« ça s’en va et ça revient », C. François, Président Directeur Général de Engie.

« c’est toujours le même film qui passe », F. Cabrel, projectionniste.

Il y a à peu près 18 mois, j’ai pris en cours le processus de réunions/discussion sur, en (très) gros, « comment on fait pour que les conflits pourrisssent pas la vie de tout le monde sur la ZAD ». J’ai raté les deux premières réu, je crois, mais je me suis fadé les suivantes, la tournée des lieux d’habitations et plusiseurs réunions de quartiers.

Après la dernière réu à laquelle j’ai participé, j’ai écrit un texte assez haineux, que je comptais passer aux personnes présentes à cette réunion, puis au zad news, puis à plus personne parce que la flemme.

Trois mois plus tard, j’ai été tiré au sort pour faire partie du club des douzes (« hommes en colère »), j’ai écrit un texte haineux, que je comptais passer aux onze autres, puis aux zad news, puis à plus personne parce que la flemme.

Plusieurs semaines après, de passage dans le (petit) coin, je suis tombé sur un zad news qui m’a coupé l’envie de faire caca. J’ai donc écrit un truc moins bourrin, plus assumable et réfléchi, moins « à chaud », sur cette histoire des douze (« coups de minuit » dans ta gueule), que je comptais filer au zad news, puis poster sur indymedia, puis rien du tout parce que la flemme.

Et là, des mois après, à des kilomètres de la zad, j’ai discuté avec des gens qui ont vécu ces quelques mois là-bas, et je me rends compte que ce que j’avais dans ma tête à ce moment là c’est toujours d’actualité, que cette institutionnalisation et cet autoritarisme puait en 2015, puait encore en 2016, et pue toujours en 2017, et que j’ai toujours envie de dire que je ne suis pas content de ce club des douze (« apôtres ») parce que ça me pollue encore la tête.

En me relisant je me dis que je ne suis pas si méchant (y a même pas de blagues sur les « douze salopards »), et que cette fois-ci, j’ai qu’à ne pas avoir la flemme et poster tout ça. D’autant que je sais que je ne suis pas le seul à avoir ressenti les choses comme ça.

Un truc qui ne transparait pas vraiment à travers ces trois textes : il est clair d’après moi que pour une partie des personnes présentes à ces réunions, les « conflits » concernés par ce groupe sont ceux qui éclatent, qui font tâche ou qui débordent, pas les conflits entre gens civilisés, de bon aloi. Mais non c’est pas classiste.

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J’irais plus dans vos réu (Automne 2015)

« J’irais plus dans vos boums, elles sont tristes à pleurer » R. Séchan, alcoolique triste à pleurer. 

Manifestement on voit pas le monde de la même façon.

C’était quoi le but d’aller faire le tour des habitants ? Les convaincre qu’on gère et les rassurer ? Bêtement, j’avais l’impression que c’était pour connaitre leur avis sur ce qu’on avait proposé dans le zad news, écouter leurs critiques et les prendre en compte. Dans les faits, ça n’a servi à rien du tout parce qu’on n’a pas vraiment parlé de ces critiques, ni de ce que nous on a ressenti pendant ces tournées. Dans les faits, hier deux personnes ont décidé de pondre un tract en reprennant un texte produit avant-même qu’on se fasse chier à arpenter la zone.

Moi j’en suis là : ça sert à rien de faire des réunions avec des gens qui se croient investis d’une mission. Ca sert à rien de donner son avis à des gens qui s’en tapent. Toutes les discussions qui auraient pu avoir lieu hier ont été avortées, parce que « c’est pas le lieu », ou parce que « c’est pas le moment » d’en discuter.

C’est pas parce que tu dis que telle idée est un consensus que c’est pas un dogme. C’est pas parce que t’as décidé qu’en tirant au sort tu ferais de la mixité zadienne que t’es pas en train de te donner une nouvelle mission à toi et tes copains-qui-pense-comme-toi. C’est pas parce que que tu dis que tu fais pas le flic que ton enquête est pas policière. C’est pas parce que tu dis que tu fais « juste pression pour faire respecter chaispasquoi » que ton groupe n’est pas en train d’imposer des trucs à un individu.

Donc, si j’ai bien compris le projet, pour vous, ce groupe sera constitué à partir d’un groupe d’une trentaine de volontaires qui n’ont pas l’air de représenter toutes les tendances de la zad (vu que, sans connaitre beaucoup de gens ici, je connais déjà les 3/4 de cette liste), se basera sur des dogmes décidés par une assemblée (j’ai vraiment pas compris l’utilité de celui-là), sera là pour « enquêter » et rechercher les gens qui ont fait de la merde, décider d’un truc, on sait pas quoi ni dans quelles conditions, et foutre la pression pour imposer le dit-truc si la personne concernée n’en voit/comprend pas l’utilité. Et après vous vous étonnez que des gens aient peur de voir se constituer une milice ? Et hier c’était « pas le moment » d’en parler ? Et c’est quand exactement le « moment » de parler de ces trucs ? « Y a trois semaine à la réu ou t’étais pas, maintenant tu peux fermer ta gueule pour toujours » ?

