Dans le cadre de l’Union Européenne, les maillages des frontières se resserrent grâce à la
coopération politico-militaire de nombreux États. Ce qu’ils appellent «crise migratoire» et son
management gargantuesque où l’humain n’est plus qu’une donnée à gérer n’a pas fini de briser des vies :
militarisation des frontières, entassement dans des camps de diverses appellations, naufrages au large
des côtes méditerranéennes, rafles, tortures dans les commissariats, création d’un délit de solidarité,
montée en flèche des idées réactionnaires… L’histoire coloniale est bien loin d’être reléguée à un passé
révolu.
Cette situation ne se perpétue heureusement pas toujours dans la résignation, avec entre autres des
révoltes contre les centres de rétention, des attaques contre la police ou les associations qui fournissent
un vernis humanitaire à l’État.

En Italie, dans les centres de rétention comme dans les centre de tri et d’accueil, de multiples révoltes
ont eu lieu depuis 2009. Plusieurs centres de rétention ont brûlé et ont dû fermer partiellement, comme
ce fût le cas à Brindisi en 2016 où des mutineries éclatent et réduisent à néant chaque chambre dans
deux des trois sections du centre. D’autres ont été entièrement détruits, comme à Milan en 2013 où
une série de 5 révoltes en 60 jours met fin à son existence jusqu’en octobre 2020. Des soulèvements
similaires ont eu lieu dans les CIE de Modena, Bologna, Crotone, Catanzaro ou Trapani.
Par vagues successives, se faisant écho les unes aux autres, les révoltes se répondent entre elles et
réduisent drastiquement les places des centres italiens, et par conséquent les possibilités d’expulsions
et de rafles.
De nombreuses personnes se sont solidarisées avec ces révoltes, ont lutté à l’extérieur contre les lieux
d’enfermement, les politiques migratoires européennes et nationales, les frontières et tous ceux qui
collaborent à ce système.

À Turin, depuis plusieurs années, la lutte des compagnon-ne-s contre les centres de rétention (Centro
d’Identificazione e d’Espulsione, CIE, devenus aujourd’hui Centro di Permanenza per i Rimpatri, CPR)
s’est construite autour d’échanges avec les retenus au moyen de contacts téléphoniques, de nombreux
rassemblements et de parloirs sauvages et animés, mais aussi par de l’agitation dans les quartiers où les
flics raflent les personnes sans-papiers.
Alors que des révoltes éclatent en 2014, en 2015, le centre de rétention est presque entièrement détruit
par une révolte, diminuant la capacité d’enfermement du centre de 200 à 20 prisonniers.
Suite à cela, l’État se prépare à le reconstruire et publie des appels d’offre. Dehors, les personnes
solidaires décident de continuer les luttes des retenus et s’organisent pour bloquer les entreprises
qui participent à cette reconstruction. Très vite, d’autres responsables de la machine à expulser sont
identifiés, tels que la Poste, qui organise les expulsions au moyen de sa filiale Mistral Air, et Gepsa, filiale
de la multinationale Cofely, qui gère plusieurs centres de rétention en Italie (mais aussi des prisons en
France),notamment depuis le désistement de la Croix-Rouge italienne dans la gestion de ceux-ci. Ce
départ intervient après qu’elle ait été visée par de nombreux textes et attaques pour sa collaboration
avec l’État italien dans l’enferment des sans-papiers, ce qu’elle continue à faire dans d’autres types de
centres, aux frontières par exemple.
On peut également citer Ladisa, entreprise fournissant les repas (souvent décrits comme immondes
et périmés) aux détenu.e.s du centre de Turin. En Octobre 2015, lors d’une journée porte ouverte où
l’intention était de rassurer au sujet de du processus de qualité des produits, une dizaine de personnes
débarquent avec une banderole et renversent du fumier devant leurs belles devantures.
Des solidaires ont aussi à plusieurs reprises tenté d’empêcher les sorties de camions des différentes
entreprises qui participaient à la reconstruction du centre de rétention.
Une brochure, «I CIEli bruciano» («les CIE brûlent ici») est diffusée à partir de mai 2015 et recense
la liste des entreprises permettant le fonctionnement des CIE, encourageant à leur mettre des bâtons
dans les roues partout en Italie. Le CIE ne fermera jamais entièrement contrairement à d’autres en
Italie, mais les révoltes se succèdent aux fils des ans.

