I – L’assignation identitaire ou l’« islamophobie » comme grand malentendu civilisationnel

 

« Dis : La vérité émane de notre Seigneur. Que celui qui le veut croie donc et que celui qui le veut soit incrédule. Nous avons préparé pour les injustes un feu dont les flammes les entoureront… S’ils demandent de l’eau, on fera tomber sur eux un liquide de métal fondu qui brûlera les visages. » (18-29)

  • Zineb, un prénom

« Il n’appartient pas à un croyant ou à une croyante, une fois qu’Allah et Son messager ont décidé d’une chose, d’avoir encore le choix dans leur façon d’agir… » (33-36)

L’assignation identitaire se fait d’abord par le prénom. Zineb [Zaynab], à l’origine pré-islamique et désignant un arbrisseau du désert, est le prénom de l’une des onze épouses de Mahomet, puis de sa fille aînée et de l’une de ses pe­tites filles ; il est donc un patronyme arabo-musulman (Djeneba en Afrique noire) qui vaudrait à sa por­teuse de rester fidèle à la volonté supposée de ses parents de l’inscrire dans la croyance.

C’est ainsi que pour Djamel le blasphème est presque consommé : « Tes une saloperie, tu ne mérites même pas de porter ton nom » [12]. La chose paraît inconcevable à Oumar : « Cette Zineb est vraiment une peste, je me demande si elle est réellement musulmane  ». Pour d’autres comme Ahmed, il y a pot-aux-roses : « Non tu t’appelle Zineb, MAIS [tu es] une JUIF »… Nombre de commentaires renvoient ainsi Zi­neb à elle-même, comme une évidence tautologique : Zineb musulmane ? c’est écrit dessus – comme si un Étienne, un Pierre, un Christian ne pouvaient qu’être de fervents chrétiens, ou un François forcément chauvin…

  • Des origines

« O vous les croyants ! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les Chrétiens ; ils sont alliés les uns des autres. Et celui d’entre vous qui les prend pour alliés, devient un des leurs.  » (5-51, 52)

L’enfermement religieux se nourrit aussi de son origine marocaine, là aussi fréquemment rappelée : « C’est très grave ce qu’elle dit elle me choque quand je pense que c’est une marocaine comme moi  » se lamente Hassnae. Princesse DIA se scandalise : « elle marocaine nous descend tfou arlik [je te crache dessus] ya Zineb ». Née marocaine, Zineb est forcément musulmane, comme s’il n’y avait (déjà) plus de juifs, de chrétiens, d’animistes, d’athées au royaume Chérifien, tandis que la présence, ou la naissance, sur le territoire français n’obligeait, en revanche, à rien, comme on le verra.

  • Des parents

« Le Prophète a plus de droit sur les croyants qu’ils n’en ont sur eux-mêmes ; et ses épouses sont leurs mères… » (33-6)

Zineb trahit son prénom et sa patrie de naissance : c’est comme si elle insultait ses parents, ses an­cêtres, sa généalogie qui l’aurait faite musulmane. Quoi qu’elle fasse, l’islam coulerait dans ses veines du fait de son ascendance à laquelle elle est assignée : « Ta oublier d’ou tu vien madame Zineb… » lui glisse Lalgéroise. On lui reproche de rompre la fidélité lignagère au fondement de l’imaginaire tribal et qui fait percevoir la religion comme s’inscrivant naturellement dans la chair : « Toi née musulmane tu salit tes ancêtre… » certifie Farid ; « vous essayer d exister en crachant sur la religion de vos ancêtres quelle bassaisse  » affirme, dégoûté, Arillas ; « Trahit ses origines et qui se trahit  » renchérit Mustapha. Pour Amine, c’est tout l’honneur de l’orgueilleuse tribu Islam qui est entachée par la démarche de Zineb :« Tu fait honte même ta mère devrais avoir honte de toi  » et idem pour Nadia O., désolée : « Tes parents les pauvres ». Et Hajer de nous révéler à demi-mots toute la frustration suscitée par l’auto-enfermement dans une religion héritée et subie que tout musulman sait ne pas avoir choisie : « je ne dois pas me cacher pour faire plaisir à des grande gueule qui sont frustré dans la vie à cause d’une appartenance qui n’aurait jamais voulu avoir »… Ce commentaire vaut d’être relu.