Dans la théorie, tout le cirque du tirage au sort, c’est pour que ce groupe n’ait pas un mode de pensée unique, que les individus qui le composent y apportent chacun leurs idées et opinions, et, par là même, soient les garde-fous les uns des autres. Ca évite aussi qu’un groupe se soude autour de dogmes et de morales et décide de foutre la pression à chais pas qui pour les faire respecter. Bien. Tout ça ça vole en éclat à partir du moment où ce groupe est basé sur des consensus inconstestables. Chez moi on appelle ça un dogme. Un consensus, au moment même où il est discuté, peu importe le nombre de gens qui le discutent, n’en est plus un. si ton groupe est fondé sur des consensus incontestables, qu’il fera respecter-sans-faire-le-flic (ah oui, tiens, comment ?), comment les individus qui le composent jouent les garde-fous ? Si Alice propose de foutre Bob-le-dealer dans le coffre d’une bagnole et de le lâcher un trou perdu de la mayenne parce qu’il se faisait de la thune en vendant de la came, comment Clara peut dire qu’elle est pas d’accord si la réponse qu’elle prend dans les dents c’est « on a établi un consensus, ‘pas de deal pour du profit personnel sur la zone’, si t’es pas contente t’avais qu’a être là le jour où on l’a décidé » ? En basant ce groupe sur des consensus qui n’en sont pas, ça en exclu de fait les gens pas d’accord avec ces consensus. En tout cas je comprends carrément leur méfiance et leur non-implication.

Fonder un groupe sur un consensus, un vrai, un qui ne sera jamais discuté, ça me semble pas bien malin non plus. si tu veux qu’un grand nombre de gens soit d’accord, il faut soit aller dans la precision et la condition, soit aller à donf dans la généralité. Donc, à la fin ton consensus est soit sur un truc super vague (« le fascisme c’est mal. ») qui s’effrite dès que tu commence à gratter les définitions (C’est quoi « mal » ? Et « fascisme » ?), soit un truc tellement conditioné de « si » et de « dans le cas où » qu’il est inapplicable (jette un oeil à n’importe quel projet de loi de n’importe quelle assemblée de législateurs). Du coup je vois pas l’interêt.

Et puis pourquoi j’ai le sentiment que c’est plus acceptable pour vous d’imposer des trucs par la force et la pression que de discuter avec les gens ? Ouais, je sais y a des gens, à des moments, discuter c’est pas possible. Sauf que là, durant ces quelques réunions, systématiquement, discuter=écouter=faire le psy et aider=assister=assistante sociale. En fait, vous avez l’air de préférer traiter les gens comme des chiens que comme des humain parce que vous avez « pas que ça à foutre » (c’est vrai, quoi, y a la lutte, merde). D’une part, c’est super moraliste, mais en plus, c’est quand la dernière fois que vous avez vu une assistante sociale aider quelqu’un ? Pour moi, l’autonomie, c’est pas survivre tout seul dans ma caravane, à nourrir ma dépression sans en parler pour pas être faible, à cultiver la warrior-attitude pour mieux chialer quand personne me voit. je suis 1000 fois plus autonome si je demande de l’aide à mes copains. Et si mes copains peuvent pas m’aider je vois pas en quoi c’est mal et déresponsabilisant d’utiliser ma cmu d’assisté pour aller voir un psy.

Donc je vous souhaite bien du courage, et puis bon consensus. « Gestion » finalement ça lui va pas si mal à ce groupe. Ah, et je veux bien être enlevé de la liste de volontaires où je me suis jamais inscrit, d’ailleurs. Ca ne m’interesse pas dans ces conditions. Je suis content d’avoir pris des leçons de « maîtrise de mes émotions » hier avec vous, j’avais pas compris qu’il suffisait de ne pas se poser de questions et ne pas troubler la paix sociale et le consensus molasson. Ca m’a rappelé pourquoi je foutais plus les pieds dans les réunions : j’avais oublié que c’est pas fait pour les humains.

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Critique conflictuelle. (printemps 2016)

« we are the robots », mantra probable d’un cadre sup’ de la ZAD.

J’ai eu l’illustre honneur d’être tiré au sort pour faire partie du groupe médiation. J’veux pas y aller.

J’veux pas avoir le droit de banir quelqu’un de son lieu de vie (temporairement ou pas).

