Rompre avec le féminisme ambiant

 

 

Contexte

 

Le 5 novembre au soir, la FSE (ex-aile gauche de l’UNEF) et l’Alliance Rebelle (Armée de Dumbledore + Solidaire étudiant), ont publié un communiqué de tricardisation d’un camarade rennais de la Défense Collective. Le texte contient, entre autre : l’identité du camarade, le nom du groupe politique auquel il appartiendrait et les faits qui lui sont reprochés. On peut considérer, à la lecture, que les accusations se divisent en deux : d’une part, une soi-disant « agression avec coups et blessures, dans le cadre d’une relation sexuelle », d’autre part le fait d’être resté militant à Rennes 2 et sur les réseaux sociaux après cette agression. Autrement dit, le choix, fait par lui, et permis par ses camarades, de continuer à s’organiser politiquement.

 

Le communiqué a été abondamment relayé sur Twitter et Facebook où, à minima, des milliers de personnes l’ont vu. Expansive info, le site mutu locale, le relayait, lui, le 7 novembre, précisant : 

 

« Bien que l’équipe d’expansive n’ait pas pour habitude de publier des articles impliquant nominativement des militants, nous choisissons de relayer ce texte par solidarité féministe et par confiance a priori dans les personnes qui nous l’ont transmis. »

 

Cette tricardisation a, en partie, un caractère exceptionnel. Il semble en effet, y avoir eu une sorte de stratégie concertée de publication du texte, visant à ce qu’il soit relayé rapidement et efficacement. 

 

Un ancien syndicaliste étudiant de Rennes, a, pour assurer la publication du texte, supprimé, un temps, toutes les personnes pouvant publier sur la page Facebook de l’Assemblée Générale de Rennes 2. Diverses pages de la FSE ont relayé ce texte très rapidement. Enfin un certain nombre de personnes des milieux « éducation populaire », alterno et autonome, a participé à diffuser cette initiative des syndicats étudiants1..

 

Dans un tout autre registre d’exceptionnalité, la publication du nom de famille du camarade est quelque chose d’unique, à notre connaissance, dans un processus de tricardisation pour agression. Jusqu’ici, nous étions plutôt habitués aux initiales, qui permettaient à toutes les personnes d’un espace politique de comprendre qui était la personne désignée. Cette extension du domaine de la tricardisation, en publiant un nom complet, peut toucher toutes les personnes qui connaissent (et connaîtront) l’accusé : ses parents, son employeur, ses profs de fac, ses collègue d’études ou ses amis d’enfance, a sans doute pour but, de produire une mise au ban sociale plus vaste que d’habitude. Une tricardisation, qui puisse atteindre les espaces non-politiques de la vie du camarade.

 

 

Tricardiser

 

Ces éléments mis à part, cette énième tricardisation, ressemble à toutes les autres. Ses objectifs sont tristement classiques : mise au ban social du concerné, isolement politique (obliger son orga à le lâcher, le faire partir), et exclusion des espaces de luttes (du moins ceux que fréquentent ces syndicalistes). 

 

Par ailleurs, il s’agit également, au travers de cette tricardisation, d’avancer, d’affirmer, d’imposer les points de vues et les pratiques, d’une certaine forme de féminisme.

 

 La sororité obligatoire. Logique selon laquelle, toutes les femmes se doivent d’être solidaires notament lorsqu’une action contre un « agresseur » est entreprise.

 

« C’est d’abord dans une logique de sororité que nous agissons. […] Cet impératif de protection entre femmes […]. Il est impératif d’agir contre ces solidarités (masculines ndla) qui cultivent l’impunité des agresseurs, et s’installent dès que le rapport de force féministe s’atténue.2  »

 

La non-mixité, comme façon de s’organiser lors d’histoires d’agressions sexuelles ou de viols.

 

« Face aux cas de violences sexuelles au sein de nos milieux militants, le premier réflexe doit être de convoquer une réunion en organisation non mixte. »

 

 L’essentialisme. Toutes les femmes partageraient une situation commune, ainsi par leur simple appartenance au même genre, elles constitueraient un « groupe femme », ce qui implique que dans leur rapport au monde, à la « société », aux luttes, au travail, et aux hommes (considérés comme membres du « groupe homme »), elles auraient toutes des interêts communs. Interêts contradictoires et conflictuels avec le « groupe homme ».