A Turin la lutte contre les frontières a été liée à d’autres luttes contre la prison ou contre les expulsions
de logement. Cette dernière, basée sur le refus de la logique de gentrification, sur l’occupation de
bâtiments et la résistance aux expulsions locatives (sfratti), s’organisait par le biais d’assemblées
hebdomadaires. Une lutte permise entre autres par la présence de lieux occupés dont l’Asilo occupato,
qui l’était depuis 1995. Tout cela n’étant pas au goût de la justice, des propriétaires et des politiques
locaux, de nombreuses opérations répressives ont lieu au cours de ces dernières années à Turin.
Interdictions de séjour pénales ou administratives, aller-retours réguliers en prison ou en mise aux
arrêts domiciliaires, signatures quotidiennes ou hebdomadaires aux commissariats, obligations de
rester sur un territoire, etc… Les condamnations et les nombreuses mesures coercitives s’enchaînent
afin de tenter de casser les luttes.
Le 7 février 2019, la police déploie d’énormes moyens et procède à l’expulsion de l’Asilo occupato,
arrêtant au passage 6 compagnon.ne.s dans le cadre de l’opération «Scintilla». La septième inculpée
reste introuvable à ce moment-là et sera mise sous le coup d’un mandat d’arrêt européen par la suite.
Cette enquête, qui prend comme point de départ la brochure «I CIEli bruciano», recense 21 attaques
contre les responsables de la machine à expulser italienne entre 2015 et 2018.
Les compagnon-ne-s sont accusé-e-s d’association de malfaiteurs à visée subversive pour la lutte contre
les centres de rétention. Deux d’entre eux sont inculpés spécifiquement de l’écriture et de la diffusion
de la brochure, et deux autres de «fabrication, transport et dépôt de matériel incendiaire» devant deux
DAB de la poste italienne.
Cette opération s’inscrit dans une vague plus large d’opérations répressives d’envergure médiatique
en Italie. Quelques jours plus tard a lieu l’opération Renata à Trento et Rovereto, et depuis lors il y a
eu de nombreuses opérations judiciaires comme Prometeo, des arrestations à Brescia, les opérations
Bialystok et Ritrovo en 2020, et des procès en cours pour les opérations Scripta Manet et Panico. Ce n’est
pas une nouveauté, régulièrement la justice italienne lance de grosses opérations répressives contre les
anarchistes et les mesures de sûreté préventives sont distribuées à la pelle, grâce à un arsenal juridique
mêlant l’héritage des lois fascistes et un panel de loi anti-mafia.

Filatures, écoutes téléphoniques, sonorisation d’appartements… ce ne sont pas moins d’une quarantaine
de personnes qui sont mises sous enquête lors de ces trois années d’investigation policière. La police
essaye de lier cette brochure aux attaques et en ciblant un groupe de compagnon.ne.s turinois.e.s en
cherchant à démontrer l’existence d’un groupe formel ayant permis la propagation de ces attaques.
Néanmoins, quelques semaines après les arrestations, lors de l’audience en appel du réexamen
du dossier, l’accusation d’association de malfaiteur tombe et permet la libération de deux des trois
personnes accusé.e.s uniquement de celle-ci. Le troisième restera quelques semaines de plus en prison
car il avait été arrêté avec un sac de pétard sur lui le 7 février.
En Mai 2019, il ne reste plus que Silvia en prison, inculpée comme Carla (la personne recherchée)
des attaques sur les bureaux de poste. Chacune est accusée d’une attaques de DAB, sur la base de
vidéos de caméras de surveillance présentes sur les lieux des faits. Les flics, se servent de données
«anthropométriques», et cherchent à les lier aux personnes visibles sur ces images en faisant des
analyses comparatives de leur gestuelle, taille, corpulence, manière de marcher, tics corporels, etc…
Afin de valider leurs hypothèses, de nombreuses écoutes sont également fournies au dossier.

