivent donc rechercher l’être qui leur procurera le plus de bonheur sous tous les rapports. Or, rien ne prouve que le bonheur eût existé entre le copain et la jeune fille, car qui sait si lui ou elle eût été « l’élue du cœur » ? Qui sait si leurs pensées, leurs sentiments, leurs désirs eussent toujours été en harmonie ?
Au contraire, ils ne s’entendent déjà pas (puisqu’elle n’a pas ses idées) et il est probable qu’il en aurait été de même par la suite. Donc, le copain n’a pas brisé son bonheur (on ne peut pas briser une chose qui n’existe pas, et le bonheur n’a pas existé pour lui dans ce cas), ne s’est pas sacrifié et par conséquent n’est pas religieux. Il éprouvera de la rupture, tout au plus une peine passagère.
Et pour terminer, une petite observation : Qu’est-ce que cette manière de dire ; école un tel ou un tel ? Je crois que reconnaître une école avec son guide, son fétiche, celui qui lui donne son nom, c’est être religieux. Or, les anarchistes ne sont pas des suiveurs et il n’y a pas pour eux d’école. Mon tempérament, mes conceptions, peuvent me rapprocher beaucoup plus de Libertad, de Parav-Javal que d’autres copains ; c’est tout au plus affaire de sympathie et de caractère.
Marius DUCHANEL.
—O—
II
Aug. Boyer dit (anarchie, n° 95) :
« … L’individu raisonnable et conscient ne doit rechercher légalement ou illégalement que le développement de son individu. Se sacrifier, se nuire pour un principe ou une idée, est l’acte d’un fou, d’un religieux. » Dans ces conditions, puisque selon Boyer, on ne doit avoir en vue que le développement de son individu (matériellement et moralement) soit d’une façon légale ou illégale, il devient absolument inutile de critiquer celui qui se marie légalement ; qui va à la messe et va voter, tout en sachant que ces divers actes sont stupides mais qu’il les accomplit pour obtenir certains avantages, par intérêt en un mot, et qui, de cette façon, pourra développer son individualité.
Justement, puisque (selon Boyer) se marier légalement pour développer son individu n’est pas contraire à l’idée anarchiste, j’ai bien envie de me marier légalement avec ma compagne, car il nous en résulterait certains petits avantages, lesquels pourraient nous permettre de nous développer davantage.
Maintenant, il reste évident que ceux qui ne se marient point légalement, ou agissent d’une manière illégale, pour être d’accord avec leurs idées, ne peuvent être considérés que comme des fous, des religieux, autrement dit des gens qui ne cherchent pas du tout à se développer.
Henri ZISLY.
l’anarchie n° 97 jeudi 14 février 1907.
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NOTRE CORRESPONDANCE
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EST-CE UNE RELIGION ?
A Massonier, Duchanel et Zisly.
Je reconnais que dans ma réponse à Massonier, j’ai été un peu bref et ne me suis expliqué que superficiellement. Il est vrai que la question qu’il posait n’était pas large, il conviendrait de mieux la poser, à savoir : « Que doit faire un anarchiste, lorsqu’il a avantage à faire un geste inutile ou stupide. »
La manie qu’on a de critiquer les actes des copains sans vouloir tenir compte des circonstances ou du tempérament qui l’ont déterminé à agir, nous fait tomber dans les errements des inconscients contemporains.
Je me refuse à croire qu’un individu conscient fait un geste « stupide » sans l’avoir raisonné, sans avoir pesé les avantages qu’il pouvait en retirer.
Ne doit-on pas toujours chercher à faire le « minimum de concessions » pour en retirer le « maximum d’avantages ». Ne nous arrive-t-il pas parfois d’être obligé par les circonstances, par notre situation sociale ou pécuniaire de faire des gestes que nous y trouvons idiot. « Tel de se faire exploiter par un patron, tel de faire bonne mine à des gens que nous haïssons », etc.
En nous observant, nous constaterons que beaucoup des gestes que nous faisons, sont en contradiction avec notre concept. Ces attitudes, ces gestes ne nous diminuent pas ; ils ne sont que superficiels, mais le fond de vous même reste ce qu il est. Nous pouvons nous servir de réticences, nous nous retenons même parfois de dire ce que nous pensons, connaissant les conséquences qui résulteront de notre franchise, en crachant aux visages de nos contremaître, patron et même collègue délateur, le mépris que leurs préjugés nous font avoir pour eux.
