___Et donc, séparés par les frontières raciales, nous trouvons d’un côté «Les Blancs» qui aiment «l’Amour», tout comme ils aiment «la Paix», avec des majuscules et un silence de cathédrale tout autour. Notre silence.» De l’autre côté, nous trouvons les «non-blancs», qui savent de source sûre que derrière la générosité, l’amour, les lois et la paix universelle, le «vrai visage» de l’homme blanc est «celui de la domination». Avec l’homme blanc, éternel colonialiste pour des siècles et des siècles, sans espoir de retour ni de pardon, rien ne peut échapper (ni les relations intimes, ni les corps, ni les identités) à «la violence des rapports sociaux de race». L’homme blanc est un monstre, sans nuances ni contradictions, tout ce qu’il touche est perverti, face à l’homme non-blanc qui est l’avenir d’une humanité sans domination.

* M. Benabdellah définit de quel lieu il parle: «Je suis ce qu’ils appellent un métis». Métis issu de quelle rencontre ? Il ne le dit pas. On comprend dans la suite du texte qu’il n’est pas noir, et l’on peut supposer qu’il est né de la rencontre d’un homme maghrébin avec une femme blanche, peut-être française, quoique son prénom et son patronyme ne nous disent rien de ses racines blanches, qui sont absentes de son identifiant et de l’énonciation. En tout cas, M. Benabdellah rejette tous les hommes blancs qui ne peuvent être que mauvais par essence, qu’ils soient de droite, de gauche, racistes ou antiracistes.

  • Pour le blanc suprémaciste, «nous salissons son sang, nous en sommes les preuves vivantes. Nous sommes les éclaireurs d’une armée de bâtards qui va bientôt le submerger, et ouvrir la porte à l’invasion définitive. Quand il nous voit, il pense au rapport qui nous a engendrés, à la femme blanche souillée qui hante ses fantasmes».
  • L’autre visage du pouvoir blanc, celui du blanc de gauche, qui aime les étrangers, surtout les métis, est tout aussi suspect: «il nous donne une mission. Il nous dit que le métissage est la seule voie vers la disparition du racisme, qu’il est la seule voie vers la réalisation d’une Humanité une et entière. Avec lui, bien sûr.» {Quelle impudence inouïe a cet homme blanc de ne pas vouloir être rayé de l’avenir de l’humanité!}

* Et donc, s’il y a des métis, c’est parce que l’abominable homme blanc colonial a jeté ses hommes sur nos mères et tué nos pères. Nous avons été conçus, nous métis, comme les étapes nécessaires vers la totale dissolution des peuples colonisés. Mais, M. Benabdellah, l’homme blanc, en se mêlant aux colonisés, ne perd-il pas en la dissolvant sa pureté raciale lui aussi ?

=> Mais attention, pour l’homme blanc colon, il y a le bon et le mauvais métis.

  • Le bon métis est issu d’un père blanc colonial ayant pris «le pouvoir sur le corps de la femme indigène. Il voulait éduquer l’enfant, lui donner son nom, en faire «quelqu’un», inférieur bien sûr, mais quelqu’un». L’épouse adoptait le statut juridique du mari. Elle bénéficiait de la scandaleuse «émancipation des femmes indigènes contre les coutumes de leurs peuples, marquant ainsi dans les pratiques et les imaginaires cette figure des ‘homme blancs sauvant les femmes brunes des hommes bruns’».
  • Le métis de mère blanche, en revanche, est une menace, une insulte, un péché. Sur lui planait l’ombre de l’homme indigène. L’homme indigène était l’ennemi, le premier voué à la disparition, l’asservissement, la castration. {M. Benabdellah ne dit évidemment rien de la castration des hommes africains noirs, pratiquée pendant des siècles par les arabo-musulmans, au cours de l’abominable traite négrière en forme de génocide voilé (Tidiane N’Diay): cela contredirait trop son schéma manichéen, son réquisitoire à charge contre l’homme blanc. Il ne dit rien de l’hégémonie coloniale musulmane. Le non-blanc (noir, arabe, maghrébin) est par essence dépourvu de toute pulsion de domination, il ne peut être que victime. M.Benabdellah ne dit pas un mot non plus sur les métissages multiples de personnes d’origines, de couleurs, de religions différentes: seule compte sa problématique à lui, l’alliance contre-nature du blanc colonial français et du non blanc maghrébin colonisé.}

