CONSTRUIRE POUR ENFERMER TOUJOURS PLUS

L’image des prisonnier-e-s entassé-e-s les un-e-s sur les autres dans 9m2 est tout le temps utilisée pour justifier la construction d’une nouvelle prison. La future maison d’arrêt de Seine-saint-denis ne fait pas exception à la règle. Déjà en 1991 lorsque la prison actuelle de Villepinte a été mise en service, le « programme des 13000 » places dans lequel elle s’inscrivait visait officiellement à limiter la surpopulation carcérale. Intéressant de noter que 5 ans plus tard la taule était déjà occupée à 116%. Aujourd’hui elle enferme plus d’un millier de personnes pour environ 600 places et cette situation désastreuse sert de prétexte à la construction d’un énième lieu d’enfermement. L’histoire nous apprend que les nouvelles prisons servent à enfermer toujours plus de monde et non pas à vider celles existantes.

Les considérations des constructeurs de taules sont en effet bien éloignées de la question du bien-être des détenu-e-s, contrairement à ce que laisse entendre les discours d’État. La modernisation des prisons ne vise pas à améliorer les conditions de détention mais à faciliter la gestion carcérale notamment en limitant les possibilités de révoltes et d’évasions. Les prisons sont équipées de toujours plus de technologies de contrôle : grilles resserrées aux fenêtres, murs anti?bruits, caméras, brouilleurs d’ondes…
Chaque espace est sous surveillance dans un souci de limiter au maximum les contacts entre les détenu-e-s et avec l’extérieur, ce qui renforce l’isolement et l’emprise de l’administration pénitentiaire (AP).

La multiplication de divers degrés d’enfermement du plus sécuritaire au plus permissif constitue un système de la carotte et du bâton pour limiter les vélléités de révolte et briser les solidarités en incitant à une forme de compétition entre prisonnier-e-s. Par exemple dans le module « Respect », mis en place en 2016 dans la prison de Villepinte, les détenus sélectionnés par l’AP ont les clefs de leurs cellules. En contrepartie ils doivent suivre un programme de 25h par semaine (qui comprend entre autre des cours sur
les « valeurs de la République ») et sont évalués en permanence, avec la menace de retourner en régime portes fermées au premier incident.

En parallèle des plans de constructions de prisons, le pouvoir met toujours en avant des mesures plus humanistes pour faire passer la pillule sécuritaire.
L’accent est mis par exemple sur la réinsertion, avec la mise en place de nouveaux lieux d’enfermement, les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) qui sont sensées permettre d’orienter les prisonnier-e-s en fin de peine vers le monde du travail. La « réinsertion » se traduit généralement dans la réalité par garder sous main de justice des personnes qui ont fini de tirer leur peine, avec bien souvent le chantage du travail.
Les peines « alternatives » sont également à l’honneur avec l’ouverturedes travaux d’intérêt général (TIG) aux entreprises ou la possibilité pour les juges de condamner directement au bracelet électronique. Là encore ça constitue une extension du contrôle, vu que les peines « alternatives » permettent surtout de punir dans des situations qui n’auraient pas abouti à une incarcération.

Par le développement en parallèle des prisons et de la surveillance hors les murs l’État s’offre les moyens de contrôler une partie toujours plus grande de la population.

ON NE VEUT NI UN ENFERMEMENT DIFFÉRENT, NI DES PUNITIONS DIFFÉRENTES.

On ne veut pas que le projet d’extension de la taule de Villepinte se concrétise car on refuse qu’un lieu d’enfermement de plus ne s’ajoute à ce monde de contrôle et de punition que l’on n’a pas choisi.
On a envie que toutes les taules soient détruites, et la justice qui va avec, parce qu’on a des désirs de liberté loin des logiques de pouvoir et de domination de l’État. Ce dernier développe toujours plus ses moyens de répression (plan prison, loi sécurité globale, etc.) qui nous maintiennent dans un environnement quadrillé. Ceci notamment dans le but qu’on reste sagement dans les rôles étriqués que l’État, le capitalisme et les autres structures de pouvoir nous imposent.

Les taules sont des lieux de souffrances, où des gens sont enfermés entre quatre murs, souvent dans des conditions dégueulasses, subissant la violence et le bon vouloir des maton-ne-s. Elles sont de plus en plus construites loin de nos yeux en périphérie des villes, contribuant à isoler les prisonnier-e-s de leurs proches et du monde. L’existence
des taules va de pair avec le boulot quotidien des juges, flics et autres pourritures exécutant la justice et le maintien de l’ordre établi qu’on veut voir disparaître. Elle repose sur le besoin de punition, de contrôle et de menace des personnes pauvres et de toutes celles qui dérangent.