  • De l’ethnie

« Vous êtes le meilleur peuple, suscité pour le bien de l’humanité ; vous enjoignez ce qui est bien, vous interdisez le mal, et vous croyez en Allah. Et si les Gens du Livre avaient cru, cela aurait été meilleur pour eux. Certains d’entre eux sont croyants, mais la plupart d’entre eux sont des pervers.  » (3-110)

Appartenance : effectivement, Zineb ne s’appartient pas, elle appartient à la religion mahométane parce qu’elle appartient, en fin de compte, à l’ethnie « arabe ». En tant qu’« arabe » Zineb devrait dé­fendre sa religion fixée par le hasard de sa naissance ou, à tout le moins, ne poser aucun problème avec la cause islamique et ses signes de ralliement, comme le voile. D’où l’incompréhension d’Ilyes (Port-Saint-Louis-du-Rhône) : «  c quoi le problème qu’ont portent le voile normalement vous êtes 1 arabe  »… Pour­tant les musulmans sont loin d’être tous Arabes – et réciproquement – et la vérité génétique comme cultu­relle devrait exiger l’emploi du terme « Maghrébins » ou « Berbères » ou plus précisément encore « Amazigh ». Mais il est des colonisations qui parviennent à exiger que les indigènes, encore un millénaire et demi après l’invasion, se prosternent cinq fois par jour en direction de leur conquérant [13]… En toute ignorance volontaire de leur his­toire, la majorité des Maghrébins confondent leurs origines avec celle de leurs envahisseurs d’avant-hier : les Arabes du Hijaz. L’identification religieuse se confond donc avec l’identification ethnique. C’est ce que nous confie Ysl (Wisconsin) : « Pourquoi tu es sois disants laïque si tu viens POUR parler mal de ton ancienne religion, respecte le coran avec ta haine de raciste chui choquer mtn [maintenant] c les arabes qui nous insulte c plus les gouèrrs [14] ». Le rejet de l’islam n’est pas entendu comme critique politique, théologique, idéologique, culturelle ni même anthropologique mais comme remise en cause ethnique, ra­ciale, biologique qui ne pourrait logiquement que provenir d’étrangers. Ainsi, Abde est clair : « zineb moi je me sens plus agressée par vos propos que par une personne étant du front national ». C’est bien de race dont il est question ici, nous dit, à la suite de bien d’autres, Djamel : « l’entendre renié sa race même pas envie de lu pissé dessus elle le mérite même pas ». Et Arilas (Villefranche-sur-Saône) prévient gentiment Zineb qu’elle est bien de race musulmane : « si il y avait un conflit contre les musulmans en france croyez vous en etre protégee ? et bien non  ». Si affrontement il y a, il sera racial…

  • De l’« islamophobie »

« Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, après s’être humiliés. » (8-29)

Musulmane, Zineb l’est, devrait l’être, ne peut que l’être : son prénom, ses ascendants, son lieu de naissance, son ethnie, sa « race », tout la désigne comme telle, quoi qu’elle fasse. Cela est inscrit non seulement dans un providentiel ordre des choses, mais dans son histoire personnelle et, surtout, dans sa chair même. Pour l’islamisme ordinaire, l’islam n’est pas un choix, c’est une évidence qui échoit ou qui touche l’élu conver­ti qui, justement, adopte alors un prénom musulman : c’est un héritage, un legs, un patrimoine, un privilège, une consécration qu’il serait impensable de décliner.

