C’était pourtant une belle journée, quelques rayons de soleil traversaient la grisaille, des corneilles ponctuaient les cris des bergeronnettes. C’est l’arrivée du printemps, on voit la canopée sortir de sa torpeur, on sent un souffle d’air vivant qui nous pénètre, et l’ouverture au loin d’une blanche fenêtre, on mêle sa pensée au clair-obscur des eaux, on a le doux bonheur d’être avec les oiseaux, et de voir, sous l’abri des branches printanières, que parfois la vie est belle. Mais on voit aussi ces salauds faire, avec les races, des manières…

Était annoncée au bar-restaurant le Lieu Dit (6, rue Sorbier dans le XXe), pour le jeudi 17 mars 2016 à 19 heures, une conférence d’Houria Bouteldja, patronne du Parti des Indigènes de la République (PIR), en présence et à l’invitation de son éditeur Éric Hazan, autour de son livre?Les Blancs, les Juifs et nous (La Fabrique, mars 2016), ainsi qu’avec Maboula Soumahoro, « ?civilisationniste? » (de ses propres dires), membre de la MAFED (société-écran du PIR lancée pour l’organisation de la « ?Marche de la dignité? » en 2015) et nouvelle seconde d’Houria Bouteldja, en tant que « ?discutante? », quelle que soit la nature de ce rôle (existe-t-il un doctorat en discutation studies? ?). Elle précisera dans la soirée qu’elle, elle n’est pas militante.

Il s’agit donc ce soir d’être le public de trois personnes qui discutent entre elles avec des micros devant un parterre qui boit des bières et grignote du pop-corn (ou plutôt des croustillants de gambas sur poêlée de légumes croquants, 15 €), et qui donc seraient censées nous illuminer, nous persuader, nous éduquer, ou toute autre fonction que l’on prête à une « ?conférence? », aussi bas de gamme soit-elle. Le public est au rendez-vous, une quarantaine de personnes, bien en avance, au garde-à-vous. Un public qui ressemble à celui du Cent Quatre ou du Point éphémère, entre le grand bourgeois, le hipster, le youtuber, le galeriste et le chic-et-shlag. Après tout, la Fashion Week venait de s’achever à Paris, et il était tout à fait normal qu’elle perdure dans les esprits bohèmes de nos studieux trentenaires parfumés, héros de la post-connerie universitaire.

Des agents de sécurité disposés ça et là dans la salle étaient sans doute les auditeurs les moins attentifs. On croisera ce soir-là quelques étoiles montantes de la politique dépoussiérée au 2.0. Sommes-nous en présence de futurs ministres? ? Sûrement, et quel honneur? ! La réussite, ma bonne dame, la réussite. Si Emmanuelle Cosse l’a fait, pourquoi pas eux? ? Morgane Merteuil et Thierry Schaffauser [1] du STRASS, Amal Bentounsi, Sihame Assbague, Oceane Rosemarie, mais aussi Youssef Boussoumah (numéro 2 du PIR), qui lui s’occupe du service après-vente et de la propagande, accoudé au bar (n’émanera du côté du comptoir qu’un seul mot, de façon répétitive? : « ?juif juif JUIF? »), ce sont les personnalités publiques présentes ce soir-là.

De sa chaire, Hazan ouvre le bal. Il lance le sujet en commençant par aborder l’auto-préface de Bouteldja, intitulée « ?Fusillez Sartre? !? »? : « ?Moi l’orphelin de Sartre […] ça me semblait problématique de prendre Sartre comme une espèce de personnalisation de la mauvaise conscience blanche, bien que c’est vrai que, bon, au moment de la création d’Israël, il a pris position?? ». Mais Hazan n’explique pas quel rapport, qui lui semble tellement naturel qu’il n’y a pas à l’expliciter, il fait entre ladite « ?mauvaise conscience blanche? » et la « ?prise de position? » au sujet de la création de l’État d’Israël. Cela doit vouloir dire, pour Hazan, qu’Israël est le produit d’une « ?mauvaise conscience blanche? ». Une analyse pour le moins novatrice… Remarquons un premier forçage discursif? : une certaine vulgate anti-impérialiste entend que la création de l’État d’Israël est le fruit d’une mauvaise conscience « ?occidentale? » (comprise comme celle des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale). Par la magie décoloniale, cette mauvaise conscience a une couleur? : elle est donc « ?blanche?? ». De plus, mettre ainsi sur le compte d’une conscience, bonne ou mauvaise, donc mettre sur un plan moral ce qui animerait les États et les instances internationales est vraiment le signe qu’au moins, Hazan prend son auditoire pour ce qu’il est…

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