 

Exploitées, dominées, systémiquement asservies et proies potentielles, dans ce discours, le groupe femme est considéré comme un groupe sans cesse et structurellement victimisé. 

 

Cet essentialisme est diffus dans le communiqué de tricardisation de l’intersyndical, mais il permet un tour de passe-passe malicieux. Par exemple, l’intervention de membres de la Défense Collective (DC) au sein d’une réunion de militantes syndicales organisant la tricardisation d’un camarade3 y est considérée comme une action visant « à faire taire des femmes » se défendant contre les violences sexistes et sexuelles. L’inter-orga cherche à produire le groupe « femme », en laissant entendre que, dans toute cette histoire, c’est lui qui est attaqué et qui doit se défendre.

 

L’attitude de la Défense Collective dans cette affaire (sa gestion de l’histoire en dehors du groupe politique, son refus de l’exclusion) est considérée comme étant guidée par des solidarités masculines autour du camarade accusé et par une logique masculiniste. Soit la volonté délibérée, politique, d’organiser la domination des hommes sur les femme4.

 

Le sous-texte de l’inter-orga est le suivant : les femmes, sans cesse agressées, doivent se défendrent par elles-mêmes et entre elles (grâce à une solidarité à organiser ou à tenir) contre les hommes, qui cherchent à imposer ou maintenir leur domination (par une solidarité qui serait réelle et existante). Une lecture qui justifierait l’exclusion du camarade, des espaces politiques pour tenir en respect les hommes, agresseurs en puissance. Dans cette situation, l’exclusion devient un outil, une issue plausible et régulièrement mise en oeuvre.

 

Cette lecture du réel ne nous convient pas. Elle est à la fois pauvre et dangereuse. 

 

Pauvre. 

 

Cette lecture laisse entendre, que dans tout rapport entre un homme et une femme, ce qui se jouerait d’essentiel c’est la domination et la volonté de dominer, de l’homme sur la femme. Que dire du rapport entre un frère et une sœur, une mère et son fils, deux amis ? Et à quel point faut-il appauvrir le réel, le regarder à travers les lunettes de l’idéologie pour considérer que tout rapport (de travail, d’amitié, de collaboration, d’éducation etc.) mettant en lien des hommes et des femmes, est avant tout un rapport dominant-dominée ? Le réel est bien plus complexe, les rapports hommes/femmes n’y sont pas aussi déterminants, ni la vie des gens aussi univoque.

 

D’ailleurs c’est dans ce sens que pour faire coller le réel à leur dogme, les membres de l’interorga sont obligés d’écarter, dans leur texte, toute solidarité autour du camarade en question, qui serait venue de femmes. Sans aucun doute s’ils avaient dû évoquer ces solidarités, l’explication en aurait été l’influence ou la servitude volontaire. Traiter ses sœurs d’idiotes ou de potiches, voilà qui est bien peu féministe, alors : le silence.

 

Dangereuse.

 

Dans son texte l’inter-orga laisse entendre que la non-mixité serait à même de prévenir les violences sexuelles et de les juguler. En maintenant le « rapport de force féministe », (entendre exclusions et tricardisations) on serait à même de mettre fin à l’impunité des agresseurs et donc CQFD, de les faire disparaître ou reculer. Il faut sans doute, ne jamais s’être intéressé à la justice et à la prison, pour croire que les personnes commettent des violences en raisons d’un certain coût d’opportunité. Quels camarades peuvent être ceux qui disent, que la répression, la punition, va éteindre le problème et que ce qui manque aujourd’hui, c’est une justice plus efficace et plus expéditive.

 

Car c’est de ça qu’il s’agit. La justice étatique étant considéré comme patriarcale, particulièrement douce avec les agresseurs et les violeurs, ce serait au milieu de produire une justice efficace et réactive. Ça sent bon le procès stalinien quand on voit des gens sur l’ensemble des réseaux où circule le texte de la FSE, des personnes venues de nulle part dire : on s’en fout de l’explication de la DC, c’est un agresseur on le vire, il n’y a pas à discuter. C’est sûr qu’une telle régularité dans l’application de la peine aurait fait rougir Sarkozy et ses peines planchers. Sans parler de l’absence totale de garanties et de moyens de se défendre, puisque la parole seule de la victime suffit à dire ce qui est agression et ce qui ne l’est pas et que quiconque se met un tant soit peu en travers de l’inquisition et ses curés purificateurs, se fait traiter de « mascu ».

