7H45 ce matin, samedi 18 juillet. Des passants voient des flammes à l’intérieur de la Cathédrale de Nantes. Branle bas de combat. Des dizaines de pompiers viennent éteindre le feu. Très efficaces : en deux heures, il est maitrisé. La structure du bâtiment, qui avait déjà pris feu en 1972, est en béton. Pas inflammable. Mais la machine médiatique et politique est enclenchée. Les chaînes d’infos en continu ne parlent que ce ça. Et tout le gouvernement va en profiter pour faire sa com’.

10H, le Premier Ministre Jean Castex déclare qu’il descend à Nantes. Puis c’est le ministre de l’Intérieur Darmanin, et la ministre de la culture Bachelot qui annoncent leur venue. Le feu est déjà éteint, et de toute façon, ces personnages sinistres n’ont aucune compétence en matière d’incendies. Peu importe, en plein été, c’est le coup de com’ idéal. Et l’occasion pour le ministre accusé de viol de venir s’afficher.

Dès 11H, les images de l’intérieur de l’édifice sont diffusées. Elles montrent des dégâts assez limités. Bien moindres que le premier incendie, de 1972, ou même du feu à Notre-Dame-de-Paris. De la suie sur les murs, des vitraux cassés – mais la plupart avaient déjà été soufflés lors des bombardements en 1944. Et surtout, un orgue parti en fumée. C’est la principale victime du feu : un orgue. Sur les deux que compte la Cathédrale. Oui, c’est triste. Oui, une belle pièce d’artisan a disparu. Mais cela mérite-t-il toute l’attention médiatique et le déplacement du gouvernement ?

12H, l’extrême droite est en ébullition. Le début de l’enquête fait planer l’hypothèse d’un incendie volontaire. Des politiciens fascisants parlent d’un « grand basculement » et d’une attaque contre la « civilisation ». Rien que ça. D’autres s’en prennent directement aux musulmans. Pour rappel, cette Cathédrale a été, entre autres, attaquée par les Vikings, transformée en arsenal pendant la Révolution, puis en temple païen, partiellement détruite en 1800, soufflée par les bombardements de 44, et enfin brûlée en 1972. La disparition d’un orgue est un triste épisode dans une longue et tumultueuse histoire.

13H : le centre-ville est bouclé. Plusieurs compagnies de CRS se déploient. Les habitants du quartier ne peuvent quasiment plus rentrer chez eux, et subissent des contrôles.

15H : les forces de l’ordre font reculer les premiers manifestants. Les journalistes subissent des tests d’explosif. Deux reporters avec carte de presse sont expulsées par les services de renseignement, car elles ne sont pas assez conformes au discours officiel.

15H15 : le périmètre bouclé par des hommes en arme est démesuré. Il ne faudrait surtout pas que les ministres risquent de voir ou d’entendre un seul nantais. Quand le gouvernement se déplace, la population est priée de disparaître.

15H30 : 300 personnes protestent : féministes, badauds, et Gilets Jaunes sont repoussés loin. Des pancartes contre Darmanin sont brandies. Des femmes mettent l’ambiance en chantant des slogans contre le sexisme. Les CRS parlent de faire une « nasse ». Pendant ce temps, la maire Johanna Rolland, accompagnée du Préfet Claude D’harcourt, fait visiter les lieux aux ministres, à l’abri de dizaines de CRS.

17H : un cortège officiel de 20 voitures et plusieurs motos, ramène les ministres vers leurs avions, à travers des rues désertes. L’opération de com’ est terminée.

18H : Il a fallu des semaines avant qu’un seul mot du gouvernement ne soit prononcé concernant la mort de Steve il y a un an. Il n’y pas eu le moindre déplacement après la mort de Zineb à Marseille, d’Adama à Beaumont, ni pour les autres personnes tuées par la police. Pas de déplacement à Rouen lors de l’incendie toxique de Lubrizol. Chacun ses priorités.

C’était le récit du samedi 18 juillet. Le jour où la vie politique du pays s’est arrêtée à Nantes, pour saluer la mémoire d’un orgue.