* Et M. Benabdellah de nous décrire ensuite la peur du colon qui se sentit menacé au fur et à mesure que se multipliaient les fruits de ses unions avec les femmes indigènes. Et si les règles que l’homme blanc avait patiemment mises en place n’étaient plus respectées ? Si sa femme, ses filles lui échappaient? Si l’homme indigène, asservi au fond de ses mines, prenait sa revanche ? Et si ces femmes indigènes, si dociles, détournaient ses enfants de sa blancheur ? […] Il se demandait si ces populations qu’il avait créées n’allaient pas le faire disparaître, lui. Et c’est ce qui se produisait. Ses «enfants» retrouvaient leurs peuples, détournaient ses ressources et ses armes dans la lutte contre le colonisateur. Le métis tuait le père Blanc.»

* L’homme blanc est donc retourné chez lui, après cette humiliante défaite. Et le Pouvoir Blanc changea de visage, de discours et de méthode, ouvrant cette nouvelle ère désignée trop vite comme «post-coloniale», l’ère de la contre-révolution coloniale. Il rendit tabou le mot «race» qu’il avait inventé, invoqua des sociétés multiculturelles à l’intérieur de ses frontières. A nouveau, il voulut faire de nous, métis, les modèles de son projet pour l’ensemble des indigènes, celui de leur assimilation, de leur dissolution dans son modèle de «civilisation».

* M. Benabdellah n’est pas  dupe de cet infâme stratagème. Le Blanc «nous donne des privilèges sur nos peuples, nous cite en exemple, nous donne de bonnes notes. Mais ce privilège est conditionné à deux choses, se démarquer des nôtres, et ne pas prendre sa place à lui. Il veut faire de nous des traîtres à la race». «L’assimilation à laquelle le pouvoir blanc veut contraindre tous les indigènes, nous la connaissons intimement. Le Pouvoir blanc nous impose le devenir blanc, nous impose notre propre dissolution.» L’issue? «nous devons être nous-mêmes, nous ne sommes pas des potentialités. Dire ce que nous sommes, c’est dire «Je suis Noir», c’est dire «Je suis Arabe», dire «Je suis Indigène». C’est dans le seul rapport de force racial, dans la seule confrontation avec le Pouvoir Blanc, que nous pourrons réellement devenir ce que nous sommes déjà, le début de sa fin.

Que dire devant un tel projet, totalement clos, qui repose sur une croyance ne laissant aucune place au doute, à la contradiction, et dont le porteur est nécessairement le bon face aux forces du mal, engagé dans une lutte à mort contre la partie blanche, impure de son être ? Le problème est que cette croyance extrêmement rationalisée n’est pas seulement de l’ordre de l’idiosyncrasie: elle est partagée par d’autres, et elle est totalement au service du projet islamiste.

Ce projet terrifiant de clivage absolu et de haine est inconciliable avec le mode d’existence de la majorité, métis issus de brassages assumés, enfants  ayant enrichi leur culture de maints apports entremêlés. Comment pourrions-nous coexister avec des personnes pour lesquelles nous représentons à jamais le mal absolu, qui rêvent de retrouver leurs peuples, défendre la pureté de leur race, non en les rejoignant mais en nous annihilant, nous, sous le prétexte que nous serions le pouvoir blanc ? Quelle folie.

Cessons de parler de pays comme d’un indigne pays raciste et colonial. Chaque peuple est issu de nombreux brassages, et notre régime laïque n’opère pas de clivage entre communautés de race, de couleur ou de religion. Si des pratiques discriminatoires et communautaires, voire des tentations de type apartheid, existent, ce n’est nullement en raison des structures de l’État et de ses lois, mais du fait de groupes de citoyens obéissant à des idéologies discriminatoires.

En la matière, le projet du courant décolonial en est le pire des cauchemars.