Superbe est celui que son tempérament empêchede se contenir, dirait certain sentimentaliste : Et bien non « c’est un Don Quichotte ». Ne gaspillons pas notre énergie à frapper dans le vide ; les actes chevaleresques sont d’un autre siècle, et la révolte lorsqu’elle ne porte pas des fruits, ne sert à rien.
Le bonheur diffère avec le tempérament des individus. Ce n’est pas perdre son bonheur que de faire des gestes idiots puisque les raisons qui vous les font faire sont précisément la recherche d’un mieux-être, c’est-à-dire un complément de bonheur. Si, pour être heureux, il faut choisir une compagne qui a des idées anarchistes, tous les anarchistes n’en auront pas, les femmes, même conscientes, sont assez rares. Il n’y a donc pas lieu d’anathématiser un copain qui, pour vivre avec une femme qui lui plaît physiquement et lui apporte même une certaine quantité « d’énergie de position »va faire le geste idiot de faire enregistrer sa cohabitation.
En faisant ce geste, il s’enchaîne, il est vrai, mais d’une chaîne très facile à rompre ; il se libère du joug patronal, tout en pouvant espérer affranchir sa compagne des préjugés qui les ont poussés à se marier. Certes sa révolution n’est pas faite ; il n’a fait quen acquérir les matériaux nécessaires, en se procurant par un geste idiot ce qu’on peut appeler de l’énergie de position ou de la force emmagasinée.
Conclusion : Pour vivre, il faut tenir compte des influences du milieu et savoir tourner à notre avantage tout ce qui pourrait nous nuire.
Auguste BOYER.
l’anarchie n° 98 jeudi 21 février 1907.
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NOTRE CORRESPONDANCE
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EST-CE UNE RELIGION ?
Des différentes contradictions faites par des camarades, je ne relève que celle de Duchanel :
Quand je rêve, quand je songe à une société meilleure où la vie sera plus heureuse, je suis religieux ; je cherche à savoir, et, mieux : je me trace ce que sera demain. Je sens naître en moi la révolte, parce que dans cette société je ne puis vivre intensivement et connaître toutes les joieshumaines ; donc, je me révolte, mais je ne vois pas l’utilité de dire : ceci est injuste, mais je n’y puis rien faire, je vais donc me contenter de végéter et alors pour calmer un peu mes douleurs, je vais, tout bonnement, rêver à la société future, humanitaire, libératrice.
Assurément la société conçue selon les théories anarchistes donnerait aux individus plus de bien-être, mais quand viendra-t-elle ? Si je désire une société, c’est celle-là, basée sur l’individualisme et le communisme anarchiques ; je serais donc heureux de pouvoir vivre dans cette société, mais en attendant !… Un voyageur, quittant son pays dévasté, par toutes sortes de calamités, et allant vers des contrées plus fortunées, arrive au pied d’une haute montagne, impossible à gravir ; de y l’autre coté se trouve la terre promise, idéale, le pays de Cocagne, il entreprend de creuser son tunnel, malgré tous les obstacles accumulés. Comme les travaux dureront longtemps cet homme devra-t-il ne pas manger, ne pas se débarbouiller, ne pas vivre, en un mot, sous le prétexte que de l’autre coté, tous ses besoins seront satisfaits. Non, ce serait contraire à sa nature.
Je ne rêve donc pas à la société future, je vis autant que je le puis. D’ailleurs, mes actes de révolte ne font que bâtir son avènement ; le camarade Duchanel doit être content.
2° Peut-être Emile-Henry, Caserio, etc… ne se sont ils pas sacrifiés ; mais réfléchis un peu, n’est-ce pas navrant : avoir vingt ans, l’âge où l’on vibre, où l’on aime, où l’homme atteint sa force, a besoin de s’épancher ; et accomplir des actes qui ne produisent que peu de choses ; ceci est aussi illogique que le service militaire ou l’ordination ; on se tue, on se suicide en agissant ainsi.
Evidemment cela plait à ces copains, tellement bien qu’ils ont agi selon leurs idées ; je puis toutefois dire que ceci est regrettable.
3° Voilà le chapitre de l’amour : Nous pourrions noircir et renoircir les colonnes de l’anarchie, nous n’avancerions pas plus la question ; j’avais posé ma question afin de la voir solutionner d’une manière satisfaisante, je ne vois guère que la réponse de Boyer qui me plaise ; laisser l’individu libre d’aimer de la manière qu’il voudra et tenir compte des influences du milieu, pour vivre et savoir tourner à notre avantage tout ce qui pourrait nous nuire.