Cette conception, si éloignée de celles qui prévalent en Occident depuis des siècles – le nazisme traumatisant précisément par son caractère exceptionnel – permet d’élucider la question lancinante de l’existence d’une « islamophobie » comprise comme un « racisme anti-musul­man » : du point de vue du croyant, l’inféodation à Mahomet relève d’un fait naturel, sinon divin et sacré, y compris en cas de révélation conduisant à une conversion, en rien d’une volonté humaine et certainement pas d’un choix personnel – comparable au continent de sa naissance, à la couleur de sa peau, à son sexe ou à un handicap congénital [15]. Toute critique envers l’islam ou ses fidèles ne peut être immédiatement comprise que comme une injustice, un affront, une insulte, une condamnation irrévocable. L’écart est éclatant avec la conception occidentale de l’identité comme co-construction sociale et personnelle, projection et élaboration de soi dans un monde déjà-là où prévaut la liberté et la responsabilité. L’identité comme projet individuel et collectif visant l’autonomie, conquête de la modernité, se heurte ici frontalement à une conception traditionnelle où l’identité est intégralement pré-déterminée par un passé phylogénétique fixé, figé, forclos pour l’éternité.

C’est cela que traduit, au fond, le déchaînement de passions autour de la revendication ou du refus de l’emploi du terme « islamophobie » et il est étonnant qu’il soit si peu compris sous cet angle ; le malentendu abyssal ne relève pas des limites de la liberté d’expression, de différentes acceptations de la laïcité ou de la réciprocité de la tolérance, mais plutôt d’un gouffre anthropologique qui sépare deux civilisations millénaires, dont cette question n’est qu’un point de contact parmi d’autres, mais pas des moindres. Zineb critique une religion ; les islamistes ordinaires comprennent qu’elle insulte leurs parents, leur lignage, leur « race ». À l’inverse : elle attend des arguments qui fassent valoir leur point de vue ; ils ne font que défendre leur essence, leur nature et, presque (ce qu’ils considèrent être) leur biologie. L’invitation que lancent les apostats à intégrer ce qu’ils pensent être le meilleur de l’héritage occidental est entendu comme un appel à la trahison de leurs origines, à l’abandon de leur être-propre, de leur ontologie. L’« islamophobie » est pour eux un racisme caractérisé ; c’est, en France, une simple opinion qui en critique une autre.

L’incroyable succès du terme traduit donc une régression fantastique chargée d’affrontements à venir. Ils sont sans aucune issue puisque l’Autre serait alors, comme soi-même, détermi­né non par ce qu’il veut pour lui et la société – et qui reste du domaine du discutable – mais par ce que d’autres ont fait de lui et qui est vécu comme indépassable et inaltérable – et contre lequel il ne peut rien, sinon se renier totalement en capitulant. L’échange d’arguments n’est plus, alors, un moyen de faire surgir une vérité, éventuellement nouvelle pour les protagonistes, mais une manière de dessiner les lignes de front de la guerre en cours – et, là aussi, malentendu civilisationnel : conflit idéologique d’un côté, racial de l’autre.

(…/…)

[Deuxième partie bientôt disponible]

 

[1] Voir notre « Cartographie de la galaxie des Frères Musulmans en France » (Version 2.0) – site Lieux Communshttps://collectiflieuxcommuns.fr/?9…

[2] On pense, exemple entre mille, à l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019 qui avait été l’occasion de réjouissances, cf. ’Délire de petits blancs’ & Cie : outre l’incendie, Notre-Dame subit un déluge de récup’ et de bêtise (https://www.marianne.net/societe/incendie-cathedrale-notre-dame-paris-hauteur-reactions), ou à « l’affaire Mila ».

[3] Voir le tract « Ce que nous appelons extrême droite », mai 2014, dans Islamismes, islamogauchisme, islamophobie. Seconde partie : Islam, extrême-droite, totalitarisme, de la guerre à la domination, Lieux Communs, brochure n°21bis, août 2016.