J’veux pas tirer ma légitimité d’un code (qu’il s’appelle comme ça ou pas) décidé au consensus, comme si un consensus n’était pas qu’une mise au point, à un moment ‘m’, entre les gens qui ont su exprimer leur volonté clairement, mais la plus haute expression de la démocratie… Les décisions prises pendant les discussions sur les limites, comme les débats à l’assemblée nationale, n’engagent, pour moi, que les gens qui étaient présents.

J’veux pas décider de qui est indésirable ou non, de qui est valorisable pour la ZAD ou non : un connard violent qui conduit un tracteur, fait pousser des patates, vit en bande affinitaire, ou qui traine un pedigree militant long comme un livre de la Fabrique, aura toujours plus de chances face à ce groupe qu’un connard violent qui ne partage rien d’autre que sa misère et ses addictions avec les humains autour.

J’suis pas un robot, j’veux pas mettre mon cerveau et mes émotions de côté et faire comme si j’étais objectif. Je suis guidé par mes émotions et mon individualité, ma personne, est composée aussi de mes reflexions/discussions avec mes amis (des gens qui m’importent et m’apportent émotionnellement). J’ai pas envie de prendre de décisions importantes pour moi sans leur avis, je vois pas pourquoi je prendrais des décisions importantes pour quelqu’un que je connais même pas sans en parler avec eux.

J’crois pas à la démocratie, je suis pas un troskiste qui s’engage dans la police en 1981 pour « changer les choses de l’interieur ».

Faire comme si y avait pas des jeux de pouvoir, des rapports de classes, de la « politique politicienne », des Lois, des privilégiés (une Noblesse ?) et une sous-caste sur la ZAD, c’est se foutre de la gueule du monde. Et je pense que ce groupe participe à ce mensonge en ce sens que lors de sa mise en place, on a délibérément ignoré cet état de fait.

Je me suis pas inscrit sur la liste des « réquisitionables », on m’y a inscrit parce que je participais aux réunions pour discuter la création de ce groupe, lors d’une réunion de technocrates, où toute remise en question était renvoyée à coup d’arguments affectifs et d’état d’urgence (avant l’heure).

Je m’en suis pas désinscrit parce que j’ai arrêté d’aller dans ces réunions, parce que je suis sorti de la dernière avec la rage et l’envie de chialer, la certitude de ne pas avoir été pris en compte, le découragement le plus définitif et l’envie d’être ailleurs. Dont acte. Salut.

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Je ne suis pas content. (2016)

« Une remarque sur les nombreuses absences: l’absence de l’etat ici signifierait le liberalisme ? il y a peu de choses communes pénibles à gérer auxquelles nous ayons trouvé une réponse, le cycle des 12 est un peu une première de ces corvées que nous soyons parvenus à partager. C’est prenant, demande de la disponibilité et un vrai engagement. Quand tu te fais tirer au sort il n’y a pas de questions à se poser sur y aller ou pas : il faut faire le job. »,  une personne autoritaire, moraliste et condescendante, dans le zad gnouf – on notera une certaine ressemblance avec les discours de sarkozy, macron, valls et consort.
   

J’ai participé à quelques unes des réunions de discussion/préparation/fabrication du groupe de médiation. J’y allais dans le but de construire ensemble un outil pour qu’il se passe moins de situations merdique. Dans les faits, à chaque réunion, on parlait un peu moins des problèmes de fonds que la création et le fonctionnement de ce groupe pouvaient causer, et un peu plus de problèmes techniques pour le créer au plus vite. Les differentes objections soulevées par des participants à ces réunions (qu’elles soient remontées des discussions « de quartier » ou issues de leurs propres ressentis) ont été balayées sur le mode « on a pas le temps de causer de ça, là y a urgence », « ‘on’ a déjà parlé de ça à telle ou telle réu… », etc. J’ai très mal vécu cette dernière réunion. J’en ai tiré comme conclusion que ce n’était pas possible pour moi me faire entendre, et j’ai deserté.

Je ne cautionne pas ce groupe et son fonctionnement, même si j’ai quelque responsabilités quant à sa création. A mon sens, ces responsabilités se limitent au fait que je n’ai pas su me battre et guerroyer jusqu’à ce que les objections soulevées soient prises en compte. Alors quand on m’a dit « t’as été tiré au sort », je suis passé par differentes émotions : haine pure, désarroi, désespoir, tristesse, et envie d’écrire une lettre pour dire que je n’y participerais pas. Je l’ai écrite, mais, après discussions avec mes amis, j’ai considéré qu’elle était un brin trop agressive, et que mon propos en serait ignoré. J’ai choisi d’attendre, de me calmer, puis décidé que finalement ça ne serait qu’un argument de plus de ne pas trop m’investir sur la ZAD.