4° Je réponds à ta petite observation :
Aurais-tu peur des suiveurs, est-ce que nous ne sommes pas tous des suiveurs ; pour que nous devenions anarchistes, — assurément nous étions étions avant, révoltés, — nous avons eu besoin des idées émises par Reclus, Grave, Kropotkine, Stirner, ou autres qui ont précisé et donné une forme plus nette à nos instincts de révolte. Les anarchistes disent qu’ils ne sont pas suiveurs, qu’ils n’ont pas d’école ; ils n’ont pas plutôt affirmé cela, tel saint Pierre reniant son maître, qu’ils vont criant : Sébastien Faure est mon homme, il a très bien parlé selon mes idées ; Grave est un écrivain consciencieux, qui expose des idées solides, sûres qui ont le don d’exprimer les nôtres, etc. Vive l’anarchie !
Or, Paraf-Javal étant un des pères reconnus de la thèse de la progression géométrique anarchiste, je dirai que les copains, moins savants qui disent comme lui, sont de son école, etc., etc.
Je crois ceci absolument logique.
C. MASSONIER.
l’anarchie n° 100 jeudi 7 mars 1907.
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NOTRE CORRESPONDANCE
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EST-CE UNE RELIGION ?
Je te répondrai très brièvement, car je crois qu’au fond nous sommes d’accord. Je n’ai pas dit, comme tu as l’air de le croire, que l’on devait tout bonnement rêver à la sociéte future, humanitaire, libératrice, et se croiser les bras, pour calmer ses douleurs puisque j’ai dit que l’on devait combattre le société actuelle, qui, pour me servir de tes expressions « nous empêche de vivre intensivement et de connaître toutes les joies humaines ». Je me suis tout simplement servi d’une autre expression, semblable à la tienne, en disant : « L’anarchiste est un rêveur théoriquement, qui, pratiquement, tend à faire passer son rêve, réalité et ceci sous différentes formes, d’après le tempérament propre à chaque individu » et j’ai même ajouté plus bas que l’anarchiste n’avait pas à se sacrifier et qu’il devait « faire à la société le minimun de concessions pour en retirer le maximum d’avantages ». Tu vois que l’idée que nous exprimons ne diffère que par la forme de son expression, mais est semblable au fond. Toutefois, vivre actuellement le mieux que l’on peut, ne nous empêche pas d’avoir un idéal, toi comme les autres, puisque tu dis : « Assurément la société conçue selon les theories anarchistes donnerait aux individus plus de bien être. Si je désire une société, c’est celle-là, basée sur l’individualisme et le communisme anarchiques. »
Tu rêves donc une société meilleure et je ne crois pas que tu sois, par cela, religieux. Mais, comme tu te le demandes justement « quand viendra-t-elle cette société ? et en atten tant ?… » Et c’est là que tu conclus avec Boyer et que je conclus avec vous :
« Sachons tourner à notre avantage tout ce qui peut nous nuire, en tenant compte du milieu », ce que j’avais exprimé ainsi : « Faisons passer notre rêve, réalité, chacun d’après notre tempérament », puisque le bonheur diffère avec le tempérament des individus.
Au sujet de mon observation, je persiste à croire que les anarchistes ne sont pas des suiveurs et qu’il n’est pas pour eux d’école. J’ignore si saint Pierre renia son maître, comme tu nous le dis, mais ce que je sais c’est que, quand bien même les discours où lesécrits d’un individu m’aient porté à réfléchir et àdevenir anarchiste, il ne s’en suit pas que tout ce que cet individu aura dit ou écrit me plaise et que je l’approuve. Un camarade ayant plus grande facilité de parole que moi ou un plus grand talent, exprime ce que je pense, je ne vois pas qu’en déclarant qu’il a dit ou écrit ce que je pensais, je sois un suiveur. Celui qui va criant : « Un tel a bien parlé, c’est mon homme ; vive l’anarchie ! » n’est pas bien approfondi et ce ne doit pas être un anarchiste mais bien un suiveur.
Le camarade Duchenel est content ; j’espère que le camarade Massonnier le sera aussi. Cordialement.
Marius DUCHANEL.
l’anarchie n° 102 jeudi 21 mars 1907.
Le livre en téléchargement libre : https://core.ac.uk/reader/288361598
Livre en vente à Publico : https://www.librairie-publico.com/spip.php?article2465
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