CONVERGENCE  : action de tendre vers un même but tout en partant de points différents. « Des droites parallèles convergent à l’infini. »

Si on ne peut pas dater précisément la naissance de ce terme, on peut juste constater qu’il n’existait pas avant les années 90.
Il est difficile de décrire exactement de quel processus il s’agit… tout cela reste très vague. On a bien vu ici où là un militant trotskiste cheminot venir prendre la parole dans une AG étudiante à l’appel d’un militant trotskiste étudiant (plus rarement le contraire mais ça existe aussi), se faire applaudir avant de rentrer chez lui ; on a vu ce genre de scène reproduit à l’échelle industrielle lors des « Nuits debout », visiblement le concept à l’air de signifier ce genre de pratiques. Ceux qui l’emploient parlent de construire des ponts, tisser des liens, mais à part ça on n’a jamais décrit (et encore moins vu) ce que devrait produire deux (ou trois, ou plus) luttes qui convergent.
Converger ne signifie pas avoir le même but, ce n’est pas avoir quelque chose en commun, ni partager quoi que ce soit… Non, c’est tendre vers ça sans jamais y parvenir. La convergence n’est même pas la rencontre, c’est le chemin vers la rencontre, c’est ce qui précède éternellement un hypothétique commun.
En attendant cette rencontre il s’agit donc de cantonner chaque lutte dans les limites qu’elle s’est fixées au départ, de conserver ce qu’elle a de particulier, de faire avec et de se contenter du fait qu’elle « a le mérite d’exister ». Le rôle du militant sera d’y apporter son grain de sel en replaçant sa particularité dans un contexte plus global, il y glissera un peu d’analyse et de théorie abstraite, la nouvelle mode pour les plus « radicaux » étant de se contenter de rajouter « et son monde » à la fin de la revendication parcellaire.

Mais d’où peut bien sortir une telle idée ?
Au commencement il y avait le léninisme d’où ensuite dérivent toutes les formes de gauchisme :
« Par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste (Lénine). »
Les prolétaires ne pouvant avoir une vision qui dépasse leurs intérêts immédiats, ce sera le rôle du parti de la leur apporter « de l’extérieur ». Le Parti en tant que seul stratège possible, intervient dans la lutte, la dirige selon ses objectifs et ses intérêts. C’est en dernier ressort le Parti qui est l’acteur de l’histoire, les luttes sont donc avant tout perçues comme une caisse de résonance pour renforcer l’influence du Parti et comme un vivier pour le recrutement. La lutte n’est que ce qu’elle est, elle ne produit aucune dynamique d’auto-dépassement, elle ne peut pas se transformer en une forme qualitativement supérieure. La lutte quotidienne est un processus circulaire qui ne produit que son éternel recommencement, d’où la nécessité d’une instance extérieure pour « capitaliser » les forces qui sans cette instance y seraient dilapidées en pure perte.
C’est cette pensée qui est toujours à l’œuvre, malgré la disparition (qu’on ne pleurera pas) de la forme Parti qui donnait une cohérence à l’ensemble. Le Parti c’est de la merde (certes) alors on le balance à la poubelle (bonne idée) mais on continue à penser que les luttes seraient stériles, que la transformation en force révolutionnaire ne pourrait pas être produite en leur sein… Alors comme il n’y a plus d’outil qui devrait les transformer de l’extérieur, il ne reste plus qu’à attendre que cela tombe du ciel, comme par miracle, et l’on peut toujours allumer un cierge à la Convergence des luttes. Dont on ne sait pas qui la produit : elle est incréée. Dont on ne sait pas en qui elle s’incarne : elle est pur esprit. Que personne n’a jamais vue : elle est acte de foi.
Depuis que le capitalisme existe le mouvement révolutionnaire est traversé par un débat entre ceux qui pensent que l’avancée du projet révolutionnaire est la tâche du parti d’avant-garde et ceux qui pensent que c’est la dynamique de la lutte qui produit une conscience théorico-pratique (et une pratique consciente) à même de renverser l’ordre existant : que c’est dans la lutte elle-même qu’est produit son propre dépassement. Un « débat » où la première position s’est systématiquement retrouvée dans un rôle contre-révolutionnaire face à la seconde.

DÉPASSEMENT  :
Penser la lutte en termes de « dépassement », d’un mouvement dynamique qui se démultiplie, est l’évident contraire de la penser en termes de « convergence », de simple addition de forces statiques.

Qu’est ce qu’une lutte :
La lutte est toujours un processus dynamique qui transforme ses acteurs. C’est ce qui distingue la lutte de la simple protestation. Pour notre part nous n’appellerons pas « une lutte » le fait de signer une pétition, de liker un mot d’ordre, ou de s’en remettre à des « délégués » pour aller négocier.