Puis tout à l’heure, j’ai été choqué par le bout de compte-rendu de la reu habitant qui traite des « nombreuses absences » aux réunions du « cycle des 12 ». Déjà, c’est quoi cette morale productiviste à deux balles ? C’est quoi ce « il faut faire le job » ? Alors maintenant, y a des choses obligatoires mais t’inquiète pas, y a pas de loi, c’est juste de la morale militante… C’est pas interdit de refuser de participer au « cycle des 12 », on va juste te casser du sucre sur le dos dans le ZN et te traiter de parasite individualiste accroché de toutes ses dents au cuir chevelu de la liberté communiste triomphante…

C’est justement parce que c’est « prenant, demande de la disponibilité et un vrai engagement » que ça doit être sur la base du volontariat. Si des gens ont décider de ne pas participer à ça quand ils on été tiré au sort (et j’en fait partie) c’est qu’ils avaient de bonnes raisons de le faire, de leur point de vue. Qui d’autre qu’eux peut juger de la validité de ces raisons ?

S’il y a un taux de non-participation important, c’est peut-être que le fonctionnement du groupe ou ses buts ne sont pas clairs, voire pas cautionnés, soutenus, par une partie de la population de la zad ? Peut-être que certaines réserves soulevées lors des discussions « de quartier » cet automne, et dans les discussions informelles précédentes, n’ont pas été prises en compte ? Peut-être que dans une population semi-nomade comme celle de la ZAD, c’est illusoire d’esperer que tous les gens soient là pour les périodes où ils ont été tirés au sort (et encore moins disponibles) ?

Je trouve que la tendance de ce compte-rendu, c’est l’injonction « individus ! conformez-vous au mode d’organisation, de gré ou de force (voire par chantage affectif) » alors que ça devrait être « on a un problème, les gens ne s’investissent pas dans le processus, peut-etre qu’il faudrait revoir ce processus »…

Comme le problème était posé dans les premières discussions « préparatoires » auxquelles j’ai participé, il s’agissait de réfléchir à comment on pourrait faire en sorte de limiter la casse en cas de conflits. Les axes (plus que des décisions) qui sont ressortis de ces discussions, selon moi, c’est « on y connait pas grand chose », « faudrait se cultiver, voir comment font les autres », « faudrait que l’idée qu’un conflit est pas forcément privé se diffuse », « faudrait savoir quelles sont les peurs des gens vis à vis de la création de ce groupe »…
A la réunion suivante, on a pas discuté de ces peurs, ni du fond, ni d’autre chose en fait que de la date du premier tirage au sort.
A un moment, on est passé d’un groupe de gens qui discutent, à un groupe de gens qui décident. Un paquet des reserves soulevées ont été écartées au pretexte que ce groupe était experimental. Manifestement, il n’est plus experimental, puisqu’il est convenu que c’est aux individus de s’y plier. 

Je pense qu’on aurait moins de problèmes avec les conflits qui dérappent si on en apprenait plus. Je pense qu’on en apprenait plus quand on discutait de comment et pourquoi faire ce groupe. Je pense que considerer ce groupe comme fonctionnel et definitif, c’est arreter d’apprendre, c’est creer un environement merdique où des situations merdiques vont pouvoir se developper merdiquement. On fait comme si les choses était « décidées » « définitives », pour se les sortir de la tête, pour ne plus s’en occuper. Pour se rassurer : on sait s’organiser puisqu’on a su « décider » ensemble.

Peut-etre que ce qui est important dans une discussion c’est pas l’éventuelle prise de decision, mais l’expression des idées et les reflexions meme non exprimées que celle-ci engendre… Je ne change pas d’avis parce qu’on me colle six affirmations sous le nez en me disant que j’y adhère de fait puisque je suis là et que ces « décisions » ont été prises au consensus à tel moment où je n’étais pas présent. Décider des trucs, c’est pas s’organiser, c’est juste productiviser. Combien de subtilités et de détails sont tus ou ignorés pour arriver à une décision fade et consensuelle ? Et concrètement, ça sert à quoi ?

Je pense enfin que ce groupe et son fonctionnement en disent long sur une certaine vision du monde. Un monde où il existe des indésirables. Un monde où « quand on veut, on peut ». Un monde où « la ZAD, tu l’aimes ou tu la quittes ». Un monde de valides, de militants bien dans leurs peau, ou, du moins qui ne montrent pas qu’ils vont mal. Un monde où les émotions disparaissent derrière la stratégie, le devoir, l’efficacité et l’urgence. Un monde où, si tu craques, si tu tombes,
t’as plus de chances de te faire jeter que d’avoir de l’aide. Un monde où on préfère délocaliser les problèmes que de les régler. Un monde tellement cynique et méfiant que vouloir éviter la cohercission, c’est forcément être un bisounours niaiseux. Un monde ou la solidarité s’arrête à une espèce d’amitié pratique, juste au cas où. Alors, moi, tu sais, le cycle des 12 et son monde…