 

A ce jeu là, la seule chose qu’on produit, c’est la transformation des militants chaque jour un peu plus en procureurs (demande de peines), en juges (quel camarade a suffisamment fauté pour disparaître, lequel s’est suffisamment racheté pour rester un peu) et en flic (surveiller si, toutes les personnes de la liste longue comme le bras des « agresseurs », est bien absente de chaque AG, manif, etc…). La production d’espace safe devient une injonction qui empoisonne la vie des militants, les obligent sans cesses à se retrancher, loin du réel, du monde extérieur, à purger ses rangs et au final à abandonner la lutte, incapable de produire une force et de faire avec le monde, pour y intervenir.

 

 

 

 

Faire de la politique

 

À regarder ce monde, une certitude, nous n’y voyons pas la même chose que les féministes de l’inter-orga. Mais ce n’est pas le seul élément qui nous amène à refuser leur discours et leurs pratiques. Faire de la politique, pour nous, c’est se donner les moyens de transformer radicalement le réel. Considérant que celui-ci repose sur le capitalisme, l’exploitation et la captation de la richesse au travers du travail, nous reconnaissons aisément que cette exploitation peut s’appuyer, de façon variable, sur une segmentation sexiste de la société et produire au passage une culture sexiste. Pourtant, nous refusons de faire de la politique depuis cette segmentation, parce que nous considérons que lutter depuis cette position est stérile.

 

Elle ne peut qu’amener à masquer les mécanismes de l’exploitation qui traverse le « groupe femme » (qui est vraiment exploité dans ce groupe, de quelle manière et par qui) et créer des subjectivités handicapantes et meurtries. Je suis femme, je dois lutter en tant que femme, soutenir mes soeurs, vivre à chaque minute comme femme et assumer le poids d’une histoire pleine de larmes, d’une communauté de luttes composée de victimes. Je suis obliger de considérer chaque homme comme un ennemi en puissance et me garde donc d’eux. Philosophie d’assiégé.

 

C’est sans doute parce que nous sommes révolutionnaires que nous refusons d’hériter du monde, de toute assignation et de toute mémoire, comme d’une charge que nous devrions porter. Être homme, être femme; se déconstruire et lutter contre sa socialisation de dominant ou se protéger et protéger les autres victimes contre un danger incessant. Travail de Prométhée.

 

La gestion macabre du malheur de l’ensemble des personnes agressées ne fait pas partie de notre champ de lutte parce que nous ne sommes ni des justiciers, ni des mégalomanes qui prétendent être à même de régler le fonctionnement de l’univers. Pour finir, nous ne serons, dans cette histoire, ni juges, ni flics, ni gestionnaires du malheur, ni hommes, ni femmes, ni groupe de parole, ni soutien inconditionnel du milieu dans ses délires de justiciers et nous rangerons à côté de ceux qui considèrent que la vie d’un camarade, son existence politique, sociale et son nom, ne sauraient être détruits par deux dizaines de syndicalistes avides d’exercer leur petit pouvoir et de faire la morale au monde.

 

Michel et les autres.

1Il semble assez évident que les syndicalistes de Rennes 2, FSE (ex-unef), Solidaires et Armée de Dumbledore, utilisent aussi cette histoire pour reprendre le contrôle politique de la fac. Eux qui, contrairement à la DC et à Rennes en résistance (ex-RLE) étaient inexistants sur la Fac depuis 2016, ont en quelques heures pris le contrôle exclusif de la page de l’Assemblée Générale de Rennes II (suivis par 15 000 personnes) et du comité de mobilisation, groupe facebook très actifs (5000 personnes) où les admins sont désormais : 2 personnes de la FSE, 2 personnes de Solidaires, 2 personnes de l’AD ! Quand idéologie et pratique se mêlent, ça fait……….. des grosses magouilles et des bonnes purges !

2Les citations, sont tirées du texte de l’inter-orga.

3Rentrer à une vingtaine dans un local politique, pour lire un texte contre l’esclusion de leur camarade.

4Le texte de l’inter-orga parle d’un cas particulier, mais en l’incluant dans une sorte « d’histoire longue » des agressions. Ex :« X. n’est pas le premier agresseur à être couvert par une organisation militante et, si nous n’agissons pas, ce ne sera pas le dernier. »

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