A Angers, jusqu’ici, le mouvement des Gilets Jaunes et ses petits cortèges faisait peu parler de lui. Ou alors sous un angle peu flatteur : lorsqu’une bande de militants d’extrême droite avait tenté de prendre la tête d’une manifestation en décembre. Il faut aussi dire que beaucoup d’angevins vont manifester à Nantes chaque semaine. Cette fois ci, un appel régional à converger dans la ville du Maine-et-Loire avait circulé. Les jours précédents, le préfet avait annoncé une ville « bouclée », une manifestation « interdite », et les médias avaient fait monter l’anxiété, à propos de groupes «venus d’ailleurs ». Cela n’a pas empêché plusieurs milliers de personnes de s’y retrouver, de défiler, et de déjouer tous les pièges policiers. L’arrêté préfectoral interdisant l’accès au centre-ville historique n’a pas tenu plus d’un quart d’heure. Une poignée de militants racistes ont par ailleurs été priés de décamper dès le début de l’après-midi.

Ainsi, les 3 à 4000 manifestants réussissent à aller jusqu’au cœur de la ville, sur la Place du Ralliement, pourtant gardée par un gros dispositif policier. Sans violence, les gendarmes, encerclés par les manifestants, doivent décamper, avant de tirer des grenades lacrymogènes. Ce qui provoque le début d’une série d’affrontements dans toute la ville. Des barricades imposantes poussent sur les grands boulevards. Un feu est allumé devant la banque de France, feu lui-même entouré de barricades pour éviter que les flammes ne soient éteintes trop vite. La préfecture est aussi ciblée, et les manifestants repoussés par un canon à eau, avec des affrontement particulièrement soutenus. Des images inédites pour cette ville, d’ordinaire réputée pour son calme. Il faut dire qu’on n’a pas du voir à Angers de barricades enflammées depuis mai 68.

Cette manifestation angevine permet aussi de saisir l’ampleur du niveau de violence policière qui frappe Nantes depuis des mois. Un medic nantais parti à Angers témoigne : « les trois quart des gens ne connaissaient pas l’odeur de la lacrymo. C’était une ambiance paradoxale car on a fait reculer pacifiquement les forces de l’ordre sur une place. Ils nous ont laissés passer. Les médics avaient le droit de passer entre les cordons de CRS, c’était tellement bizarre pour moi qui ne fais que des manifs nantaises. Ceci dit, c’est clair la police a été débordée à Angers. »

A Rennes, où, comme à Angers, le mouvement des Gilets Jaunes ne s’était pas montré très dynamique, un appel régional avait aussi été diffusé. Avec le même scénario policier, les mêmes titres anxiogènes dans la presse. Comme à Angers, l’enjeu de la manifestation sera donc simplement de pouvoir manifester dans le centre-ville, qui était interdit d’accès.

Ce samedi, la ville bretonne retrouve l’agitation qu’elle a connu pendant la Loi Travail, avec au moins 3000 manifestants, plusieurs heures de défilé, d’escarmouches, et l’envahissement du cœur historique de la métropole en fin d’après-midi. Tags, actions diverses, barricades, feux de joie et tirs de lacrymos. La police fait un usage immodéré de ses munitions, et plusieurs blessés sont recensés, notamment une femme victime d’un grave malaise lors d’une charge, et laissée inanimée sur le sol.

Et à Nantes ? Malgré les appels « régionaux » dans les deux villes voisines, et le niveau de répression délirant atteint chaque semaine, ce samedi est encore marqué par une manifestation importante, de plusieurs milliers de personnes, qui tiendront vaillamment la rue de 13H à 20H.

Avec en guise de nouveauté, une convergence inédite. Un appel à manifester « contre le racisme et le fascisme » circulait sur les réseaux depuis plusieurs jours. Plutôt que de faire deux défilés au même moment dans la ville, les Gilets Jaunes et les collectifs antiracistes marchent donc ensemble à Nantes, derrière des banderoles sans concession contre le poison de la division raciste. Une première encourageante, qui permet de d’affirmer qu’ici, la xénophobie et les discriminations ne sont pas bienvenues dans la révolte populaire en cours. Après un premier parcours en kways noirs et gilets jaunes plutôt calme, le collectif antiraciste qui organise le premier tour se disperse au niveau de la préfecture. En lançant un appel pour le moins surprenant : éviter les affrontements avec la police, pour rester « safe ». Comme si la violence n’était pas déclenchée par la police lors des manifestations comme dans les quartiers.

Le cortège repart pour un deuxième tour, et continue de gonfler. La détermination monte. Il y a, ici aussi, autour de 3000 manifestants. Après plusieurs tirs de grenades sur le Cours des 50 Otages, le cortège envahit les quartiers riches, Guist’hau, Graslin, les rues autour du Museum d’Histoire naturelle, jusqu’à Mellinet. Les charges, les affrontements se succèdent. Les arrestations aussi. Une banderole antifasciste est volée avec une grande violence. On voit la BAC surarmée et cagoulée, arrêter des manifestants pour « visage dissimulé » ou « port d’arme ». Ce qui est aussi drôle que préoccupant.

Des feux sont allumés en différents points de la ville. La nuit tombe, et des irréductibles tiennent la rue. Autour de 19H, c’est l’overdose de gaz dans le centre ville. Des terrasses de bar, cours des 50 Otages, reçoivent gratuitement des grenades. Un patron exprime sa colère contre la police au passage de manifestants : « nous les commerçants on est d’accord avec vous. » Des rangées de policiers sillonnent le cours sous les huées, on ne sait plus qui est manifestant ou passant, quand les projectiles sont lancés. Il se raconte qu’une bijouterie a été attaquée.Tirs de feux d’artifice contre tirs tendus des nouveaux fusils multi-coups. Les forces de l’ordre semblent en roue libre totale. Des camions de police chargent directement dans la foule devant le château des Ducs, en zigzaguant dans les groupes de manifestants. Une attaque extrêmement dangereuse, des gens sautent dans les douves. Une sexagénaire est choquée par la violence répétée des policiers. Les medics recensent une quarantaine de blessés dont deux plaies ouvertes à la tête. Malgré l’intensité de la répression, la police a, encore une fois, échoué à faire taire la contestation.

Cet Acte X aura dont été marqué par une extension du mouvement des Gilets Jaunes dans l’Ouest. Des milliers de personnes auront tenu la rue simultanément à Nantes, Rennes et Angers. A Toulouse, au moins 10 000 personnes manifestaient au même moment, un record, et à peine moins à Bordeaux. Rien n’arrête une révolte qui monte. A suivre !

Photos prises pêle mêle à Nantes, Angers et Rennes par Maka, Taranis, L’indé nantais, la presse …