Silvia, après moins d’un mois de détention, est transférée à Rebibbia, où elle partagera sa cellule avec
Anna (en procès pour l’affaire Scripta Manent) et Agnese (inculpée pour l’affaire Renata).
En parallèle, Silvia va se voir notifier d’une censure de la poste, c’est à dire que chaque courrier entrant
et sortant sera soumis à la lecture et à la validation du procureur en charge de l’affaire.
Début Avril, les trois sont transférées à la prison de l’Aquila, toujours en en module AS 2 (Alta Sicurrezza
2, «Haute Sécurité 2»). C’est le régime administré par l’Etat italien à celles et ceux qu’il considère comme
«politiques», à côté du régime AS 3 concernant les personnes accusées d’appartenir à la mafia. Tou.te.s
les détenu.e.s anarchistes des dernières opérations y sont soumis.e.s, et ces modules comprennent par
exemple un isolement de fait du reste de la détention, ainsi que la réduction des parloirs à 4 par mois
(contre 6 normalement).
La prison de l’Aquila, quand à elle, est connue pour ses conditions de détention très dures car
anciennement en régime 41 bis. Le nombre de livres y est restreint a 4, le nombre de vêtements aussi
est restreint en cellule, il est impossible d’avoir accès à l’heure et la moindre occasion est utilisée par les
matonnes pour rédiger des rapports disciplinaires.
Elles y sont incarcérées avec avec une quatrième détenue classée «islamiste». Afin de faire entendre
leurs voix et contester ces nouvelles conditions de détention invivables, Silvia et Anna commencent
une grève de la faim à la fin du mois de Mai 2019. Cette grève sera reprise par d’autres détenu.e.s
anarchistes sur le territoire italien, et notamment Natascia (arrêtée dans le cadre de l’opération
Prometeo) qui est transférée à l’Aquila peu après. Quand à Agnese, elle est sortie aux arrêts domiciliaires
quelques semaines plus tôt. Elles terminent leur grève de la faim après 29 jours consécutifs, mais pour
d’autres compagnon.ne.s, elle sera moins longue notamment à cause de problèmes de santé, car l’un
des grévistes va perdre un organe et se retrouver à l’hôpital après une dizaine de jours.
La section féminine de l’AS 2 de l’Aquila finira par fermer, Silvia sera transférée à la prison de la Vallette
à Turin pour assister au procès d’une autre affaire et les autres détenues seront éparpillées dans d’autres
prisons italiennes. Silvia restera dans cette prison jusqu’à la fin du mois de septembre. Le module AS2
n’existant pas à la Vallette, elle sera mise en isolement total et sans possibilité d’aller en promenade avec
d’autres détenues ni même de communiquer avec elles au début.
Après presque 7 mois de détention quasiment sans courrier, elle sera par la suite mise aux arrêts
domiciliaires, avec les restrictions maximales (interdiction de sortir, de rentrer en contact ou de voir
des personnes non domiciliées à la même adresse…). Ces restrictions sautent quelques semaines avant
sa libération courant janvier 2020, le mandat de dépôt d’un an arrivant à échéance le 7 février. Elle sera
alors contrainte à une interdiction de séjour à Turin, mesure qui perdure actuellement.

A l’automne 2019, deux personnes sont arrêtées pour d’autres attaques recensées dans l’enquête
Scintilla. Le premier va rester jusqu’au début de l’été 2020 en prison pour une lettre piégée à Ladisa, le
deuxième, Beppe, inculpé de l’attaque d’un distributeur de banque à Gênes, est déja incarcéré dans le
cadre de l’opération Prometeo. Ils ne passeront à priori pas en procès avec les autres.