Et quand bien même la justice vise parfois des problèmes auxquels on fait face, qui nous font du mal directement, la punition n’a jamais fait disparaître les mécanismes pourris produits par un monde de dominations (culture du viol, harcèlement au travail, etc.). Au final, elle ne fait que maintenir des logiques de pouvoir et nous dépossède de nos propres moyens de gérer les conflits.

La justice, souvent loin de « protéger » les gens, sert avant tout les intérêts des puissant-e-s (continuer à se faire de la thune, maintenir leur pouvoir, etc.). Les lois édictées par
ces dernier?e-s pour ces dernier?e-s, nous sont imposées sans qu’on ait prise dessus. On ne veut ni un enfermement différent, ni des punitions différentes.

TRRRREMBLAY CONSTRUCTEURS DE PRISONS !

Quand un nouveau projet de prison voit le jour, c’est une occasion de s’opposer au système carcéral et à son extension. Faire en sorte qu’une prison ne se fasse pas, ce sont autant de cellules qu’on n’aura pas à détruire.

On entend souvent que c’est peine perdue de vouloir s’opposer à la « volonté » de l’État, ou qu’il existe des moyens démocratiques pour donner son avis. Mais nous savons bien que suivre les règles de l’État ne fait que renforcer sa légitimité et nous empêche d’agir directement par nous-mêmes contre ce qui nous opprime. L’État intègre parfois à ce genre de projet des étapes de « participation citoyenne » dans un souci d’acceptabilité. Personne n’est dupe que durant les enquêtes publiques ou autres débats démocratiques, il n’est jamais question du projet en soi ni des logiques qui vont avec. Ce qui n’est pas une raison pour ne pas y participer à sa manière. Certaines l’ont d’ailleurs fait en allant perturber la réunion publique de présentation du projet à Villepinte en septembre 2020. En octobre, d’autres ont redécoré la mairie de cette même ville de
tags hostiles à la prison et saboté ses serrures avant une permanence de Marie-Claire EUSTACHE, chargée de mener l’enquête publique. Celle-ci est close depuis octobre 2020 et la publication de ses résultats permettra la « déclaration d’utilité publique » nécessaire pour procéder à l’expropriation des terrains où est prévue la construction. Une simple formalité car l’appel d’offres pour la conception et la réalisation a été lancé avant même le début de l’enquête. Il y aura sans doute d’autres moments pour venir jouer les trouble-fêtes !

La construction d’une prison révèle tout un pan de ce qui est nécessaire à son existence. En effet, un lieu d’enfermement ne sort pas de nulle part, il ne peut voir le jour que par le travail d’un ensemble de personnes et d’entreprises. Certaines sont déjà connues pour avoir menéles études d’impact du projet (Egis, Technosol, Even conseil, CDVIA, B&L évolution, cabinet Earth avocats). D’autres vont bientôt être choisies pour la conception et la construction, peut-être parmi les entreprises du BTP comme Bouygues, Eiffage ou Vinci qui continuent de construire de nombreux lieux d’enfermement. À cela s’ajoutent celles qui fourniront les éléments spécifiques comme les portes, les serrures, les barreaux, les meubles, les barbelés, les systèmes de surveillance et de brouilleurs d’ondes, etc. Avant le début du chantier, il est possible de saboter la machine qui se met en branle. Car ces entreprises ont des bureaux, des lieux de productions, des entrepôts, des véhicules, ainsi que du matériel, des données informatiques et du personnel circulant entre ces différents sites. Autant de cibles disséminées sur le territoire qui offrent des prises concrètes et accessibles pour enrayer le processus de construction.

Par la lutte contre de nouvelles prisons on entend aussi s’attaquer à celles existantes. Cela peut passer par prolonger à l’extérieur les révoltes individuelles ou collectives qui se produisent régulièrement à l’intérieur. Quelle que soit l’étanchéité des murs, il y aura toujours des brêches pour déjouer les moyens de contrôle et maintenir une communication entre le dedans et le dehors.

Cela peut également passer par s’attaquer à tout ce qui travaille à l’existence de la prison. À bien y regarder, la prison ne se résume pas à quatre murs protégés par des gardes armés. Des universités où est théorisée la nécessité de l’enfermement et de son perfectionnement, aux écoles pour matons ou éducateurs en passant par les médias qui diffusent le discours sécuritaire et les entreprises qui assurent le nettoyage et le ravitaillement des prisons, la taule s’appuie sur le travail de tout un tas de gens à l’extérieur. Elle repose aussi sur les entreprises qui profitent des peines dites alternatives et sur les infrastructures technologiques qui permettent le contrôle hors les murs.

Peu importe par quel bout on s’y prend, il y a toujours moyen d’agir !

mars 2021