Tout d’abord, coupons court au discours qui persécute l’anonymat et encourage à clamer haut et bien fort son identité. Ce discours est habituellement tenu par les chef·fes, politicien·nes et personnalités médiatiques. En bref, les personnes de pouvoir qui ne connaissent que de très loin la répression et les risques qu’encourent les opposantes politiques. Parler et agir publiquement, sans couverture, est un privilège. On peut très bien appartenir à la classe dominante et faire jouer ce privilège en faveur de la lutte, mais ayons conscience que beaucoup n’ont pas cette chance. Les mouvements de désobéissance civile le savent bien et usent de ce privilège à des fins stratégiques. Il n’y a aucune vision stratégique dans le fait de laisser traîner ces affaires ou de faire le kéké sur Instagram.

Pour la grande majorité des opposant·es politiques, agir sans couverture est un danger. Dans cet excellent article la Quadrature du Net revient sur les trois derniers décrets en matière de « sécurité publique » et leurs implications pour les militant·es. Pour résumer grossièrement, le fichage des opposant·es politique est étendu et automatisé. Un·e militant·e aura droit à sa fiche si on peut prouver des liens avec des « groupements », comme les ZAD ou les manifestations, quand bien même iel n’aurait rien fait d’illégal. Ce fichage pourra être automatiquement complété par les informations trouvées sur les réseaux sociaux ou des prises de vue aérienne par drone. Dorénavant, un simple passeport qui traîne et vous voilà aussitôt dans les fichiers de renseignement de la gendarmerie. En effet, nous avons de fortes chances de penser que des indicateurs nous côtoient quotidiennement pour informer les services de renseignements.

Vous n’avez rien à cacher ? Pour vous convaincre du contraire, n’hésitez pas à visionner l’excellent TED talk de Glenn Greenwald sur l’importance de la vie privée. Sachez que même si vous êtes irréprochable aux yeux de l’État aujourd’hui, cela pourrait vous retomber dessus à l’avenir. On retiendra le célèbre adage : « être contre la vie privée sous prétexte qu’on n’a rien à cacher a autant de sens qu’être contre la liberté d’expression sous prétexte qu’on a rien à dire ». En outre, sachez que votre posture morale ne vous protégera pas. L’État vous traquera, non pas parce que vous êtes une mauvaise personne, mais parce que vous menacez ses intérêts.

Enfin, se moquer éperdument de l’anonymat est une démarche égoïste qui fait peser un risque non négligeable sur le collectif. En révélant publiquement votre identité, vous vous transformez en cible pour d’éventuels indics. En effet, le dernier décret relatif à la prévention des atteintes à la sécurité publique autorise le fichage de personnes appartenant à l’entourage de la personne ciblée. Se faisant vous vous mettez en danger, mais vous mettez également en danger votre entourage (famille, copaines militantes, etc.). L’anonymat est garant d’une sécurité relative, qui permet de se faire confiance mutuellement et de ne pas tomber dans un climat de paranoïa généralisée.

En résumé, range tes papiers, garde-les sur toi ou trouve-toi une planque, utilise un blase et n’agit publiquement à visage découvert que dans le cadre d’une stratégie collective.

Personne n’est parfait, et commet des erreurs. La sécurité et l’anonymat ne sont jamais acquis, et jamais atteints. C’est un effort, un horizon. L’anonymat ne suffit pas mais il est nécessaire. C’est en le respectant du mieux qu’on peut que l’on minimisera les risques de surveillance et de répression. Si tu ne le fais pas pour toi (mais tu devrais, vraiment), fais-le pour les autres.