[4] Voir « Islamisme : concevoir l’impensable », mars 2015, dans Islamismes, islamogauchisme, islamophobie. Première partie : L’islam à l’offensive, de la prédication à la guerre, Lieux Communs, brochure n°21, Novembre 2015

[5] La totalité des 57 pays membres de l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique, équivalent de l’ONU pour les pays musulmans) condamnent l’apostasie de peines pénales allant de l’emprisonnement à la mort.

[6] Athée palestinien pourchassé et emprisonné par l’Autorité palestinienne pour atteinte à l’ordre public et blasphème après avoir affirmé son athéisme sur son blog, réfugié en France en 2011. Il a publié son histoire dans Blasphémateur ! Dans les prisons d’Allah (Grasset, 2015).

[7] Essayiste germano-égyptien, auteur de Le Fascisme islamique, une analyse (Grasset, 2017). Son premier roman, quasi-autobiographique : Mon Adieu du Ciel (« Mein Abschied vom Himmel » Éditions Droemer Knaur, 2010) lui vaudra une première fatwa suivie de bien d’autres ainsi que de nombreuses menaces de mort. Il vit sous haute protection policière en Allemagne où il poursuit son travail de critique de l’islam, notamment en intervenant dans les médias du pays.

[8] Seul ex-musulman public à être né en France, il a publié Il était une foi, l’islam… (Tatamis, 2015) et produit depuis régu­lièrement des vidéos sur sa chaîne YouTube.

[9] Ibn Warraq (pseudonyme) est un ex-musulman américain, d’origine indienne et élevé au Pakistan. Auteur, entre autre, de Pourquoi je ne suis pas musulman [« Why I am not a Muslim »], Éditions L’Âge d’Homme, 1995.

[10] « Une Grande Gueule recadre Zineb El Rhazoui : ’ Vous etes [sic] une fausse copie d’Eric Zemmour ’ » – https://www.youtube.com/watch?v=KO4ens2OIWI publié le 5 janvier, supprimée depuis. Le lecteur scrupuleux mais frustré (comme nous) de cette disparition trouvera sans effort des dizaines de vidéos similaires où des centaines de commentaires attendent sa sagacité.

[11] Sinon l’état civil révélé peu à peu au gré des poursuites judiciaires lancées par Zineb suite aux menaces de mort qu’elle re­çoit. Une première condamnation de 70 heures de Travaux d’Intérêt Général (TIG) a été prononcée le 10 juillet 2019 suite à son tweet « PTN [putain] jai envie de lui mettre 46 boulets dans son crâne » à l’encontre de Sami Benkhedim, 20 ans, étudiant en deuxième année de comptabilité-gestion, qui a demandé que cette mesure n’entrave pas sa future carrière de fonction­naire. Une deuxième a visé le 17 janvier 2020 Tania Kahil, jeune musulmane d’une vingtaine d’années, condamnée à 5 mois de prison avec sursis, 105 heures de TIG, un stage de citoyenneté, et 4500€ d’indemnisation pour avoir tweeté : « Si je la vois dans la rue, je la rafale »…

[12] Les commentaires sont ici retranscrits tels quels, sans correction orthographique ou syntaxique. Seule la ponctuation a été corrigée et quelques inserts entre crochets facilitent la compréhension.

[13] Pour paraphraser Ibn Warraq ;« N’y a-t-il pas meilleur symbole de soumission à l’impérialisme musulman que l’image du peuple algérien qui se prosterne cinq fois par jour vers son conquérant situé en Arabie ? » Pourquoi je ne suis pas musul­manop. cit., p. 249

[14Gwer, du maghrébin Gaouri, lui-même dérivé du turc Gavur  : non-musulmans, infidèles, mécréants, chrétiens et, par ex­tension récente, les Français de souche.

[15] « C’est comme si on se moquait d’un handicapé », confie un jeune musulman (« La radicalisation religieuse n’est pas le fruit de facteurs sociaux ou économique », O. Galland, dans L’islamisme. Un défi pour notre civilisation, Le Figaro En­quêtes, décembre 2018).