La lutte est un processus de transformation dynamique de ses acteurs d’abord, dès le départ, parce qu’elle balaie les situations d’atomisation (des individus se rencontrent, se parlent et s’organisent) et d’atonie (on sort de la passivité pour se mettre en action) préexistantes, elle est donc immédiatement un processus de transformation quantitatif et qualitatif.
La question qui est posée, du début à la fin, à l’intérieur de la lutte est la question du rapport de force. À la question de « comment se donner les moyens de gagner ? » l’expérience empirique fait que « spontanément », les prolétaires répondent qu’il s’agit de durer et de s’étendre quantitativement.
Puis quand la lutte est lancée, ce sont ses nécessités propres qui obligent à une succession de transformations de ses formes d’existence/manifestation et des rapports tant en son sein et que vis-à-vis de son extérieur.

— Extension quantitative :
Dès le départ il s’agit de faire partager le problème particulier sur lequel la lutte c’est formée/cristallisée à d’autres qui auraient le même problème. C’est une question vitale pour faire exister un rapport de force qui est au départ perçu comme principalement une question quantitative, il s’agit de faire nombre. On part de là où l’on a commencé à s’organiser pour aller ailleurs : dans d’autres secteurs de la même boite, puis dans d’autres succursales de la même entreprise, dans d’autres entreprises du même secteur, dans d’autres secteurs ayant les mêmes problèmes (ce schéma est le même pour des luttes en dehors de l’entreprise : logement, bahut, CAF, etc.).
— Généralisation-radicalisation :
La dynamique générée par la nécessité de l’extension quantitative oblige en tendance à ne pas penser le collectif de lutte comme une entité ayant des problèmes qui lui sont exclusivement propres ; et à ne pas penser les problèmes que dans les aspects particuliers où ils apparaissent là où on se met en lutte. Il est envisagé de manière plus large et les questions qui étaient posées sous l’angle restreint de la perception individuelle sont maintenant posées sous l’angle du fonctionnement de la société. Le « prétexte » initial est replacé dans son contexte, dans ses articulations avec d’autres problèmes, il est posé à un niveau plus global (qui tendanciellement englobe de plus en plus de gens).
— Extension-densification qualitative :
Tout au long du processus dynamique de la lutte, des questions pratiques se posent, soulevées par les nouveaux rapports qui sont créés entre les acteurs, par les bouleversements du quotidien, par les nécessités de la lutte et par le seul fait de se découvrir une force insoupçonnée. Non seulement les choses ne sont plus perçues de la même manière mais en plus les bouleversements opérés par les pratiques collectives ouvrent de nouveaux horizons de transformation de la réalité concrète.

Nous ne décrivons pas ici un type de processus inéluctable qui advient mécaniquement et progressivement, mais bien une tension qui vit et se développe par sauts avec des avancés et des reculs. Il ne s’agit pas non plus d’une tension qui entraînerait tout un chacun de façon homogène et synchrone. Les différences de conditions – donc d’intérêts immédiats – qui préexistent antérieurement, ou qui se font jour dans la lutte, sont exploités (celui qu’on a en face mais aussi dans la tête) par l’ennemi et l’enjeu principal des prises de positions se situe justement dans leur perpétuation/renforcement ou leur dissolution/dépassement en une entité qui intègre des intérêts à plus long terme, voire des perspectives explicitement révolutionnaires. Cette tension d’un côté met en concurrences les diverses catégories qui composent les acteurs de la lutte, et d’un autre elle fissure les identités, catégories, réflexes corporatifs (les communautés illusoires) et même, bien souvent, elle traverse aussi chacun des participants.
On ne peut donc penser une lutte comme un tout homogène. En son sein préexistent et se développent des tensions et des orientations divergentes voire antagonistes. La lutte est avant tout une lutte dans la lutte. C’est pourquoi la position qui affirme soutenir une lutte se résume systématiquement à promouvoir le discours dominant en son sein, en définitive cela revient à prendre parti pour la fraction pacificatrice, plombante et contre-révolutionnaire. Qu’il s’agisse du plus petit dénominateur commun qui réunit les participants (c’est-à-dire la position la plus conciliatrice par rapport à l’ennemi), ou du point de vue exprimée par la fraction la plus puissante (en général la fraction qui possède les plus gros moyens est la fraction la plus politicarde) cette position revient le plus souvent à soutenir le représentant de l’ennemi

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À l’inverse, le rôle des révolutionnaires consiste à déterminer les contradictions à l’œuvre au sein de la lutte, à identifier parmi les tensions celles qui sont porteuses de dépassements, à choisir son camps contre la stagnation du processus et pour sa radicalisation dans une perspective révolutionnaire.
C’est de ça dont il s’agit dans la lutte : dépasser la situation, se dépasser en tant qu’individu isolé, dépasser les forces limitées d’un collectif en étant toujours en expansion. Non pas seulement déborder mais faire exploser les limites qui préexistent et/ou se révèlent dans le cours de la lutte.