En ce qui concerne la dernière inculpée, Carla, un mandat d’arrêt européen est émis à son encontre fin
février 2019 et les recherches en France sont lancées en septembre 2019. En Novembre 2019, quelques
jours après l’hospitalisation d’un parent, les flics débarquent aux domiciles de ses deux parents ainsi
que dans un squat de proches une semaine plus tard. Elle sera arrêtée le 26 juillet 2020 à Saint-Étienne.
Les flics de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention) et la DGSI (Direction Générale de la Sûreté
Intérieure) l’embarquent et la SDAT (Sous Direction Anti Terroriste) se charge des interrogatoires et
du transfert à Paris.
Durant les 536 jours de cavale loin de ses proches et de son quotidien, elle n’a pas été oubliée par la
solidarité. La vie en clandestinité, dans une société où le contrôle est omniprésent, s’éloigne de la
vision romantique que l’on peut imaginer et ne laisse pas tou-te-s ces compagnon.ne.s libres.
Bien qu’il soit parfois complexe de parler de la cavale pour s’en solidariser sans mettre la personne en
danger, le silence et l’oubli dûs à ce genre de situation peuvent amener à une sensation d’isolement
auquel il semble intéressant de réfléchir. Carla écrira dans une lettre publique après son incarcération
«on n’est pas libres quand on est privé.e de sa vie».
On sait peu de choses de la collaboration entre les flics européens mais on ne peut que constater que
les frontières européennes ne sont pas une limite aux arrestations et qu’ils n’hésitent pas à mener des
opérations coordonnées. En Italie, Salvini alors premier ministre, a fortement médiatisé une chasse
aux «terroristes» réfugiés dans d’autres pays d’Europe, suivie de l’extradition et de l’incarcération de
Battisti, mais aussi l’histoire de Vincenzo Vecchi.
Le Mandat d’Arrêt Européen (MAE), est appliqué depuis le 1er janvier 2004 dans le cadre de l’Union
européenne. Il se substitue aux procédures d’extradition en les automatisant et supprime la possibilité
pour les États membres de refuser le transfert. L’émission d’un MAE concerne les personnes non
condamnées risquant une peine d’au moins un an ou les condamnations effectives d’au moins quatre
mois de prison.
Ces dernières années, la coordination des polices européennes semble avoir touché de plus près les
milieux anti-autoritaires. On pensera notamment aux arrestations en Espagne et aux Pays-Bas dans
l’affaire du braquage de Aachen, les arrestations dans plusieurs pays suite au G20 de Hambourg, ou
encore les arrestations simultanées de personnes en Italie, France et Espagne dans le cadre de l’opération
Byalistok.

Après avoir accepté l’extradition, elle passe quelques semaines en prison en France, dont une bonne
partie en quatorzaine coronavirus, puis elle est envoyé en Italie où une nouvelle quatorzaine l’attend.
Elle se trouve actuellement à Vigevano dans une section Alta Sicurrezza 3, à l’instar des autres détenues
anarchistes éparpillées sur tout le territoire italien, la seule section féminine AS2 (Rebibbia) encore
existante n’ayant pas assez de place et étant donné la volonté de l’État italien de les séparer.
Suite à une censure du courrier, il ne passe que très peu pendant plusieurs semaines. Le 2 octobre, la
mesure est levée lors d’une audience. Le mois de son arrivée, les mesures restrictives prises pendant le
confinement s’allègent et font passer les parloirs en vis-à-vis d’un à deux par mois.
Le 18 septembre 2020, a lieu une audience de réexamen de l’affaire, au cours de laquelle l’association
de malfaiteurs à visée subversive tombe, comme se fût le cas pour tou.te.s les autres inculpé.e.s, mais
elle voit sa demande de mise aux arrêts domiciliaires refusée. On ne connait toujours pas à ce jour la
date de fin de l’instruction, les délais étant rallongés à cause du deuxième confinement. A ce jour, les
parloirs vis-à-vis ont été supprimés, substitués par des parloirs via Skype.
Pour briser cet isolement, des parloirs sauvage ont lieu à plusieurs reprises au pied de la prison.
De l’autre côté de la frontière il y a eu aussi des messages de solidarité, feux d’artifice, bureaux de poste
ou de la croix rouge tagués… Les cibles font référence à la lutte en Italie mais surtout en France où par
exemple, à la poste, des employé.e.s balancent des sans-papiers aux keufs. Par ailleurs la Croix rouge
est présente dans les camps comme caution humanitaire et dans la gestion du tri et de l’enfermement
des migrant-e-s en France comme en Italie.

Continuons de montrer notre solidarité avec Carla et avec tou.te.s les anarchistes frappé.e.s
par la répression en Italie ces dernières années !

VIVE LA BELLE, CREVE LA TAULE !